Pour de nombreux jeunes qui se retrouvent en Suisse sans permis de séjour valable, l’accès à la formation tient du parcours du combattant. Or, le droit à la formation – à ne pas confondre avec le droit de séjour – est un droit fondamental dont on aurait tort de priver des jeunes souvent prometteurs.

un entretien avec Pascal Helle, mené par Marianne Clottu Balegamire
et paru le 30 avril 2010 dans Moitié. Service de média indépendant en matière de travail et de chômage. (www.haelfte.ch)

 

 

Pascal Helle*, vous êtes enseignant au Centre professionnel du Littoral neuchâtelois (CPLN), à Neuchâtel et vous enseignez dans des classes un peu particulières.

Pascal Helle : « Il y a 12 ans, j’ai créé les classes Jeunes en transit (JET) au CPLN. Il s’agit d’une structure d’intégration pour des jeunes qui viennent d’arriver en Suisse et dont le français n’est pas la langue maternelle. Dans ces classes, il y a un volet langage et un volet intégration ; les jeunes qui les fréquentent sont âgés de 16 à 20 ans. L’admission est indépendante du statut, déclaré ou illégal. L’enseignement ne comprend pas que des branches scolaires (mathématiques, français, bureautique), mais aussi des cours de santé sociale (découverte d’institutions à la disposition des gens, p. ex. centre de planning familial, centre d’information, de prévention et de traitement des addictions, etc…). Soit les classes se déplacent pour visiter les institutions en question, soit elles reçoivent la visite d’une intervenante ou d’un intervenant ; parmi ces intervenants, il y a aussi des migrantes et migrants qui viennent témoigner d’une intégration réussie, afin que les jeunes soient stimulés par le récit de parcours modèles.

Comment les jeunes entendent-ils parler de la classe JET et quel est leur arrière-plan ?

Le plus souvent, les jeunes qui viennent suivre les cours de la classe JET en ont entendu parler de bouche à oreille. Lorsque la structure a démarré, c’étaient les services sociaux, le Centre social protestant ou encore Caritas qui conseillaient cette formation aux jeunes migrants. A présent, les jeunes y viennent d’eux-mêmes.

Parmi ces jeunes, il y en a qui sont en situation illégale…

Oui, il y a des jeunes issus de la migration récente qui sont en situation illégale : ils sont arrivés en Suisse suite à un regroupement familial, ou alors ils sont au bénéfice d’une admission provisoire n’ayant pas débouché sur une autorisation de séjour.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par ces jeunes ?

La difficulté principale à laquelle sont confrontés ces jeunes, c’est la crainte de la police, des contrôles d’identité, du renvoi. En raison de leur situation instable, ces jeunes se retrouvent limités dans leurs mouvements (pas de voyages de classe à l’étranger) ; enfin, cette incertitude pèse sur le moral, car l’accès à une formation professionnelle leur est refusé. Celles et ceux qui réussissent à aller au lycée disposent d’un délai supplémentaire de trois ans, tandis que ceux qui n’ont pas cette perspective éprouvent davantage de pression.

Que ressentez-vous vis-à-vis de ces jeunes ? Y a-t-il une personne qui vous ait particulièrement marqué ?

Les élèves sont à chaque fois d’une grande richesse. Ils manifestent beaucoup de volonté et de talents dont la société aurait tout bénéfice. Je me souviens en particulier d’une jeune fille originaire d’Afrique, âgée de 18 ans, qui a effectué une année dans une classe JET. Comme elle était douée, elle a pu suivre une formation commerciale de 3 ans. Sa famille n’étant pas là, elle vivait seule dans un studio. Tous les 6 mois, la police arrivait à son studio à l’improviste, vers 6h du matin, pour lui dire de partir. Or, cette jeune fille avait un ami possédant un permis C, qui était prêt à l’épouser. Elle s’y refusait toutefois, ne voulant pas épouser quelqu’un pour des papiers. Alors que je faisais des démarches en sa faveur pour faire diminuer la pression, sa demande de séjour lui a été refusée. Ce qui ne l’a pas empêchée de terminer son diplôme et de le réussir. Ensuite seulement elle s’est mariée et est aujourd’hui secrétaire trilingue. Cette jeune fille a un parcours d’autant plus remarquable qu’elle était venue en Suisse pour fuir un réseau de prostitution en Italie. Malheureusement, le système suisse d’admission des étrangers pousse au mensonge. Les autorités sont suspicieuses et les rapports avec la police s’en trouvent pollués.

Que pensez-vous personnellement de la situation des jeunes en situation illégale et que préconiseriez-vous ?

Un grand nombre de jeunes en situation illégale travaillent dans l’ombre et ne suivent jamais de cours de type JET. On ne sait pas le nombre de ces jeunes.
A mon avis, il faut partir de l’idée que ces jeunes restent et travaillent. Comme on est content de les utiliser dans le travail au noir et au gris (où ils paient impôts et assurances), il y a une grande hypocrisie à maintenir la situation telle qu’elle est actuellement. J’estime que le droit à la formation est un droit fondamental, comme le droit à la liberté de mouvement et à la liberté d’expression. Dans les années 90, lorsque le canton a autorisé les enfants de saisonniers à aller à l’école, c’était parce qu’une distinction avait été opérée entre droit à l’éducation et droit au séjour. Aller à l’école ne donnait pas le droit de rester en Suisse, mais l’interdiction de rester en Suisse n’impliquait pas l’interdiction de l’école.
Dans la situation qui nous occupe, et aussi pour répondre aux craintes de ceux qui redoutent un afflux massif de personnes en situation illégale, il faut séparer droit à la formation et droit de séjour. Les gens peuvent et doivent se former, mais pas forcément rester. L’investissement consenti par la Suisse en matière de formation peut ainsi être vu comme une aide au développement.

* Pascal Helle, marié et père de 3 enfants, est né en France en 1951. Il travaille comme enseignant depuis 1973, d’abord en foyer d’éducation pour adolescents en difficultés sociales, puis en classe d’accueil. Il est conseiller général à Neuchâtel depuis 2006 (Solidarités).
Pascal Helle a écrit un petit ouvrage intitulé « Faut-il avoir peur des étrangers ? », publié aux Editions de l’Hèbe en 2004 et qui répond à des questions telles que : y a-t-il plus de délinquants parmi les étrangers, trop d’étrangers dans une classe en péjore-t-il les conditions ? Etc…