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Qu’est-ce qui a pu inciter Omar Mateen, dans la soirée du 12 juin, à abattre froidement 49 client·e·s du club Pulse d’Orlando (Floride), fréquenté par des gays, des lesbiennes, des bisexuel·les et des transsexuel·les (LGBT), en majorité latinos et noirs ? Avant tout, la haine pour les personnes LGBT et les gens de couleur qu’il fréquentait discrètement la nuit, alimentée par le virilisme, l’homophobie et le racisme de son milieu de travail, le jour ; il était employé par la société militaire privée G4S, réputée notamment pour ses abus contre les immigré·e·s.

L’homophobie, inhérente aux sociétés patriarcales, est nourrie par toutes les religions, ce qui permet chaque année à des milliers d’assassins de justifier leurs crimes contre des personnes LGBT. Au lendemain de la tragédie, deux pasteurs baptistes US en appelaient ainsi à la mise à mort des « sodomites ». Le premier regrettait qu’il n’y ait pas eu plus de « prédateurs » et de « pédophiles » tués : « Si nous vivions dans une nation juste […], ajoutait-il, le gouvernement ferait une rafle de tous ces gens, les mettrait dos au mur, face à un peloton d’exécution, et leur ferait exploser la cervelle ». Le second déclarait : « La bonne nouvelle c’est que 50 au moins de ces pédophiles ne vont plus jamais s’en prendre à des enfants ; la mauvaise, c’est que de nombreux homos de ce bar sont encore en vie…» (Washington Post, 15 juin).

De même, dans les pays où l’islam fondamentaliste domine, les personnes LGBT endurent actuellement la prison, des châtiments corporels, voire la peine de mort. Ailleurs, la plupart des imams, même « libéraux », condamnent l’homo­sexualité comme un péché, même s’ils appellent souvent à ne pas ostraciser le pécheur… L’évêque catholique de St. Petersburg (région d’Orlando) ne se trompe donc pas lorsqu’il constate : « C’est la religion, y compris la nôtre, qui s’en prend verbalement et nourrit le mépris envers les gays, les lesbiennes et les personnes transgenres. Ces attaques contre les hommes et les femmes LGBT sèment souvent la graine du mépris, puis de la haine, qui peut enfin conduire à la violence » (Washington Post, 13 juin).

Aux Etats-Unis,  les religions témoignent d’une « tolérance » toute relative envers l’homosexualité. La principale enquête d’opinion, menée en 2014, auprès d’un large échantillon de fidèles, montre ainsi que 36 % seulement des chrétien·ne·s évangélistes et des mormons considèrent l’homosexualité comme socialement acceptable, contre 45 % des musulman·e·s, 66 % des autres protestant·e·s, 70 % des catholiques et 80 % des juifs·ves et des bouddhistes. Ces différences en disent d’ailleurs plus long sur le poids des traditionnalistes au sein de chacune de ces confessions, que sur une véritable différence entre elles. Aujourd’hui, les milieux chrétiens réactionnaires font voter des lois homophobes, au nom de « la liberté religieuse », dans des Etats du Sud, en réponse à la décision de la Cour Suprême de légaliser le mariage pour tou·te·s au niveau fédéral, en juin dernier.

On peut donc saisir dans quel contexte a pu se développer la haine morbide d’Omar Mateen. Toutefois, le potentiel destructeur de son geste puise en même temps à d’autres sources, auxquelles s’abreuvent bien des admirateurs bien-pensants de Donald Trump : la fascination morbide de l’uniforme, des actions de commando et des armes à feu les plus létales. Ainsi le tueur d’Orlando s’identifiait-il au NYPD, un corps de police qui n’avait pas voulu de lui, aux bérets verts, aux agents de la société G4S, au Hezbollah ou à Daech. Ces professionnels de la violence, souvent en délicatesse avec la loi et la morale ordinaire, semblaient éveiller en lui le même attrait, quelles que soient leurs orientations politiques.

Faut-il s’en étonner d’ailleurs,  quand on sait que les Etats-Unis passent leurs plus gros marchés d’armements avec l’Arabie Saoudite et les autres pétromonarchies wahhabites, que le Département d’Etat travaille main dans la main avec la Russie de Poutine, avec la République islamique d’Iran, alliée elle-même au Hezbollah… contre Daech en Syrie et en Irak ? Et cette « guerre sans fin » déploie ses effets jusque dans les rues des Etats-Unis, où les diverses polices recourent à des équipements militaires provenant des surplus de l’armée, et font un usage disproportionné de la force, en particulier à l’égard des minorités de couleur.

Omar Mateen n’était pas un pion téléguidé par Daech ou une quelconque organisation terroriste. Il portait en lui les contradictions les plus explosives d’un monde où la guerre de tous contre tous, et souvent de chacun·e contre soi-même, désarticule le corps social selon de multiples fractures de classe, de couleur, de genre, d’orientation sexuelle, etc. Pour les plus vulnérables et les plus meurtri·e·s, il arrive alors que la religion ne permette même plus d’exprimer, pour paraphraser Marx, « le soupir de la créature accablée », ou « l’âme d’un monde sans cœur ». A l’effroi au quotidien, il peut arriver qu’ils préfèrent une fin terrifiante, quel qu’en soit le prix pour eux-mêmes et pour « les leurs ».

Jean Batou

éditorial du n°290 du journal de solidaritéS