Solidaires et internationalistes !

Union syndicale Solidaires

25 janvier 2011

(les notes se trouvent en fin de texte)

 

La mort tragique de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre dernier, a été le point de départ d’une vague de luttes sans précédent depuis les combats pour l’indépendance. Cet acte symbolisait, en effet, tous les maux dont souffre la Tunisie depuis des dizaines d’années. Il s’agissait d’un jeune, qui comme tant d’autres, n’avait aucune réelle perspective d’emploi et devait donc se contenter pour survivre d’un petit boulot. Des millions de Tunisien-ne-s se sont reconnu-e-s en lui, et notamment des jeunes, même bardé-e-s de diplômes.

L’évènement qui a déclenché son geste était la saisie de son stock de fruits et légumes par la police, sous prétexte qu’il les vendait sans autorisation. Et peut-être surtout, le fait qu’il a été publiquement humilié et frappé par l’administration lorsqu’il a tenté de récupérer son stock. Subir de telles pratiques arbitraires a été le lot quotidien des Tunisiens pendant des dizaines d’années. Pour chercher à les éviter, il était préférable de prendre une carte du parti au pouvoir (le RCD), de graisser la patte à la mafia et afficher ostensiblement la photo du président.

Pendant des années, ce système a réussi à fonctionner : la grande majorité de la population vivait terrorisée par une police dont l’effectif était supérieur au nombre d’enseignant-e-s, renseignée par une multitude de délateurs bénéficiant en retour de quelques miettes. Des dizaines de milliers de personnes ont vu leur vie brisée par la prison et la torture.

 

L’aboutissement d’un cycle de luttes

Ce seul geste désespéré de Mohamed n’aurait vraisemblablement pas débouché sur une révolution s’il ne s’était pas inscrit dans le cycle inauguré par les luttes du bassin minier de Redeyef-Gafsa en 2008. Celles-ci symbolisaient également toutes les tares du régime, mais n’avaient pas pu être relayées, à l’époque, par des luttes comparables dans le reste du pays. On y retrouvait pourtant des ingrédients semblables :

Un chômage massif, lié à une mécanisation forcenée des mines de phosphates sans création d’emplois pour reconvertir la main d’œuvre dans cette région de mono-industrie, vers laquelle affluait naguère des travailleurs/ses de toute la Tunisie et même des pays voisins.

La corruption, avec un truquage par la mafia au pouvoir du concours de recrutement dans les mines, a été à l’origine d’une mobilisation massive de la population et en particulier de la jeunesse. La répression qui a suivi a été terrible (arrestations, torture, emprisonnement) frappant en particulier les syndicalistes locaux qui avaient aidé le mouvement spontané à s’organiser.

Dans la lutte contre la répression, se sont retrouvés au coude-à-coude des syndicalistes tunisien-ne-s refusant les compromissions avec le pouvoir, des avocats et des militant-e-s des droits de l’Homme. Dans les années qui ont suivi, plusieurs explosions sociales locales ont eu lieu, mais elles sont également restées isolées. Ces diverses luttes ont été soutenues à l’étranger par des organisations de la diaspora, des syndicats et diverses associations.

Fin décembre 2010, la peur a subitement changé de camp

Très rapidement après le geste du jeune de Sidi Bouzid, des mobilisations ont eu lieu sur place, puis dans d’autres régions. Ce mouvement a été marqué par plusieurs caractéristiques :

1. Les mots d’ordre des manifestations ont très rapidement évolué.
Au début dominaient l’émotion et la colère, puis rapidement se sont exprimées des revendications sociales : « Un travail est un droit ; un travail n’est pas une aumône ! ». Elles se sont combinées avec des revendications démocratiques : « Liberté ! Liberté ! », « Ministère de l’intérieur, ministère terroriste ! ».

Progressivement, les mots d’ordres ont pris un tour de plus en plus politique, dénonçant la mafia au pouvoir : « Bande de voleurs ! Trabelsi ! Bandits ! » (Trabelsi est le nom de famille de la femme de ben Ali) « Pas de présidence à vie ! », « Policier, réveille-toi ! Et rejoins la lutte ». Le tout étant synthétisé dans des slogans comme « Du pain, de l’eau, oui ; mais pas Ben Ali ! Ben Ali, dehors ! »

On n’a, par contre, pas entendu de slogans islamistes, contrairement à l’épouvantail agité depuis 23 ans par Ben Ali pour justifier sa dictature.

2. De multiples secteurs de la population sont entrés dans l’action : chômeurs/ses, syndicalistes, avocats, militant-e-s des droits de l’Homme, journalistes, féministes, artistes, lycéen-ne-s, étudiants, etc.

3. Ces mobilisations ont touché l’ensemble du pays, à la différence de ce qui s’était passé en 2008 avec celle du bassin minier de Gafsa, ou ensuite pour d’autres explosions locales.

4. Pour une fois, les mobilisations ont été connues assez rapidement à l’étranger, certains media allant jusqu’à comparer Ben Ali à un Ceaucescu tunisien. Leurs répercussions sont particulièrement importantes dans les autres pays arabes qui subissent de plein fouet les conséquences de la crise financière, ainsi que la politique du FMI et de la Banque mondiale.

5. Une partie de l’establishment politique international a prudemment commencé à prendre ses distances (USA, Union Européenne). Le gouvernement Sarkozy et une partie des socialistes ont persisté et signé jusqu’au dernier jour dans leur soutien à ce régime.

 

Les forces politiques en Tunisie

Une fois le dictateur parti, reste à définir comment le pouvoir doit être exercé et pour mener quelle politique.
Du temps de Ben Ali, un seul parti politique, le RCD, avait une réelle consistance, des locaux, des milices et de l’argent : celui des deux présidents qui se sont succédé depuis l’indépendance. Le RCD est plus qu’un parti : il a été pendant une quarantaine d’années un parti-Etat, combinant les traits des anciennes dictatures d’Europe de l’Est, et une politique néolibérale étroitement liée à celle du monde occidental.

Ce système a permis un véritable pillage du pays par la famille et la belle-famille du Président. Il a également permis l’entretien d’une nombreuse « clientèle » cherchant à s’enrichir, ou tout simplement survivre en acceptant, en échange, de chanter les louanges du régime ou de participer au flicage du reste de la population. Tout cela n’a pas empêché le RCD d’être, pendant des années, la section officielle de l’Internationale socialiste !

Dans ce type de système mafieux, l’espace réservé aux autres partis politiques a été jusqu’à présent singulièrement réduit.

a) Les petits partis satellites du régime Ben Ali : leur principale fonction était de faire croire aux étrangers, cherchant des alibis pour soutenir la dictature, que le pluralisme existait. Ils ne jouent aucun rôle dans le débat politique actuel.

b) L’opposition légale acceptait périodiquement de « dialoguer » avec le pouvoir, en échange de quelques places de députés. La plupart ont cherché jusqu’à la fin à trouver des arrangements avec Ben Ali. Après sa chute, ils ont ensuite accepté, au moins momentanément, les places de ministre qui leur ont été offertes. On trouve dans cette catégorie :

• Ettajdid d’Ahmed Brahim (ancien PC tunisien ayant suivi une évolution comparable à celle de son homologue italien), étroitement lié en France à l’ATF (Association des tunisiens de France) ;

• le FDTL de Ben Jaafar (membre consultatif de l’Internationale socialiste et qui va certainement en devenir la section officielle après l’exclusion du parti de Ben Ali deux jours après sa fuite du pays) ;

• le PDP de Maya Jribi et Néjib Chebbi.

• On peut y ajouter le PSG, une toute petite formation issue de l’extrême-gauche. Elle a été très rapidement reconnue par les « nouvelles-anciennes » autorités, et défend le gouvernement mis en place au lendemain de la chute de Ben Ali.

c) L’opposition clandestine comportait deux courants principaux :

Les islamistes ont subi une répression impitoyable sous Ben Ali : 30 000 ont été jetés en prison et souvent torturés, la plupart des autres contraints à l’exil. Ne restaient en Tunisie, hors des prisons mais dans la clandestinité, que des militants d’Ennahda ainsi qu’un courant salafiste, essentiellement tourné vers la situation dans d’autres pays et en particulier l’Irak.

En ce qui le concerne, Ennahada nie vouloir utiliser la violence, et ce courant se prononce publiquement (comme lors d’un meeting à Paris le 15 janvier dernier) pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Sous la dictature, Ennahda n’a pas hésité à travailler dans le cadre de la Coalition du 18 octobre avec des forces de gauche légales résolument laïques (PDP, FDTL), ou même marxiste comme le PCOT. Ce courant suscite des craintes notamment chez les jeunes et les femmes, quant à la sincérité de son évolution en particulier sur la laïcité et les droits des femmes.

Plusieurs groupes ou réseaux, ayant joué pendant des années un rôle majeur dans les luttes contre l’ancien régime, en particulier dans le cadre de l’UGTT et de l’UGET [1], se sont récemment regroupés sous le nom de « Front du 14 janvier ». Ce sont pour la plupart des courants d’origine marxiste-léniniste (comme par exemple le PCOT), trotskyste ou nationaliste arabes de gauche. Ancien marxiste-léniniste, et pendant un temps Président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, Moncef Marzouki (CPR) ne participe pas à ce front.

Est venu s’ajouter, en 2004, « Tunisie verte » de Zitouni, étroitement lié aux partis Ecologistes européens.

 

Un puissant mouvement social

Comme souvent dans les dictatures, c’est le mouvement social qui a joué, dans les faits, le rôle de contrepouvoir.

On y retrouvait l’essentiel de celles et ceux osant depuis des dizaines d’années tenir fièrement tête à la dictature : syndicalistes, militants de la gauche clandestine ou légale, avocat-e-s, étudiant-e-s, féministes, artistes, journalistes, militant-e-s des droits de l’Homme, etc.

Un grand nombre avaient connu la prison et/ou la torture, et ne renonçaient néanmoins pas à la lutte, n’hésitant pas à défier ouvertement les flics et les mouchards qui les suivaient à la trace. Beaucoup se connaissaient de longue date et constituent un maillage complexe où s’entremêlent appartenances politiques actuelles ou passées, liens familiaux, origines géographiques, etc. Citons pêle-mêle :

Les Associations de défense des droits de l’Homme, résultant d’une alchimie complexe entre avocat-e-s, syndicalistes, ex-prisonnier-e-s politiques, intellectuel-le-s, membres d’organisations politiques légales ou illégales : LTDH (Ligue tunisienne des droits de l’Homme), CNLT (Conseil national pour les libertés en Tunisie, AISPP (Association internationale de soutien des prisonniers politiques, Liberté et équité, ALLT (Association de lutte contre la torture en Tunisie), Amnesty International, etc.

Des associations féministes, comme l’ATFD (Association tunisienne des femmes démocrates) essentiellement animée par des intellectuelles laïques très opposées aux islamistes.

Des journalistes et des internautes parvenant à contourner des médias relayant la propagande du régime.

Des artistes dissident-e-s, comme le fameux « Al Géneral », des associations cinématographiques comme la FTCC, la FTCA, ou venant du monde du théâtre, regroupées depuis 1999 autour d’une plateforme d’action culturelle alternative et anticapitaliste.

Au sein de ce mouvement social, une place centrale revient au mouvement syndical dont les structures animées par des opposants à Ben Ali ont souvent servi, grâce à leurs ressources militantes et leurs locaux, de base arrière au reste du mouvement social.

 

Le rôle du mouvement syndical

L’UGTT, la centrale syndicale unique, a été la matrice du mouvement national tunisien du temps de la colonisation. En Tunisie, tout le monde se réclame de Ferhat Hached, un des fondateurs du syndicalisme tunisien, assassiné en 1952 par l’extrême-droite colonialiste avec le concours des services secrets français. L’UGTT est largement issue de la CGT française, mais une rupture est intervenue avec elle autour de la deuxième guerre mondiale après-guerre, suite au refus du PC et du PS de la revendication d’indépendance. L’UGTT s’est alors rapprochée du courant nationaliste incarné par Bourguiba, par ailleurs affilié à l’Internationale socialiste. De cette histoire résultent des relations complexes entre l’UGTT et l’Etat tunisien.

Une fois au pouvoir, Bourguiba a cherché à utiliser le prestige de l’UGTT pour asseoir sa domination, d’où un tiraillement perpétuel de l’UGTT entre deux grands courants non formalisés :

Un courant de soumission au pouvoir pouvant aller à certains moments jusqu’à une quasi-intégration dans l’appareil d’Etat. Il en découlait une série de prébendes, comme par exemple des postes de députés. En retour, la direction confédérale appelait à voter aux élections pour le parti au pouvoir, et cherchait à freiner les luttes, voir les combattre.

Un courant de résistance au pouvoir, contrôlant certaines fédérations comme les puissantes fédérations de l’enseignement ou celle des postes et télécommunications ainsi que certaines unions interprofessionnelles régionales ou locales. Les locaux de ces structures servaient souvent de base arrière à une grande partie de l’opposition sociale et/ou politique. Ce courant a joué un rôle décisif dans les grèves, rassemblements et manifestations qui ont entraîné dans la chute de la dictature.

Entre les deux, toute une palette de positions oscillant entre l’une et l’autre position.

Donnons deux exemples : Le secrétaire de l’UGTT pour la région de Gafsa était simultanément député du parti de Ben Ali et patron d’entreprises effectuant des travaux de sous-traitance pour les mines de phosphates. Il était personnellement impliqué dans les magouilles concernant les recrutements dans les mines au profit de membres de sa tribu. Face à la mobilisation populaire contre cette injustice, il a tout simplement suspendu les syndicalistes locaux qui s’y étaient impliqués. Et pour couronner le tout, il a été officiellement soutenu par la direction nationale de la centrale syndicale, dont le responsable chargé du dossier était de la même tribu que lui, et présentait les mobilisations populaires comme l’œuvre de dangereux extrémistes ! Le feu vert était ainsi donné à la répression contre des membres de sa propre organisation syndicales qui se sont retrouvés emprisonnés et pour certains d’entre eux torturés. Mais simultanément une autre partie de l’UGTT, dont les syndicats de l’enseignement et celui des postes & télécommunications [2] a pris fait et cause pour les inculpés de Redeyef-Gafsa. Finalement, la centrale a été contrainte de redonner leurs mandats syndicaux aux syndicalistes de Redeyef la veille de l’ouverture du procès, puis de leur apporter un soutien financier ainsi qu’à leur famille.

L’Union régionale de Tunis est, comme il se doit, la principale structure interprofessionnelle de l’UGTT. [3] Longtemps inféodée au pouvoir, elle avait récemment basculé vers une critique, au moins partielle du régime. Il n’était pas étonnant que, dans ces conditions, elle appelle le 27 décembre à un rassemblement sur la prestigieuse place faisant face au siège de l’UGTT. Cela lui a valu un désaveu public du secrétaire général de l’UGTT, dénonçant nominalement le secrétaire général du syndicat de l’enseignement secondaire qui y avait pris la parole, ainsi que les slogans hostiles à Ben Ali scandés par les manifestants [4]. Signe des temps, avait été mis en ligne sur un des sites de la centrale le communiqué intersyndical français du 30 décembre qui dénonçait clairement le régime, et soutenait nettement les syndicalistes ayant manifesté le 27 décembre [5]. Après un vigoureux débat interne, le balancier est reparti dans l’autre sens : le 4 janvier sortait une déclaration soutenant le mouvement [6], puis le 11 [7] un appel laissant aux structures locales la liberté d’appeler à des grèves régionales et sectorielles sur tout le territoire. Trois représentants de l’UGTT avaient été désignés par le secrétariat général pour siéger dans le premier gouvernement ayant suivi la chute de Ben Ali. La Commission administrative de l’UGTT leur demandait dès le 18 de démissionner [8], et exigeait le 21 [9] la démission du gouvernement.

 

Le rôle de la solidarité internationale

Pendant de longues années, des exilé-e-s tunisien-ne-s ont patiemment participé à la construction d’organisations de solidarité aux luttes et de défense des droits de l’Homme, comme par exemple la FTCR ou le CRDLHT [10]. Refusant tout repli communautariste, résolument laïques, ils ont inlassablement cherché à y faire participer des militants originaires d’autres pays. Disposant d’une double culture, et parfois d’une double nationalité, ils et elles étaient en effet conscient-e-s qu’une partie de la lutte se jouait au sein de l’ancienne puissance coloniale. Face à l’étroitesse des liens économiques, politiques et financiers entre les possédants et politiciens des deux rives, il était indispensable d’isoler le régime de Ben Ali grâce à l’action convergente des exploités, opprimés et défenseurs des droits de l’Homme des différents pays.

Afin de contourner la censure, ils et elles ont rassemblé des informations, publié une documentation pédagogique, organisé des rencontres, des rassemblements, des manifestations, etc. Ils et elles ont beaucoup contribué, en compagnie d’organisations françaises et d’originaires du Maroc, à la constitution des collectifs Maghreb solidarité et Sidi Bouzid auxquels participe également Solidaires. Ils et elles ont beaucoup aidé les syndicats français à s’impliquer dans ce combat.

 

Le syndicalisme français et la Tunisie

Les liens entre le syndicalisme français et le syndicalisme tunisien sont anciens. Compte tenu de notre histoire récente, les liens de l’Union syndicale Solidaires sont moins anciens. Ils reposent sur des échanges irréguliers avec quelques structures clairement opposées au pouvoir comme, depuis 2002, avec celles des PTT, puis depuis 2008 avec celles de l’enseignement, de Redeyef, etc. Une accélération s’est récemment produite sur le plan sectoriel. En février 2011, un syndicaliste tunisien travaillant en centre d’appels participe, par exemple, à un atelier sur ce secteur lors du Forum social mondial de Dakar.

Cette accélération s’est également produite entre centrales syndicales françaises, avec la constitution, il y a environ deux ans, d’un collectif syndical de soutien aux luttes en Tunisie regroupant la CGT, la CFDT, la FSU, l’UNSA et Solidaires , auxquels s’est ajouté tout récemment FO [11]. Les organisations animées par les exilés tunisiens ont joué un rôle majeur dans la mise en place du collectif intersyndical français, organisé méticuleusement nos voyages en Tunisie, nous relançant à chaque fois lorsque cela était nécessaire. Ensemble, les centrales françaises ont effectué quatre ou cinq déplacements à Gafsa, accompagnés d’échanges passionnants à Tunis avec diverses structures de l’UGTT, la LTDH, des avocats, etc. L’accueil de la direction confédérale de l’UGTT s’est en général limité au « minimum syndical ». Elle a même refusé une fois de recevoir l’intersyndicale française, déclarant qu’elle considérait sa venue comme un acte hostile envers elle.

 

Construire le mouvement de solidarité

Le sort de la Tunisie repose fondamentalement sur le développement de la mobilisation populaire sur place. Mais les militant-e-s tunisien-ne-s de Tunisie et de France ont, plus que jamais, un besoin urgent de la solidarité du mouvement syndical français. Ils et elles attendent notamment de nous que nous accentuions la pression sur les autorités françaises, qui se sont compromises, jusqu’au dernier jour, avec Ben Ali : la ministre Alliot-Marie allant jusqu’à proposer à Ben Ali l’aide de la police française ! [12]

Le gouvernement et le patronat français font aujourd’hui leur possible pour que l’ancien régime continue à exister, même sans le dictateur. Ils sont en effet étroitement liés à la mafia qui a pillé le pays pendant des dizaines d’années : grâce à la pression conjuguée du chômage et de la répression, ils ont pu disposer d’une main d’œuvre qualifiée à bas prix. Pour eux tout cela doit continuer.

Si l’avion de Ben Ali a du rebrousser chemin, c’est uniquement parce que le gouvernement français avait peur des mobilisations. Il évite ainsi d’avoir à répondre dans un proche avenir à des demandes d’extradition. Si des mesures ont été annoncées contre les capitaux liés au régime de Ben Ali, c’est pour la même raison, à nous d’agir pour qu’elles soient effectivement appliquées. Aux militant-e-s de Tunisie et France de faire en sorte également que les biens des Ben Alistes dans ces deux pays soient restitués au peuple tunisien.

L’articulation entre nos différents partenaires n’est pas toujours de la plus grande simplicité. Le courant laïque de gauche incarné depuis des années par la FTCR et le CRLDHT a, par exemple, accepté fin décembre de travailler pour la première fois avec Ennahda dans le cadre du collectif Sidi Bouzid. Cela a rendu plus difficile la jonction avec des regroupements de jeunes tunisiens présents en France, notamment des collectifs d’étudiant-e-s, jaloux de leur autonomie, assez féminisés, réticents ou hostiles à un travail avec Ennhada. Ces contradictions sont présentes dans les différentes initiatives de solidarité et recoupent aussi en partie des questions de générations.

 

Quelques mesures d’urgences

La plupart des organisations tunisiennes présentes en France se sont mises d’accord pour défendre ensemble un certain nombre de revendications immédiates. Plusieurs organisations françaises, dont l’Union syndicale Solidaires, ont décidé de les soutenir dans leur démarche. Cette plate-forme repose sur les points suivants :

Droits démocratiques
• Amnistie générale et droit au retour de tous les exilés.
• Mise en œuvre immédiate de la liberté de la presse, de la liberté d’association et mise à disposition des associations des moyens de leur libre expression et de leur libre fonctionnement, mise en œuvre immédiate de la liberté de réunion et de manifestation.
• Reconnaissance de tous les partis politiques sans exception.

Démantèlement de l’Etat-parti
• Restitution des biens publics à l’étranger accaparés par le RCD avec, par exemple, la mise à disposition du local parisien du 36 rue de Botzaris aux associations démocratiques tunisiennes
• Séparation stricte de l’Etat et du RCD, ce qui implique la saisie des locaux du RCD, la fin de la mise à disposition des moyens de l’Etat en personnel, voitures et locaux, la dissolution des cellules professionnelles du RCD.

Epuration et réparation
• Arrestation, mise en accusation de tous les responsables d’exactions contre les manifestants, les syndicalistes et les militants politiques
• Commission d’enquête réellement indépendante sur les exactions commises et indemnisation des familles des martyrs de la liberté
• Blocage des biens de la famille Trabelsi et de l’entourage du dictateur Ben Ali, commission d’enquête indépendante sur la corruption et la mise en œuvre des procédures tant nationales qu’internationales pour récupérer les biens volés au peuple tunisien

Mesures en faveur des chômeurs
• Mise en place de mesures financières immédiates en faveur des chômeurs et particulièrement des chômeurs diplômés.

Droits des femmes
• Préservation des libertés et droits acquis des femmes notamment par le CSP (Code du Statut Personnel) et leur élargissement.

Mise en place d’un nouveau régime
• Un processus constitutionnel transparent et démocratique avec la mise en place d’un débat large pour l’élaboration d’une nouvelle Constitution mettant fin au régime présidentiel anti-démocratique de 1959, l’élection d’une Assemblée constituante et la soumission à ratification du peuple par référendum de cette nouvelle Constitution.

 

Union syndicale Solidaires

Notes

[1] UGET : Union générale des étudiants tunisiens

[2] En 2009, le syndicat général de l’enseignement secondaire comptait 55 000 membres, pour un effectif total de 82 000 salariés. Le taux de syndicalisation à la poste et aux télécoms était de l’ordre de 50 %.

[3] L’agglomération de Tunis compte environ 3 millions d’habitants, pour une population tunisienne de 10 millions.

[4] Article paru dans la presse le 28 décembre et mis en ligne sur le site de la centrale www.echaab.info.tn/news.asp ?.... Voir sur ESSF : Rassemblement de syndicalistes, à Tunis, en l’absence des cadres de l’UGTT

[5] Déclaration de l’intersyndicale française du 30 décembre http://www.echaab.info.tn/news.asp?...

[6] Déclaration UGTT du 4 janvier www.ugtt.org.tn/userfiles/D%...

[7] Déclaration UGTT du 11 janvier www.ugtt.org.tn/userfiles/fi.... Voir sur ESSF : Déclaration

[8] Déclaration UGTT du 18 janvier www.ugtt.org.tn/fr/actualite... Voir sur ESSF : Déclaration de la Commission Administrative nationale

[9] Déclaration UGTT du 21 janvier www.ugtt.org.tn/fr/actualite... Voir sur ESSF Déclaration de la Commission Administrative Nationale

[10] Fédération des tunisiens pour une citoyenneté des deux rives www.citoyensdesdeuxrives.eu
Comité pour le respect des droits de l’Homme en Tunisie
www.crldht.org
Tarek Ben Hiba t.benhiba
@gmail.com
Mouhieddine Cherbib cherbib
@gmail.com
Kamel Jendoubi kjendoubi
@wanadoo.fr

[11] Voir par exemple le communiqué du 20 mai 2010 http://www.europe-solidaire.org/spi... Gafsa-Redeyef : une solidarité toujours d’actualité
Voir aussi la déclaration du 13 janvier 2011
www.solidaires.org/article34... Disponible sur ESSF : France : Solidarité syndicale avec le mouvement social tunisien

[12] Une sélection de déclarations de responsables politiques français est disponible sur www.europe-solidaire.org/spi... Ben Ali, leur ami

* « Solidaires et internationalistes ! », Commission internationale, Numéro 31 ter – Janvier 2011.

* En complément à ce bulletin, vous pouvez retrouver les matériels liés à l’actualité internationale et le matériel de la commission internationale de Solidaires sur notre site à l’adresse suivante :
http://www.solidaires.org/article12...

 

(Source : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article19923)