« À tire d’elles » : 25 ans plus tard…

Nous relisons l’éditorial d’À Tire d’Elles, que nous avions élaboré il y a vingt-cinq ans pour le journal de l’OFRA (Organisation pour la cause des femmes). Nous dénoncions la volonté d’intégrer les femmes à ce qu’on appelait alors la « défense générale » (euphémisme pour l’armée) et réclamions pour les hommes le droit de refuser le service militaire sans être réprimés. Nous n’avons pas été suivies. Cependant nous avons contribué à faire évoluer certaines mentalités.

    Nous mettions en garde contre un discours égalitaire qui tendait à supprimer certains « privilèges » des femmes, notamment celui d’acquérir automatiquement la nationalité suisse par le mariage avec un Helvète. Nous affirmions vouloir l’égalité dans l’autre sens : plutôt que de supprimer certains "privilèges" des femmes, nous proposions de les accorder aussi aux hommes. Nous avons perdu.

    Mais là où nous nous sommes fait vraiment avoir, c’est avec l’âge de la retraite.En 1984, nous nous opposions à la volonté – encore timide à l’époque – d’élever l’âge de la retraite des femmes de 62 à 63 ans. Nous avions peur que cette régression ne constitue un danger, non seulement pour les femmes, mais aussi pour tout le monde. Malheureusement, nous avions raison. Dorénavant, nous devons travailler jusqu’à 64 ans au nom de l’égalité. Et avec la menace de devoir peut-être bientôt attendre jusqu’à 70 ans pour toucher l’AVS…

    Nous réclamions le droit à l’avortement et à la protection de la maternité. Sur ces deux points, nous avons remporté des victoires partielles: depuis 2002, la solution des délais permet à une femme qui le souhaite d’avorter légalement pendant les douze premières semaines de sa grossesse. De même, depuis 2005, la loi fédérale prévoit une assurance maternité de 14 semaines avec 80 % du salaire pour les femmes qui sont sur le marché du travail. Somme toute: un alignement sur les minima européens.

    Par ailleurs, un certain consensus s’est développé dans l’opinion publique pour le principe des droits égaux entre hommes et femmes. Petit à petit cette idée s’est concrétisée dans les textes législatifs. Cependant, les inégalités salariales entre femmes et hommes restent flagrantes. Pour avancer et obtenir l’égalité salariale effective, il nous faut des actions courageuses comme celle de la vendeuse d’une grande chaîne de distribution qui a porté plainte contre son employeur, ici en Suisse. Grâce à l’aide d’un collègue de travail prêt à lui fournir sa fiche de paie et à témoigner, elle a pu prouver la discrimination salariale dont elle était victime. Diverses mesures législatives permettraient de prévenir des  pratiques discriminatoires et d’améliorer la situation des femmes au travail. L’instauration d’un salaire minimum garanti, comme solidaritéS le revendique actuellement dans plusieurs cantons, au Parlement ou par voie d’initiative, marquerait un pas significatif dans ce sens.

    Enfin, il est encore un combat qui n’est pas gagné : une représentation équitable des femmes dans les institutions politiques. Il fait suite à la lutte centenaire pour le suffrage féminin. Cette élémentaire égalité, obtenue de haute lutte en Suisse en 1971 seulement, n’a pas fait avancer la cause des femmes comme prévu. Il ne suffit pas en effet d’avoir le droit de vote, il faut encore pouvoir concrètement exercer toutes les fonctions politiques. Inlassablement, les « suffragettes » (terme soi-disant péjoratif qu’il faut revendiquer) ont remis le travail sur le tapis. L’initiative des quotas, votée en 2000, malgré son échec cinglant, a fait avancer les mentalités. Pourtant, ce combat n’est pas à l’abri de nouveaux reculs, comme l’élection à la Constituante genevoise l’a récemment montré.

    Ce 8 mars nous pensons tout particulièrement aux Palestiniennes, à celles de Gaza notamment, qui se battent pour nourrir et soigner les leurs, malgré les privations et les violences qu’elles subissent au quotidien. Nous exprimons aussi notre solidarité à Konstantina Kouneva, syndicaliste grecque attaquée à l’acide, fin décembre dernier, parce qu’elle défendait les droits de ses collègues. Nous témoignons enfin notre soutien à Marisa, responsable syndicale d’Unia, licenciée par Manor à Genève pour avoir témoigné dans la presse des difficultés rencontrées par ses collègues de travail pendant les ouvertures nocturnes de Noël.

    Il y a vingt-cinq ans, l’éditorial d’À Tire d’Elles se concluait par ces phrases qui n’ont pas pris une ride; nous les faisons nôtres aujourd’hui : « Il nous faut un mouvement de femmes… grand, fort, combatif. Pour qu’on soit écoutées. Et là, dans la construction de ce mouvement, chacune de nous a son rôle à jouer. Unissons notre révolte, notre combativité, notre amour de la vie, et on aura déjà avancé.»

Maryelle Budry & Anna Spillmann
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