La Chaux-de-Fonds.  Théo Buss a été de tous les combats pour la défense des opprimés au nom de ses valeurs chrétiennes et de son idéal de justice. Rencontre avec un théologien de la libération, et député du parti SolidaritéS au Grand conseil neuchâtelois (2010-2013).

Le décès récent  d’Hugo Chavez l’a affecté, mais il se console en observant l’évolution politique en Amérique Latine. « Dans les années 70-80, les pays de la région étaient sous le joug de dictatures militaires féroces. Trente ans plus tard, la démocratie a triomphé presque partout ». Le Chaux-de-Fonnier a été témoin et acteur des luttes menées par ces peuples bâillonnés pour se libérer de leurs tyrans. « J’ai vécu la période troublée durant la dictature militaire de Banzer en Bolivie et assisté à deux coups d’Etat. Pasteur au service d’une Eglise méthodiste, j’ai soutenu les grévistes de la faim et contribué à la création de l’Assemblée permanente des droits humains».

 

Suisse complice

Le journaliste qu’il était aussi a témoigné des exactions commises en Bolivie dans un ouvrage intitulé « La Bolivie sous le couperet». Il y dénonçait notamment la complicité de la Suisse qui alimentait en armes lourdes et légères le régime. Des photos exclusives prises clandestinement illustraient son propos. Des chars Mowag  patrouillaient dans La Paz et des fantassins  menaçaient la population avec des fusils d'assaut SIG, sans parler des avions Pilatus qui la bombardaient.

 

Théo Buss a exercé son ministère de pasteur et théologien de la libération dans cinq pays. C’est au Locle qu’il a débuté son parcours de pasteur. « De 1970 à 1977, ce fut l'une des périodes les plus heureuses de ma vie». Il a d'abord travaillé comme manoeuvre dans cette ville ouvrière durant six mois à la Dixi. « Je voulais vivre au plus près la condition de mes futurs paroissiens là où ils travaillaient ». Maîtrisant autant l’espagnol que l’italien, il n’avait eu aucune difficulté à entrer en relations avec ses collègues d’atelier. « J’avais appris l’espagnol à Madrid sous Franco. Le matin j’étais  aux  cours et l’après-midi je manifestais avec les étudiants. A la Dixi, je me suis aperçu que ces ouvriers du sud étaient plus syndiqués que les Suisses ».

 

C’est au Locle qu’il prend part pour la première fois à une lutte sociale en Suisse. « J’ai participé à la mise en place d’un comité de défense de l'emploi suite à des licenciements aux FAR (Fabriques d'assortiments réunies, disparues entre-temps) ». Le citoyen du monde Théo Buss milite parallèlement pour l’émancipation des damnés de la terre souffrant aux quatre coins de la planète. « A force de parler du tiers monde et de m’engager contre les dictatures à distance, j’ai voulu me rendre sur le terrain ». Théo Buss s’envole pour la Sicile, la Bolivie, le Nicaragua. Il mène une vie un peu nomade, effectuant  au gré de ses mandats des allers et retours fréquents entre la Suisse et les pays du sud : il fut engagé au Service d'information tiers monde à Lausanne (aujourd'hui Infosud), au Conseil oecuménique des Eglises à Genève, et au secrétariat romand de Pain pour le prochain. «Je vais là où est la vie, là où il y a des pulsations fortes. Aux côtés des opprimés, ma conscience politique s’est aiguisée ».

 

Théologie de la libération

Théo Buss a acquis une large vision du monde qui lui permet de comprendre les mécanismes mis en place par le capitalisme pour produire des richesses sur le dos des démunis. Comme formateur d'adultes, il partage son analyse avec ses interlocuteurs. «Au Nicaragua, des gens m’ont dit qu’ils avaient désormais compris pourquoi ils étaient pauvres».

 

« A Cochabamba en Bolivie et à Managua au Nicaragua, j'ai participé à la formation de laïcs et de théologiens, les informant sur le mouvement oecuménique et la théologie de la libération. » Ce globe trotter de la justice dit avoir beaucoup reçu des contacts noués aux quatre coins de la planète. Il a visité au moins 80 pays dans les cinq continents. Une personnalité parmi tant d’autres l’a durablement marqué. « J’ai eu l’immense privilège de rencontrer Nelson Mandela, un homme extraordinairement lumineux malgré tout ce qu’il a subi. »

 

Un motif de fierté

Ce pasteur et formateur se sent parfois isolé au sein de la communauté des chrétiens. « Les Eglises sont trop réservées, il arrive trop rarement qu’on entende une déclaration ou un sermon engagés dans le monde ». Qu’à cela ne tienne, rien ne peut ébranler sa foi et son désir de justice. Théo Buss n’a de cesse de construire les fondations d’un monde meilleur. Il est l’un des fondateurs d’Amnesty International dans le canton, mais son principal motif de fierté est ailleurs. «J’ai participé à la création des Magasins du Monde, et le Locle fut la troisième ville en Suisse à en ouvrir un après Genève et Lausanne». Théo Buss n’exerce plus son ministère dans une paroisse, mais il n’y a pas de retraite quand on a consacré sa vie à dénoncer et à combattre les injustices. « Je me suis rendu en Israel et en Palestine en 2011 dans le cadre du Programme œcuménique d’accompagnement (EAPPI). Là, nous sommes trente volontaires répartis dans sept emplacements à observer et publier les violations des droits humains qu'endurent les Palestiniens, et après trois mois une autre équipe internationale prend le relais.

 

Avec des amis neuchâtelois, Théo Buss a fondé Orchidées, une association finançant les études universitaires d’une Nicaraguayenne. La boudrysane Christine Grüring en est la présidente, et le Chaux-de-Fonnier Rémy Cosandey, le caissier. « Cette femme suivait un programme de formation que je donnais dans son pays. Issue d’un milieu indigène mayangna très pauvre, elle m’avait fait part de sa frustration de ne pas pouvoir suivre des études de droit. C’est ainsi qu’est né Orchidées. Nous avons d’autres demandes de soutien de femmes nicaraguayennes mais nous manquons de fonds ».

CCP 10-766095-8 Orchidées. La Chaux-de-Fonds. /APR

 

(adaptation de l'article d'Alain Prêtre, repris des deux éditions du Courrier neuchâtelois du 20 mars 2013)