Dans la perspective des votations du 24 novembre 2013 sur le thème de la politique hospitalière, nous publions ci-dessous un texte relatif à l'histoire de la rénovation de l'hôpital de La Chaux-de-Fonds dans les années 1960. Il est extrait de la biographie d'André Sandoz, ancien Conseiller d'Etat


C'est trois mois avant l'élection d'André Sandoz au Conseil communal qu'un rapport proposant la rénovation et l'agrandissement de l'hôpital communal est présenté au Conseil général, aboutissement de cinq longues années d'études. Les défauts de l'hôpital sont mis en exergue: manque de place, salles trop grandes (jusqu'à dix lits !), pas d'isoloirs pour les mourants, pas d'eau courante dans les chambres, manque de salles de bains et de locaux de service, maternité trop petite... Le rapport conclut à la nécessité de placer dans de nouvelles constructions environ 300 lits de malades et 65 lits de personnel. Un crédit de 16.392.000 fr. est demandé, assorti d'une contribution spéciale de 3 à 7 % de l'impôt communal, la fameuse «taxe sur l'hôpital». Il ressort entre autres des débats qu'avec cette contribution spéciale on atteint un plafond fiscal qu'il ne faut pas dépasser.

Le 14 décembre 1960, lors de la discussion du budget, le conseiller communal Gérald Petithuguenin, en charge du dicastère, annonce le début des travaux pour le printemps 1961 et déclare que les pourparlers pour la création d'une école d'infirmières continuent. Le 21 novembre 1961, le même conseiller communal annonce au Conseil général que le coût de construction dépassera le budget, mais on ne sait pas dans quelles proportions. Il souligne que le crédit était déjà insuffisant au moment où il a été voté, car on savait que diverses augmentations allaient intervenir dans le secteur du bâtiment. La première pierre est posée le 27 juin 1962.
En février 1964, par un vote unanime, le Conseil général accorde un crédit pour la création d'une école d'infirmières ainsi qu'un droit de superficie de 3.000 m2.

Le 5 mai de la même année, le Conseil général donne son aval à une modification du règlement de l'hôpital, qui date tout de même de 1898 ! Il n'y aura pas de médecin chef général, mais un directeur (que jusqu'ici on se contentait de la dénomination d'intendant ou d'administrateur) qui aura, selon l'organigramme, autorité sur les médecins chefs de service.

Une augmentation des traitements des cadres médicaux est décidée par le biais du budget accepté le 21 décembre 1965, afin de «conserver des éléments de valeur». La conclusion d'un emprunt de 15 millions à 5 % a été décidée le 15 décembre. Cet emprunt est lancé en janvier 1966, «pour financer l'hôpital et les collèges», et rencontre un grand succès.

Le nouvel hôpital, «le plus grand ouvrage réalisé depuis l'amenée des eaux en 1887», est inauguré le 27 juin 1966, après bien des discussions et des passes d'armes gauche-droite à propos de son coût final. Au total 35 millions ! On s'exclame qu'en définitive l'hôpital ne coûte pas plus que deux Mirage (1)... et on consacre plus de temps à se chamailler sur le prix du gazon (à propos duquel un renvoi en commission est même demandé par un conseiller général PPN !) qu'à discuter l'importance des crédits qui sont tous acceptés à une large majorité.

Plus de 8.000 personnes se pressent aux visites organisées à l'intention du public. C'est bien sûr André Sandoz qui prononce le discours d'inauguration dont voici quelques extraits (2):

«Une collectivité d'abord, non point de rencontre, mais politiquement définie: celle que forme la population de La Chaux-de-Fonds (...). Ensuite, émanant de cette collectivité (...), une volonté non équivoque de réalisation financièrement contraignante, pour le présent et pour l'avenir. (...) Une collectivité qui s'affirme par son sens de la solidarité, parce qu'elle a compris (...) que la mise en oeuvre des principes constitue souvent la loi la plus féconde et la plus harmonieuse des entreprises collectives. Une collectivité enfin qui ne se laisse ni rebuter, ni intimider par la grandeur de la tâche à accomplir et qui préfère assurer le futur au prix des difficultés du présent plutôt que de sacrifier celui-là aux commodités que pourrait offrir celui-ci. Ce faisant, ne donne-t-elle pas la preuve de sa confiance en un avenir qui sera pour elle d'autant plus heureux qu'elle aura su mieux le préparer, dans un esprit de réalisme lucide mais aussi et surtout de confiance et d'audace.
Le nouvel hôpital, symbole qu'une collectivité s'offre à elle-même de son sens de la solidarité et de sa pérennité. Oui, sans doute. Mais plus que symbole, réalité vivante».

Jusqu'en 1970, on trouve encore épisodiquement des traces de l'hôpital dans les rapports et les procès-verbaux. Le 25 novembre 1970, un premier nouveau gros crédit de 572.000 fr. est voté pour le renouvellement partiel et l'extension de l'équipement du service de radiologie. André Sandoz n'est plus président, l'aventure de l'hôpital dans laquelle il est bien investi - il suffit de lire dans les procès-verbaux du Conseil général comme il prend la parole dans les moments délicats - va se poursuivre sans lui.
En 1987, portant un regard rétrospectif sur l'action de la commune à majorité de gauche, il émet les réflexions suivantes (3):
«Si je prends l'exemple de l'hôpital, il est à peu près certain qu'une majorité de droite aurait elle aussi construit un hôpital. Cela aurait-il été le même hôpital  ? Je ne le pense pas. Une majorité de droite aurait eu d'autres impératifs, d'autres critères de jugement. L'équilibre financier des opérations auxquelles ils s'intéressent paraît être un facteur beaucoup plus déterminant pour les responsables de la droite qu'il ne l'est pour nous; l'aspect social leur est moins évident ou du moins la compréhension qu'ils ont du phénomène social est marquée d'une autre sensibilité que la nôtre.
Que se serait-il produit dans le domaine de l'hôpital ? Probablement que l'on aurait construit un hôpital avec davantage de chambres individuelles et que le travail dans ce que l'on appelle les chambres communes aurait été réalisé dans des conditions beaucoup moins bonnes. Nous avons de nombreuses chambres communes qui ne dépassent pas quatre lits. Je pense que les chambres à six ou à huit lits auraient été plus nombreuses et que la médecine réservée à ceux qui peuvent se l'offrir et se la payer aurait été mieux servies par une majorité de droite que par une majorité de gauche»
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(Extraits de: Un socialiste chaux-de-fonnier au XXe siècle: André Sandoz 1911-2006 / Léo Bysaeth, Anne-Lise Grobéty, Marc Perrenoud, Loyse Renaud Hunziker. Neuchâtel, Ed. Alphil, 2007, pp. 114-117)

1) «Mirage»: avion militaire acheté dans les années 1960, dans des conditions qui entraînèrent la démission du conseiller fédéral Paul Chaudet. L'achat du  «Gripen» sera-t-il source d'une même mésaventure pour le conseiller fédéral Ueli Maurer ? (ndr)
2) Archives André Sandoz.
3) Mary-Jane Monsch, juin 1987, «La Chaux-de-Fonds, ville de gauche entre l'utopie et la gestion», mémoire présenté par l'auteure en vue de l'obtention du diplôme d'assistante sociale.