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La campagne du NON à la loi « antimanifs » soumise au vote à Genève ce 11 mars est en route. Ci-dessous de larges extraits d’un commentaire critique de la loi élaboré par le Forum social lémanique (FSL). On en retrouvera le texte complet, celui de la loi critiquée, et le matériel de campagne des opposants sur www.nonloimanif.ch

 

La loi (10 615) a été concoctée par le député PLR Olivier Jornot, ex-Vigilant, colonel à l’armée, avocat d’affaires et futur procureur du canton de Genève. [...] La loi a été adoptée par la majorité de droite du Grand Conseil en juin 2011. Le référendum contre celle-ci a abouti début août, avec plus de 10 000 signatures recueillies. Cette loi modifie en la durcissant la Loi actuelle sur les manifestations sur le domaine public (LMDPu), déjà extrêmement restrictive.

Art. 4, al. 5 (nouveau)
Commentaire le bénéficiaire d’une autorisation est quasiment transformé en « auxiliaire » de la police. Ce n’est nullement son rôle : les contacts entre orga-ni-sa-teurs·trices de manifestations et police ont pour but de se mettre d’accord sur un cadre qui permette d’assurer le bon déroulement de la manifestation, de sorte que le droit fondamental de manifester et de s’exprimer puisse s’exercer dans les meilleures conditions ; l’orga-ni-sa-teur·trice assume une responsabilité principalement envers les manifes-tant·e·s pour leur permettre d’exercer leurs droits ; il a lui aussi intérêt à ce que tout se passe bien, dans ce sens les contacts avec la police sont nécessaires et utiles, mais il ne saurait pour autant être subordonné à cette dernière et contraint en toutes circonstances de se conformer à ses injonctions [...]

Art. 5 al. 3 (nouvelle teneur), al. 4 et 5 (nouveaux, l’al. 4 devenant l’al. 6)
Commentaire Selon ces alinéas, le département de police a le pouvoir de refuser toute autorisation de manifester en cortège et d’interdire tout déplacement; il peut également refuser l’autorisation et donc interdire la manifestation sur des critères d’ordre public dont il est seul juge. Il peut enfin subordonner le droit fondamental de manifester à des intérêts privés. Il impose de plus aux orga-ni-sateurs·trices la mise en place d’un service d’ordre « tenu de collaborer avec la police et de se conformer à ses injonctions ». Le problème, c’est que le service d’ordre d’une manifestation ne saurait assumer des tâches de police, car il n’en a pas les moyens. Mais surtout, ce n’est pas sa fonction: le service d’ordre d’une manifestation a pour rôle principal d’organiser, diriger et protéger la manifestation pour qu’elle atteigne son but.

Art. 8, al. 2 (nouveau)
Commentaire on sait par expérience que pour les auteurs de la loi, la responsabilité des organisateurs-trices est a priori engagée. On peut donc s’attendre, en cas de débordements causant des dommages, à des actions en responsabilité financière contre les orga-ni-sateurs·trices, en plus de lourdes amendes. La majorité du parlement genevois semble vouloir désormais s’orienter sur le principe de la responsabilité « objective » : il y a des problèmes dans une manifestation, donc les organisateurs sont forcément responsables puisqu’ils l’ont organisée !

Art. 10 (nouvelle teneur)
Commentaire la nouvelle loi prévoit ainsi une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 fr. contre les orga-ni-sa-teurs·trices de manifestation, soit un montant décuplé par rapport à la loi actuelle ! Pourtant les auteurs de la loi et le Département de police savent pertinemment que « la casse » n’est jamais le fait des organisateurs ! Rendre ainsi les organisateurs responsables a priori de débordements passant outre à leurs consignes ne peut que favoriser les provocations émanant de forces hostiles, criminaliser les organisateurs et finalement rendre les manifs impossibles.

Art. 10A  (nouveau)
Délai de carence
Commentaire Ainsi, les bénéficiaires de l’autorisation de manifester pourraient se voir interdire toute nouvelle demande pendant 1 à 5 ans en cas de débordements, même sans faute de leur part. Avec ce « même sans faute de leur part », en cas d’acceptation de la loi on voit bien quelle ligne d’interprétation présiderait au jugement du département de police sur la responsabilité des organisateurs tant à propos des mesures récursoires que des sanctions financières.

LE CONSEIL FÉDÉRAL CONTRE LA RESPONSABILITÉ AGGRAVÉE POUR LES ORGANISATEURS Voici ce que déclare le Conseil fédéral lui-même concernant la responsabilité des organisateurs/trices d’une manifestation en réponse à une motion en 2005: « Assurer la sécurité publique est une tâche inhérente à l’Etat ». Il ajoute, suite à une décision du Tribunal fédéral, que les organisateurs ont « le devoir de collaborer avec les autorités de police afin de protéger les biens », ce qui ne signifie pas pour autant être contraint de se soumettre durant toute la manifestation aux injonctions de la police.

Et le Conseil fédéral poursuit : « répondre sans faute pour tous les dommages causés par des débordements pendant ou à l’issue d’une manifestation annoncée reporterait en fin de compte la responsabilité d’assurer la sécurité publique sur les particuliers. La crainte de devoir verser des dommages et intérêts, de même que les coûts engendrés par l’organisation d’un service d’ordre et les primes d’assurance pourraient dissuader les citoyens de faire usage de leur droit de manifester. Cette aggravation effective du droit de manifester ne serait pas compatible avec la liberté d’expression et de réunion ».
Enfin : « Une responsabilité des organisateurs pour tous les dommages causés suite à une manifestation pourrait entraîner la conséquence suivante: un plus grand nombre de manifestations sans autorisation ». Et le Conseil fédéral de conclure qu’un régime de responsabilité aggravée pour les organisateurs risquerait fort d’avoir des effets contre-productifs en matière de sécurité publique.

Pierre Vanek