Par Marie-Claude Martin / Photo: B. Boissonnet, Prisma

 

Les anti-IVG contre-attaquent partout dans le monde. En Suisse, certains voudraient que l’intervention ne soit plus prise en charge par les caisses maladie.

 

FEMINA : Dépénalisé en 2002, l’avortement refait débat. Cela ne finira donc jamais?

ELIANE PERRIN : En matière de mœurs, il y a deux types de loi. Celles qui ne font que légaliser un consensus social existant (la loi sur le divorce, par exemple), et celles qui sont sans cesse remises en cause parce qu’elles touchent à la vie ou à la mort: l’euthanasie, Exit, les cellules souche ou l’avortement. A-t-on le droit de choisir quand mourir et quand donner naissance? Pour la plupart des religions, la réponse est non. Mais ce qui complique les choses, ce sont les progrès de la science qui ont fait reculer les limites de ces deux extrêmes. Quand est-ce que l’on peut dire que l’on est vraiment mort? Et déjà vivant?

L’initiative ne porte pas sur l’avortement (un des taux les plus bas d’Europe) mais sur son coût. Un prétexte?

On en revient au: «Tu as péché, tu paies!». Ce qui est remis en cause, c’est la liberté des femmes et des couples à décider de faire ou pas des enfants, en prenant toutes leurs responsabilités. Au lieu de poser la question frontalement, on la pose par le biais de l’économie. L’ordre moral touche toujours la sexualité en premier.

Et ce sont les femmes qui en paieraient encore une fois le prix fort…

Des experts se sont déjà prononcés là-dessus: les économies produites seraient insignifiantes pour la collectivité et nos primes d’assurance ne baisseront pas. En revanche, si elle devait être validée, cette initiative pénaliserait fortement les femmes qui n’ont pas les moyens. De plus, elle cache un fond de xénophobie puisque la moitié des femmes qui avortent sont des étrangères, dont une bonne partie de migrantes en situation de grande précarité.

N’est-ce pas non plus glorifier la mère au détriment de la femme?

On assiste, il est vrai, à une glorification de la maternité comme aboutissement et épanouissement de la féminité. Si vous n’avez pas d’enfant, vous n’êtes pas tout à fait une femme. On peut néanmoins se rattraper par l’adoption, et cette initiative vise clairement à rouvrir le «marché» de l’adoption de «proximité». Elle réjouit tous les natalistes qui rêvent de faire d’une pierre deux coups: plus d’enfants et donc plus d’argent pour l’AVS.

En privatisant l’avortement, cette initiative ne menace-t-elle pas notre système de santé, basé sur la solidarité?

Si. En ce sens que celui qui est contre l’avortement décide qu’il n’est pas normal de payer pour un acte médical qu’il réprouve. Mais il y a d’autres possibilités thérapeutiques auxquelles on a droit aujourd’hui et qui ne font pas l’unanimité: les greffes d’organes, la trithérapie, la procréation assistée. Cette initiative non seulement moralise la santé, mais ouvre la porte à la contestation de toutes sortes de prestations qui créent des vies ou les prolongent.

 

Bio Express

La sociologue Eliane Perrin enseigne à la Haute Ecole de Santé Genève.

Elle vient de publier avec quatre autres chercheurs

«Contrôle de fécondité, avortement et contraception: la situation suisse»

aux Editions du Remue-Ménage, Montréal.

 

 

(source: Femina, 07.02.2010)