Cet article avait été publié initialement dans les «Cahiers d'histoire du mouvement ouvrier», no 15 (1999), publiés par l'Association pour l'étude de l'histoire du mouvement ouvrier (AEHMO). Il a été procédé à la correction de quelques erreurs de plumes (non rectifiées alors dans l'édition originelle. Par ailleurs, l'appareil de notes a été reformulé en fonction des normes utilisées actuellement dans les publications scientifiques (H.P. Renk)



«J'ose espérer que vous n'aurez pas l'impression, à supposer que vous me prêtiez une oreille bienveillante, que j'oublie la grave sévérité de l'histoire. Mais est-il possible de parler avec une froide impartialité, avec une indifférence supérieure et détachée, d'un homme qui a donné pour sa patrie tout ce qu'il pouvait lui donner, son temps, ses biens, sa vie, et qui n'a récolté pour finir que l'exil et la condamnation ?»
(Arthur Piaget, «Plaidoyer pour Alphonse Bourquin: conférence du 12 septembre 1931 à la Société d'histoire du canton de Neuchâtel, Corcelles», Musée neuchâtelois, 1931)



En 1998, le canton de Neuchâtel a commémoré la révolution du 1er mars 1848, qui en fit une république; mais d'autres événements du XIXe siècle mériteraient plus d'attention. Ainsi, nous manquons d'études consacrées à la révolution de 1831. Si, au début de ce siècle, l'archiviste cantonal Arthur Piaget en a étudié l'histoire, son ouvrage s'arrête fin septembre 1831 (1). Acteur de ces événements, Constant Meuron - né et mort à Saint-Sulpice (Val-de-Travers) - appartient aussi à la mémoire du mouvement ouvrier: en 1866, avec James Guillaume, il fonda la section de l'Association internationale des travailleurs (A.I.T.). Au cimetière de Saint-Sulpice, la pierre tombale de Constant Meuron porte toujours ces mots:
«Patriote et martyr, il vécut exilé
mais nos enfants liront son nom dans notre histoire
puissent-ils comme lui ne chercher d'autre gloire
que l'amour du pays et de la liberté !» (2), .
Cette épitaphe, qui ne signale nullement les convictions socialistes libertaires du défunt, a été démentie par la réalité. Sauf quelques articles occasionnels et une rubrique dans un ouvrage sur les différentes branches (patriciennes ou plébéiennes) de sa famille, Constant Meuron n'avait fait à ce jour l'objet d'aucune étude spécifique. Il est donc temps de lui rendre sa place dans l'histoire politique et sociale du canton de Neuchâtel. Si les archives de la Principauté de Neuchâtel (notamment les «Manuels du Conseil d'Etat» et la procédure contre les insurgés de 1831, qui contient des copies de la correspondance échangée entre Constant Meuron, sa femme et ses amis), ainsi que l'ouvrage de James Guillaume sur la Première Internationale (présenté par Marc Vuilleumier) ont représenté des sources importantes (et souvent uniques) pour nos recherches, nous devons pourtant déplorer les aspects lacunaires de la documentation existante (archives de famille, correspondance, témoignages, etc.). Des documents sont irrémédiablement perdus: ainsi, James Guillaume - qui s'était lié d'amitié avec Constant Meuron et son épouse, lors de son séjour au Locle - a fait détruire une partie de ses papiers en 1898. Ce constat avait déjà été fait par l'historien Charles Thomann, au moment où il rédigeait sa thèse sur «Le mouvement anarchiste dans les Montagnes neuchâteloises et le Jura bernois» (1947). Nous espérons cependant que cet article permettra d'ouvrir de nouvelles pistes et/ou archives.

Une jeunesse aventureuse

Rares sont les renseignements sur la famille de Constant Meuron. Son père, Daniel-Henri, péossédait une ferme à Saint-Sulpice. Membre des autorités locales, dès avant 1831, il faisait figure de contestataire parmi ses collègues: à plusieurs reprises, il critiqua la gestion communale, notamment celle de la caisse de charité (3). Enfin, contrairement à une opinion émise dans certains ouvrages sur la Fédération jurassienne de l'A.I.T., la branche de la famille Meuron à laquelle appartenaient Constant Meuron et son père ne portrait point la particule (4).
D'après le registre paroissial de Saint-Sulpice, Constant Meuron a été baptisé le 24 février 1804, deux jours après sa naissance. C'est à Cornaux qu'a été célébrée sa première communion, le 13 avril 1821. Quelques années plus tard, suite à un coup de tête de jeunesse, Constant Meuron s'engagea comme soldat à l'étranger. En 1832, devant le tribunal de Neuchâtel, il déclarait avoir servi deux ans en France dans la Garde royale, où il fut promu fourrier. La date de son retour au pays reste inconnue (au plus tard, lors du licenciement des régiments suisses au service de la France, après la révolution de juillet 1830). En 1831, Constant Meuron est associé dans un commerce de vins à Neuchâtel avec un dénommé Colin. Sa profession l'amena à se déplacer dans les cantons voisins, notamment celui de Fribourg, où il connut Emilie Fasnacht, sa future femme. En juin 1831, les archives de Saint-Sulpice publient «les bans de mariage entre Constant, fils de Daniel-Henri Meuron dit de Sicile, de Saint-Sulpice, et de Lucie Meuron née Piaget, et Emilie Fasnacht, fille de Samuel Fasnacht de Montilier, Canton de Fribourg, et de Josette Fasnacht née Saumy domiciliés rière Morat» (5). La direction de la police fribourgeoise fit de même le 1er juillet (6). Le 18 juillet, le mariage fut célébré en l'Eglise française de Morat (7). Constant Meuron s'établit alors à Montilier, bien qu'il ait conservé un pied-à-terre à Neuchâtel, chez Elie Prince, cafetier à la Grande Rue.

La première insurrection républicaine de septembre 1831

Après la révolution de juillet 1830 en France, des mouvements populaires avaient abouti à des révisions constitutionnelles dans plusieurs cantons suisses.
Dès 1831, une vague d'agitation déferla sur la principauté de Neuchâtel. Les institutions, mises en place lors de la restauration du roi de Prusse en 1814/1815, n'échappèrent donc pas à la critique. Parmi les revendications des contestataires: l'abolition des droits féodaux encore en vigueur dans plusieurs régions du pays (Gorgier et Vaumarcus) et la création d'un corps législatif représentatif, remplaçant les anciennes Audiences générales (créées en 1814). Le statut hybride du pays fut remis en cause: au printemps 1831, le général de Pfuel, commissaire royal extraordinaire, dut constater un fort impact des idées républicaines au sein de la jeunesse neuchâteloise.
Après les élections au Corps législatif (été 1831), De Pfuel fit savoir que le statut monarchique de Neuchâtel ne saurait être contesté, même si une majorité de la population se prononçait en faveur de l'émancipation. Dès ce moment, la question de l'insurrection fut posée parmi les républicains: ainsi, les 3 et 4 août, un rapport de police signale la distribution à Boudry, Bevaix, Cortaillod et dans la seigneurie de Gorgier, d'un appel aux patriotes neuchâtelois signé «Un vieil hermite du Jura». Si plusieurs députés libéraux au Corps législatif prônaient une stratégie légaliste, un groupe de «jeunes gens enthousiastes et résolus (...) décidèrent, en dépit des conseils des sages et des prudents, de prendre les armes le 12 septembre» (8). Réunis à Rochefort en août 1831, ils nommèrent le lieutenant Alphonse Bourquin chef militaire du soulèvement. Le 13 septembre 1831, à 5 h. 30 du matin, 450 hommes - chantant La Parisienne (hymne à la gloire de la révolution de juillet 1830) - entrèrent sans rencontrer de résistance au Château de Neuchâtel. Le Conseil d'Etat se retira à Valangin, puis en direction du Locle, avant de regagner le chef-lieu. Après avoir forcé l'arsenal et mis leurs canons en batterie, pointés sur la ville de Neuchâtel, les occupants du château nommèrent un gouvernement provisoire de 9 membres (en majorité des députés libéraux au Corps législatif). «Tous refusèrent, sauf deux. Ils eurent peur. Ils n'osèrent se compromettre. La bande de jeunes gens qui occupaient le château les effrayaient par leur audace. Ils pesèrent et soupesèrent les chances de succès et, par leur refus, donnèrent le coup de grâce à la Révolution» (9). La situation des insurgés devenait difficile: après la formation du camp royaliste de Valangin, le gouvernement de la Principauté demanda l'intervention de la Diète fédérale. Les deux commissaires de la Diète fédérale - Sprecher von Bernegg (Grisons) et Anton Tillier (Berne) - furent suivis par 3 bataillons suisses commandés par le colonel saint-gallois Joachim Forrer. Les négociations ouvertes sous l'égide de ces commissaires aboutirent à l'évacuation du Château par les républicains le 29 septembre 1831
Constant Meuron faisait-il partie du noyau initial des insurgés ? Seul élément d'appréciation connu: en avril 1831, devant le tribunal criminel de la ville de Neuchâtel, il déclara selon les termes du procès-verbal qu'«il n'était pas avec la troupe de Bourquin le 12 sept. il l'a rejoint ultérieurement, à cette époque il était domicilié en cette ville, qu'il y exerçait la profession de distillateur». Quant à ses fonctions, il répondit «qu'il n'y avait point de grade, qu'il n'a jamais été reconnu par eux en qualité d'officier, qu'il y a demeuré jusqu'à la fin, qu'il a signé deux pièces & que du reste on l'appelait lieutenant, qu'il a participé avec eux à l'ensemble de leurs complots et de leurs crimes» (10). Le premier document, daté du 21 septembre 1831, est une proclamation refusant l'évacuation du Château de Neuchâtel: le chancelier et pamphlétaire royaliste François-Auguste Favarger caractérisa les auteurs de ce texte comme des «écervelés ayant pour eux la faveur de la soldatesque» (11). Le deuxième document est la charte d'une association patriotique, formée par 23 chefs insurgés - Alphonse Bourquin en tête -, s'engageant à reprendre les armes si le gouvernement n'organisait pas une votation sur le statut de Neuchâtel (12).

De la sortie du Château à l'insurrection de décembre 1831

Nommé gouverneur de Neuchâtel, le général de Pfuel procéda à une sérieuse reprise en main. Le 12 octobre 1831, la majorité du Corps législatif refusa d'organiser une votation sur le statut de Neuchâtel. Les communes furent sommées de se soumettre, sous peine d'occupation militaire. Enfin, les autorités exigèrent la restitution de l'équipement emporté par les républicains à leur sortie du Château, le 29 septembre. Durant le mois d'octobre, Constant Meuron se déplaçait entre Neuchâtel et Montilier. Le 17 octobre, il écrivit à Auguste Cugnier (l'un des chefs militaires des occupants du Château): «Je suis en peine pour ta vie, on me dit que les choses y sont bien dérangées pour les patriotes, je te recommande de la prudence et de la fermeté» (13). Sage conseil: une semaine plus tard, Constant Meuron aurait expérimenté à ses dépens l'atmosphère tendue d'un chef-lieu à majorité royaliste. Le 23 octobre 1831, «à 9 heures du soir une très forte agitation se manifesta à Neuchâtel. (...) Un certain Meuron du Val-de-Travers fut emmené par nos troupes au grand corps de garde pour le mettre en sûreté. Il avait la tête en sang, ayant été assailli par la foule et auroit eu peine à en sortir sans les troupes» (fédérales) (14).
Le 2 novembre 1831, les chefs républicains se réunirent à Rochefort. Après qu'une majorité d'entre eux aient refusé de rendre les armes, une délégation fut envoyée le lendemain auprès du colonel Forrer, commandant des troupes suisses d'occupation. Le Conseil d'Etat riposta à ce défi ouvert en ordonnant l'arrestation des 5 délégués (Louis et Charles Renard, Frédéric Roessinger, Auguste Cugnier et Constant Meuron). Le 12 novembre, une descente de police eut lieu chez le cafetier Elie Prince, mais Constant Meuron et sa femme avaient déjà quitté les lieux. Dans la nuit du 12 au 13 novembre, le grand sautier de Neuchâtel, Frédéric Jeanfavre (accompagné du sautier Quinche et des gendarmes Convert et Guilloud), investit avec un «détachement de troupes bernoises ordonnées à cet effet» l'auberge de la veuve Perrot à Bevaix. Mais «nonobstant des perquisitions très exactes» il ne put arrêter «Constant Meuron de St-Sulpice, négociant, âgé de 25 ans, taille de 5 pieds 5 pouces, visage ovale, cheveux châtains noirs, barbe et sourcil, bouche grande, nez moyen, menton a fossettes, yeux gris» (15). Selon la fille de la tenancière, Constant Meuron et les frères Renard ne s'étaient attardés qu'une heure dans l'auberge, le 4 novembre 1831, et avaient pris le chemin d'Yverdon. (Nous ignorons si la différence entre la date de ce départ et celle de la rafle policière est due à une erreur de plume dans la transcription des déclarations d'Adèle Perrot ou à la lenteur des investigations menées par les argousins du gouvernement royaliste...). Le comité des patriotes neuchâtelois, formé par les exilés d'Yverdon, commença alors à préparer une nouvelle prise d'armes. Le 14 novembre 1831, le docteur Roessinger, Charles Renard et Constant Meuron signèrent une proclamation intitulée «Les membres du comité neuchâtelois à leurs concitoyens et à leurs Confédérés». C'est le premier document où des républicains neuchâtelois attaquent directement le roi de Prusse et le général de Pfuel (16). Début décembre, le comité d'Yverdon reçut le renfort d'Alphonse Bourquin, qui venait aussi d'échapper à un mandat d'arrêt.
Résidant chez l'imprimeur Fivaz, à Yverdon, Constant Meuron y reçut deux lettres de sa femme. Emilie Meuron, alors enceinte, en profita pour lui donner quelques informations. Le 11 décembre 1831, «(...) je viens dans le fait pour te dire que Mr Engelhard Préfet nous assure que les Neuchâtelois auront des troupes pour les secourir, il trouve que vous faites trop longtemps pour y aller, que vous ne devez pas compter avec la nouvelle diète, il nous a parlé en ami, car il a des ordres, mais comme il est libéral il avait l'air de vouloir nous prévenir pour t'en instruire. (...) Adieu, nous ne nous verrons peut-être plus, je dois vider la coupe jusqu'au bout» (17).
Les préparatifs de l'insurrection allaient bon train: enrôlement d'hommes et approvisionnements en armes et en munitions dans les cantons voisins. Ces activités ne passèrent pas inaperçues du gouvernement de la Principauté. A sa demande, la Diète fédérale ordonna aux cantons de Vaud, Genève, Fribourg (18) et Berne de surveiller les conspirateurs, d'interdire les rassemblements et de saisir les dépôts de matériel. Ainsi, le 17 décembre 1831, au lieu des «nombreuses cohortes» mentionnées dans l'appel aux armes d'Alphonse Bourquin, les insurgés alignaient 200-300 hommes mal équipés face aux 3000 soldats et aux 3 batteries d'artillerie du général de Pfuel. Alors que Bourquin, espérant rallier la population du Vignoble, avançait le long du lac en direction de Neuchâtel, une autre colonne - commandée par Charles Renard et Constant Meuron - entrait dans le Val-de-Travers. Après un premier affrontement à Bevaix, qui tourna à l'avantage des royalistes, Bourquin rejoignit la troupe du Val-de-Travers. Au soir du 18 décembre 1831, les insurgés durent abandonner Travers, puis Couvet, pour se replier vers le village de Provence (canton de Vaud). Simultanément, les troupes royalistes désarmaient les républicains et arrêtaient les plus notoires d'entre eux (y compris ceux qui, comme le docteur Alphonse Petitpierre et Daniel-Henri Meuron, n'avaient pas participé au soulèvement).

De l'exil au tribunal criminel de Neuchâtel: 1831-1832

Après la défaite, Constant Meuron regagna Morat dans la nuit du 19 décembre 1831. Il reprit momentanément son négoce de vin. Mais cette quiétude ne dura pas. Le 3 janvier 1832, un Conseil de guerre extraordinaire condamna à mort par coutumace plusieurs chefs insurgés (parmi lesquels Constant Meuron), dont le Conseil d'Etat neuchâtelois avait demandé l'extradition aux cantons voisins. Les autorités fribourgeoises, dont la police surveillait Constant Meuron depuis plusieurs mois, le sommèrent de vider les lieux. Le 2 mars, le préfet de Morat, Engelhard, lui fit parvenir une lettre communatoire: «(...) si vous vous trouvez encore à 3 heures cet après-midi au Montilier, je vous fais arrêter et conduire à vos frais par la gendarmerie aux frontières» (19).
Constant Meuron optempéra-t-il immédiatement ? Il ne pouvait se rendre que dans le canton de Berne, mais le 2 janvier 1832 le Conseil d'Etat bernois avait informé ses collègues neuchâtelois qu'il avait donné l'ordre d'arrêter les chefs insurgés en fuite «et de les conduire à votre direction de police» (20). Le proscrit ignorait-il cette mesure ? Le 29 mars 1832, le directeur adjoint par intérim de la police bernoise informa la police neuchâteloise que Constant Meuron avait été arrêté et qu'il serait extradé le lendemain. Le 30 mars, à Neuchâtel, les gendarmes - dont le brigadier Convert (plus chanceux qu'en novembre 1831...) - incarcéraient le prisonnier «dans les maisons fortes du Roi en cette ville» (21). Le 2 avril, le Conseil d'Etat chargea «Monsieur le Maire de Neuchâtel de vaquer de nouveau & dans les formes ordinaires à l'instruction du procès criminel de Constant Meuron & d'en soumettre suivant la règle le résultat au Conseil» (22).
L'extradition suscita une vague d'indignation. Le 5 avril, deux députés du Grand Conseil bernois - le Biennois Jean-Amédée Watt et l'Oberlandais Albrecht Kasthofer - interpellèrent le gouvernement. Le lendemain, le 6 avril, les exilés neuchâtelois du vallon de St-Imier et leurs amis déposèrent une pétition au Grand Conseil, protestant contre «la monstrueuse prise du réfugié neuchâtelois Meuron et son odieuse extradition» (23). Signe de l'effervescence, une (fausse) nouvelle publiée par La Sentinelle genevoise: «Nous apprenons à l'instant que le préfet de Courtelary s'est rendu à Berne, afin de demander trois bataillons pour aller délivrer Meuron des mains des Neuchâtelois» (24). Le 8 avril, le directeur de la police municipale bernois, Albrecht Bondeli, démentait toute participation de ses services à l'extradition. Mis en cause par la presse et l'opinion publique radicale, le conseiller d'Etat Anton Tillier, directeur de la police centrale - bien qu'ayant invoqué pour sa défense une décision gouvernementale collective (25) - dut démissionner quelques mois plus tard. Le 11 avril 1832, le maire de Neuchâtel, Auguste-Charles-François de Perrot, ouvrit la séance du tribunal criminel de la ville, chargé de juger Constant Meuron. Après la transcription d'une série de documents (lettres écrites par Emilie Meuron, le préfet de Morat ou un dénommé Henriod, liste des témoins entendus lors de la séance du Conseil de guerre de janvier 1832, procédure contre Henri Boiteux et le docteur Petitpierre), le tribunal entendit les témoins (tous à charge...), venus en majorité du Val-de-Travers y attester la présence de «Constant Meuron monté sur un cheval blanc» en décembre 1831, puis passa à l'interrogatoire de l'accusé. Les procès-verbaux du tribunal criminel reproduisent le seul texte où Constant Meuron s'expriment directement: sa lettre au maire de Perrot, datée du 14 avril 1832, permet de connaître sa défense, ainsi que son état psychologique (la grossesse d'Emilie Meuron s'était en effet conclue par une fausse couche, entraînant probablement une stérilité définitive):
«Monsieur,
Réfléchissant à l'interrogat que j'ai subies, je ne puis que déplorer les suites funestes qui ont été le résultat de démarches mal combinées, mais étoient quant à moi faites dans un bon but et pour la liberté de mon pays, ce qui sera toujours le plus cher des mes voeux.
Je vous le répète, je n'ai aucun sujet de plainte contre notre prince, mais il me semble qu'étant Suisses, nous serions plus heureux ce fut jadis mon espérance et aujourd'hui c'est mon souhait le plus ardent.
Je ne veux pas ajouter à ma peine le déshonneur dont je serais couvert si je recourrois à la clémence du prince contre lequel j'ai pris les armes. Les armes desquelles vous vous êtes servi pour m'arracher un oui étoient trop conformes à mes intérêts particuliers qui étoient bien chers et bien pénibles à mon coeur. Mais aujourd'hui ces mêmes intérêts ont disparu, mon épouse n'est ni ne sera jamais mère, ainsi donc je puis mourir sans me couvrir de honte. (...)
Je vous prie de croire à mon respect.
C. Meuron» (26).
Le 27 avril, après l'audition des témoins, le maire de Perrot présenta comme preuve complémentaire la lettre que l'accusé avait écrite le 17 octobre 1831 à Auguste Cugnier. Le 12 mai 1832, le tribunal prononça la sentence, suivant le réquisitoire du Conseil d'Etat contre Constant Meuron «en concluant à ce que pour réparation des crimes de haute trahison et de brigandage à main armée dont il est manifestement convaincu (...), il soit livré à l'exécuteur de la haute justice pour y être conduit aux lieux patibulaires et y être mis à mort par le glaive et à ce qu'en outre il soit condamné aux frais de son procès criminel» (27). Mais une ordonnance royale de 1817 stipulait qu'une condamnation à mort ou une détention criminelle supérieure à quatre ans devaient être confirmées par le souverain. Presqu'un an après le jugement du tribunal criminel de Neuchâtel, le Conseil d'Etat prit connaissance en date du 4 avril 1833 d'une lettre de Frédéric Ancillon, ministre prussien chargé des affaires neuchâteloises, annonçant qu'un ordre de cabinet royal du 5 mars 1833 avait commué la sentence de mort en prison à vie avec travaux forcés.

«Carcere duro» et retour à la liberté: 1832-1834

Constant Meuron se retrouva donc à la prison de Neuchâtel avec d'autres détenus politiques: parmi eux, l'avocat chaux-de-fonnier Auguste Bille, ancien député au Corps législatif, le docteur Petitpierre, ainsi que les insurgés Henri-Louis Dubois et David-Henri Boiteux. A propos des conditions de détention, le journaliste Gonzalve Petitpierre relève que «toutes ces chambres entourées de murs pleins et fort épais sont toujours extrêmement humides en hiver et au printemps; elles sont couvertes de larges tâches noirâtres près des croisées et sur les murs extérieurs; le sel s'y décompose même lorsqu'on chauffe deux fois par jour, et ce n'est pas sans péril pour leur santé que les détenus y passent la mauvaise saison; le rhumatisme les frappe presque tous...» (28). Le docteur Petitpierre y contracta une tuberculose, dont il mourut le 11 janvier 1834 (après le rejet des requêtes de son épouse et du médecin cantonal au Conseil d'Etat pour adoucir les conditions d'incarcération), Constant Meuron, «qui servit de garde-malade au nouveau martyr de la liberté neuchâteloise» (29), vit sa santé affectée par cet emprisonnement: 30 ans plus tard, James Guillaume notera que son vieil ami souffrait de rhumatismes et qu'il ne sortait pas les soirs d'hiver, sauf en cas de réunion...
La situation des prisonniers était suivie de près. Le Journal de Neuchâtel - devenu ultérieurement Le Patriote suisse - (publié à Berne par Gonzalve Petitpierre) et L'Helvétie (publié à Porrentruy par Eusèbe-Henri Gaullieur) rappelaient régulièrement le sort de Constant Meuron, sans oublier au passage d'attaquer l'ex-conseiller d'Etat bernois Anton Tillier. Ainsi, en avril 1834: «Une dame des plus respectables appartenant à la haute société de Berne, à laquelle M. Tillier rendit une visite aussitôt après l'extradition de Meuron, assura à un haut fonctionnaire de qui nous tenons ce fait, que M. Tillier s'exprima sur le compte de sa victime avec la dernière barbarie, en termes durs et insultants. Meuron, dit alors M. Tillier, était un INDIGNE VAURIEN !» (30). D'autres démarches furent entreprises: le 18 janvier 1834, l'avocat Auguste Bille sortit de prison et s'exilait à Berne, où il fut nommé le 8 août de la même année second secrétaire de la section française de la Chancellerie cantonale. Bille s'employa à attirer l'attention sur le sort des prisonniers. Il visita Emilie Meuron, à Montilier. Le directeur des prisons neuchâteloises avait laissé entendre à Constant Meuron que Berlin pourrait accepter une demande de grâce conditionnée par une émigration en Amérique. Bille put convaincre le Grand Conseil bernois de voter une somme de 2000 fr. pour financer le voyage. Le 14 mai 1834, Emilie lui fit savoir que la grâce serait accordée à son mari, «moyennant l'exil perpétuel en Amérique, pour quoi il devra fournir caution» (31).
Début juin 1834, deux beaux-frères de Constant Meuron faisaient une démarche identique auprès du Conseil d'Etat neuchâtelois. Mais d'autres méthodes semblent avoir été très vite envisagées. Déjà, en janvier 1833, on parlait d'une souscription lancée à Berne pour l'évasion du docteur Petitpierre et de Constant Meuron. En avril 1833, un beau-frère de Meuron proposa au fils du concierge des prisons, Landry, une somme de 300 louis pour l'évasion des deux prisonniers (proposition réitérée par Emilie Meuron). Une déposition ultérieure de Landry mentionne aussi les visites à la prison d'Emilie en avril, d'Emilie et de sa soeur les 19 et 20 juin et le 12 juillet 1834.
Au matin du 13 juillet 1834, les gardiens constatèrent que Constant Meuron et Henri Boiteux avaient pris la clé des champs. Comme le relève l'enquête des autorités neuchâteloises: «Ce procès-verbal constate que l'évasion dont il s'agit a eu lieu dans la nuit du 12 au 13 de ce mois, que c'est au moyen de fausses clefs qui ont été retrouvées que les portes des cellules ont été ouvertes après que Meuron eut percé le guichet en fer de la sienne et a soulevé le guichet qui la fermait; que du corridor du second étage où étaient leurs cellules les détenus se sont évadés au moyen de leurs draps de lits, & après avoir scié l'un des barreaux en fer de la fenêtre dans le jardin de Madame la colonelle de Tribolet on a perdu leurs traces, enfin qu'il est évident que l'évasion des détenus a été exécutée de complicité avec la femme Meuron ou avec telles autres personnes sans que les enquêtes aient rien constaté de positif à cet égard...» (32).
Aujourd'hui, nous en savons davantage que les fins limiers du siècle passé: les papiers de Fritz Courvoisier (chef militaire de la révolution du 1er mars 1848) contiennent une plaque de laiton avec les empreintes des clés, ainsi qu'un dessin annoté (33). C'est bien la discrète Emilie Meuron, qui s'est chargée des contacts entre son mari et l'extérieur. Cependant le soupçonneux maire de Perrot n'a pas poussé très loin ses investigations sur une possible complicité du concierge Landry, dont pourtant il a critiqué énergiquement le laxisme dans son rapport (34). Accueillis à la frontière bernoise, les deux fugitifs se rendirent à Montilier, où Constant Meuron se sentait plus en sécurité. Après quelques jours, ils reçurent une réponse positive à la demande d'asile formulée par l'avocat Bille auprès du gouvernement bernois.

Un nouvel exil de 14 ans: 1834-1848

Constant Meuron s'établit à Renan (vallon de Saint-Imier), où il retrouva de nombreux rescapés des insurrections de 1831 (35). Dans l'immédiat, l'heure était aux réjouissances. En effet, le 28 juillet 1834, l'avocat Bille écrit: «Je suppose qu'il y aura eu hier grande fête à La Ferrière en l'honneur de nos deux proscrits échappés à la vengeance prussienne: il est plaisant de savoir à la frontière les deux hommes qui, il y a quinze jours, étaient encore sous les verrous de nos brigands...» (36). Constant Meuron ne tarda pas à exercer une activité professionnelle, comme en témoignent ses demandes de passeport enregistrées aux archives de la préfecture de Courtelary:
1) le passeport no 969, pour «Meuron, Constant, horloger Renan p/Genève aff. de commerce Juillet 2 1835 2 mois»;
2) le passeport 1000, pour «Meuron, Constant, distillateur St-Imier, Lucerne & Zürich, affaires particulières 27 juin 1836 1 mois»;
3) le passeport 1024, pour «Meuron, Constant, distillateur St-Imier, Mulhausen, affaires particulières 18 février 1837 1 mois» (37).
Tout d'abord, une nouveauté: le passeport no 969 atteste que Constant Meuron est «horloger». Les passeports 1000 et 1024 le qualifient de «distillateur», comme les documents neuchâtelois de 1831-1835. Or, durant son séjour au Locle (1848-1869), Constant Meuron exerça les professions suivantes: «ouvrier guillocheur», puis «comptable». Il aurait donc échoué dans une tentative de relancer son commerce de vins, en 1836-1837. Dans l'immédiat, Constant Meuron se relança très vite dans l'action politique: en effet, les réfugiés neuchâtelois du vallon de Saint-Imier s'étaient liés aux sociétés secrètes de La Jeune Europe, animées par le républicain italien Giuseppe Mazzini. A Renan, du 31 décembre 1834 à juin 1835, fut imprimé sur papier rose le journal Le Proscrit, diffusé clandestinement en territoire neuchâtelois. A la même époque, des membres de La Jeune Pologne ont proposé leur aide aux républicains neuchâtelois pour organiser un nouveau coup de main: déclinée par Fritz Courvoisier (38), cette proposition trouva l'assentiment des exilés de Renan. Mais le fiasco de l'expédition de Savoie en 1834 avait compromis le crédit politique de Mazzini dans de nombreux milieux. Une lettre écrite le 29 avril 1835 à Fritz Courvoisier par l'avocat Bille résume les débats houleux des exilés neuchâtelois: «J'ai dit et je répète ce qui aura vexé peut-être quelques-uns de nos casse-cous qu'il ne faut pas se mettre dans la grande famille des Républicains de la Jeune Europe. (...) Il ne faut pas que nous, Neuchâtelois, compromettions notre cause par des actes isolés qui ne seraient que des bêtises et auraient pour résultat de faire des victimes qu'on laissera proprement pourrir en prison. J'ai dit que les patriotes du Proscrit ne feraient aucun bien à l'affaire et je le maintiens» (39). Après l'expulsion de Mazzini, en 1835, l'idée d'une nouvelle prise d'armes contre le gouvernement neuchâtelois semble bel et bien avoir tourné court: preuve en est que Le Proscrit - qui défendait l'option insurrectionnelle comme perspective politique à court terme - interrompit sa parution en été 1835 et que son imprimerie fut vendue au journal La Jeune Suisse, publié à Bienne par les adeptes suisses de Mazzini. Les archives neuchâteloises signalent que, le 13 septembre 1839, Frédéric-Guillaume III a commué en bannissement à perpétuité «la peine de mort prononcée contre les principaux auteurs et chefs de la rébellion de 1831» (40).
En juillet 1842, Constant Meuron entreprit des démarches pour rentrer au pays. On ne sait si la cause en était d'ordre familial ou politique. En effet, deux mois plus tard, en septembre 1842, lors de la visite du nouveau roi Frédéric-Guillaume IV, plusieurs opposants (dont Fritz Courvoisier, Charles-Louis Jeanrenaud-Besson et Erhard Borel) lui adressèrent une pétition demandant des réformes et l'amnistie des patriotes proscrits de 1831. A ce propos, le roi répondit par l'intermédiaire du général de Pfuel qu'il maintenait «l'ordre de cabinet du 13 février 1836 (...) par lequel, à l'exception des principaux coupables, une large porte est ouverte à tous ceux qui demandent grâce individuellement et avec des marques de sérieux repentir» (41). On comprend mieux le style de la lettre adressée le 14 janvier 1843 par Constant Meuron au Conseil d'Etat. L'extrait ci-dessous reprend les poncifs en usage dans les procès-verbaux des tribunaux de la Principauté:
«Monsieur le président et Messieurs,
(...) Qu'il soit permis au suppliant d'assurer Vos Seigneuries que les fautes dont il s'est rendu coupable et qu'il déplore bien sincèrement, il les a commises non par un penchant au mal et au désordre que par la garde Dieu il n'eut jamais, non par amour des troubles et des révolutions qu'il craint par-dessus tout, connaissant les malheurs qui les accompagnent et les suivent pour l'ordinaire, mais entraîné par sa vivacité irréfléchie de jeune homme, & surtout excité, entraîné par des suggestions étrangères...» (42).
Constant Meuron indiquait son adresse: rue Charmont no 20, Besançon. Mais son nom ne figure pas dans les recensements de 1836, 1841 et 1846. En 1841, on trouve à la rue Charmont no 20 un certain Jean-Baptiste Gomet, en 1846 un certain Joseph Matey (43). Constant Meuron reste également inconnu aux Archives départementales du Doubs (44). Le 17 mai 1843, le Conseil d'Etat ferma le dossier: «(...) Sa Majesté a daigné faire grâce à Constant Meuron des peines qu'il a encourues pour sa participation à la révolte de 1831. A condition toutefois qu'il prête un nouveau serment de fidélité, qu'il acquitte les frais de son procès criminel & qu'il demeure pour un temps indéterminé sous la surveillance de la haute police» (45). Mais rien ne permet d'affirmer que Constant Meuron ait accepté des conditions de grâce si draconiennes. Pour le localiser à cette époque, une vague indication qui figure dans l'un de ses nécrologies: «Echappé à la geôle, il resta exilé à Morat jusqu'en 1848. La révolution lui rouvrit les portes de son pays» (46). Même si la région de Morat était un bastion de l'opposition radicale fribourgeoise, est-il possible que Constant Meuron y ait habité avant 1847 ? Par contre, il se peut qu'après la fin de la guerre du Sonderbund il ait à nouveau résidé à Montilier.

Un radical «avancé»: 1848-1866

Après la révolution du 1er mars 1848 (à laquelle aucun témoignage connu à ce jour n'atteste sa participation), Constant Meuron s'installa au Locle. Il y fut durant 20 ans ouvrier guillocheur, puis comptable, dans l'atelier d'Adolphe Huguenin, monteur de boîtes. Durant les premières années de la République, Constant Meuron n'a pas joué de rôle significatif. Malgré le prestige de «cette phalange de 1831 qui a frayé la voie à l'émancipation de notre pays» (47), il ne se présenta pas au Grand Conseil lors des élections de 1852 et 1856. Durant cette décennie, les hommes forts de la vie politique locloise étaient les vainqueurs de 1848: Henri Grandjean, préfet du district, et Auguste Lambelet, fondateur de la municipalité (48). Pourtant, lors des élections du 18 avril 1858 à l'Assemblée constituante, Constant Meuron fut élu sur la liste radicale, bien que «quelques républicains amis de leur pays» - du moins se désignaient-ils ainsi - aient constitué une «liste de traverse»: à côté de huit candidats radicaux officiels, Constant Meuron et deux de ses co-listiers avaient été remplacés par trois candidats-surprise (49). Nous ignorons la raison de cette situation, sur laquelle les journaux des différents partis neuchâtelois sont restés muets, même après les élections: existait-il des dissensions au sein des radicaux loclois ou s'agissait-il d'une diversion organisée par un parti rival ? En effet, jusqu'en 1891, les élections neuchâteloises se déroulaient selon le système majoritaire: au cas où la liste «dissidente» auraient recueilli un certain nombre de voix, les libéraux auraient été les grands bénéficiaires de cette opération (dont le résultat des élections locloises montre qu'elle a échoué...).
Assidu aux séances de la Constituante (comme le certifie l'appel nominal fait à chaque séance), Constant Meuron n'y a pas pris la parole. Se sentait-il, comme son ancien chef, Alphonse Bourquin, «étranger aux finesses de la politique et aux ruses de la diplomatie» (50) ? Ou, député moins connu, était-il marginalisé par l'éloquence dont faisaient preuve les ténors de son parti ? A plusieurs reprises, Constant Meuron se rangea parmi les députés «avancés»: le 30 juin 1858, il fut l'un des 21 députés qui votèrent la séparation de l'Eglise et de l'Etat, proposée par le secrétaire du Conseil d'Etat, Aimé Humbert (51). Lors du débat sur l'article 30 de la Constitution, il fit partie de la minorité qui refusait d'exiger que les Suisses originaires d'autres cantons ne puissent exercer leurs droits civiques que deux ans après leur arrivée à Neuchâtel (52). Relevons en passant qu'à l'occasion du bilan de la Constituante, la presse radicale fit allusion aux théories de Proudhon pour se moquer d'un député du Val-de-Travers, qui avait participé au débat sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Selon l'éreinteur de service au National suisse, le malheureux César Jeanneret «a produit un grand effet d'ébahissement, à l'ouverture de la Constituante, par deux discours proudhonniens; puis cet Achille de la philosophie dans le canton de Neuchâtel, très harcelé, à ce qu'on dit, par ses électeurs, est rentré boudeur sous sa tente, d'où il n'est plus sorti. C'était, du reste, le robinet le plus précipité qu'ait jamais produit le dieu qui préside à la parole» (53).
Constant Meuron rentra ensuite dans l'ombre. Participa-t-il aux commémorations de 1831, organisées par le parti radical dans les années 1860 ? Est-ce alors qu'interrogé par Louis Grandpierre - qui accusait Alphonse Bourquin d'avoir été acheté par les royalistes, pour expliquer la défaite de décembre 1831 (54) -, il rappela au conseiller d'Etat la mort du supposé traître dans la misère et caractérisa l'accusation comme «une calomnie imaginée par un farceur ou un fou» (55). Attitude conforme à son caractère, tel que le décrit James Guillaume: «S'il était bon et généreux, il était sévère aussi pour les intrigants politiques, pour les faux amis, pour les corrompus, et il ne leur épargnait pas l'expression de son mépris. L'impitoyable franchise de son langage, sous ce rapport, lui a fait de nombreux ennemis: il s'en est toujours honoré» (56).
Nous retrouvons Constant Meuron en été 1866: comme vétéran de la révolution de 1831, il critiqua dans les colonnes d'un journal radical publié à Neuchâtel un ouvrage historique du pasteur Louis Junod. Ce sympathisant royaliste avait en effet écrit à propos des événements de décembre 1831: «L'on a beaucoup exagéré les mauvais traitements que l'on a fait aux prisonniers; on s'en est servi d'une arme contre le parti royaliste. (...) L'autorité ne voyant dans le commencement dans les chefs de l'insurrection que des chefs de brigands, agit avec trop de rigueur, oubliant les égards que l'on doit à des prisonniers politiques. Ces réserves faites, nous devons taxer de calomnies à peu près tout ce que les journaux ont publié et que les historiens racontent sur les mauvais traitements infligés aux prisonniers» (57). Dans sa réponse, après avoir rappelé la mort du docteur Petitpierre et de Henri-Louis Dubois, Constant Meuron releva les tentatives du «brave geôlier Landry, plus humain que les aristocrates de Neuchâtel» pour adoucir le sort des prisonniers (58). Et de conclure: «C'est une faute grave que de raconter inexactement aux jeunes générations l'histoire d'un passé dont les hommes, pour la plupart, ne sont déjà plus là pour élever la voix contre le mensonge et le livre de M. Junod, s'il n'est pas l'oeuvre de l'ignorance, est une mauvaise action» (59).

Le patriarche loclois de la 1re Internationale

James Guillaume, suivi par plusieurs auteurs du XXe siècle, a retracé l'évolution des «Internationaux» loclois, passé de l'aile gauche du radicalisme au collectivisme (60). Nous nous bornerons donc à rappeler les principales activités de Constant Meuron à cette époque. Comment et pourquoi s'est-il intéressé à la «question sociale» ? C'était, dira-t-on, dans l'air du temps. Plusieurs républicains loclois avaient été en 1840-1850 des adeptes du groupe «phalanstérien» ou «fouriériste» des Montagnes neuchâteloises: par exemple, le fabricant horloger Frédéric-William Dubois (propriétaire du Château des Monts et membres du comité insurrectionnel loclois du 29 février 1848) ou le graveur-poète William-Edouard Favre (61). Anciens députés du Locle à l'Assemblée constituante de 1848, puis au Grand Conseil, ceux-ci vivaient encore lors de la fondation de l'Internationale dans la région; Frédéric-William Dubois et sa femme en fréquentaient même les assemblées.
Le rôle de Constant Meuron dans la création de la section locloise ne saurait être sous-estimé. Du moins si l'on se réfère à la correspondance de James Guillaume: «La connaissance que j'avais faite du père Meuron, me mettant en contact intime avec un vieux révolutionnaire qui avait donné sa vie comme enjeu de ses idées et qui gardait les aspirations de sa jeunesse, me fut un grand encouragement à l'action» (62). Dans une autre lettre (1867), James Guillaume affirme que ses parents s'inquiétaient de l'influence exercée sur lui par le vétéran de 1831. Il en fréquentait régulièrement le foyer depuis l'automne 1864: «Constant Meuron et son excellente femme, qui n'avaient pas eu d'enfants, me regardaient comme leur fils adoptif; la bonne Mme Meuron veillait avec sollicitude sur ma santé. (...) Quelquefois, le père Meuron recevait des visites et alors nous passions gaîment la soirée à l'écouter faire des récits et même des contes gaillards, car en sa qualité d'ancien militaire, il ne détestait pas les histoires salées». Et à une autre occasion: «Le père Meuron, enfoncé dans son fauteuil, avec sa grande barbe blanche, sa calotte sur la tête, et l'air tout heureux, nous a contés force histoires de sa jeunesse: c'est son bonheur, et il les conte très bien, dans une langue des plus pittoresques» (63).
Concernant les origines de l'Internationale au Locle, le journal La Voix de l'Avenir (publiée à La Chaux-de-Fonds par le docteur Pierre Coullery) écrivait en août 1866: «Nous apprenons qu'au Locle il se fait des efforts pour constituer une section qui enverrait sa délégation au Congrès». En septembre 1866, James Guillaume se rendit effectivement à Genève au 1er congrès de l'A.I.T., avec un mandat de délégué signé par Constant Meuron, à titre de président de la section. L'après-midi du 25 novembre, une assemblée se tint à l'Hôtel du Grand-Frédéric au Locle (64). Elle nomma un comité (65), chargé de rédiger un règlement, adopté le 2 décembre 1866. Le comité fut confirmé dans ses fonctions: jusqu'à fin 1868, Constant Meuron fut réélu à la présidence de la section, ainsi qu'à celle de la Société de crédit mutuelle constituée en 1866. Preuve du respect dont il jouissait, cet article: «Correspondance du Locle sur l'assemblée générale du Crédit mutuel. Constant Meuron, le vieux révolutionnaire de 1831, qui marche encore aujourd'hui à l'avant-garde, a lu un rapport qui a été accueilli par des applaudissements et dont on a demandé l'impression dans la Voix de l'Avenir comme l'expression des sentiments de l'assemblée» (66). Le rôle de Constant Meuron dans la section ne se limitait pourtant pas à celui d'un ancêtre vénéré; il participait activement aux débats (internes et externes), autant que sa santé le lui permettait: «Nous admirions la jeunesse d'esprit de ce vieillard», écrit James Guillaume, «dont le cerveau, loin de s'être ossifié comme celui de tant d'autres, accueillait et comprenait les plus larges et les plus hardies conceptions modernes. Il fallait l'entendre raisonner, dans son langage simple et pittoresque, sur la propriété, sur le travail, sur l'idée de Dieu; il était un peu notre élève à nous jeunes gens; mais quand il parlait, donnant à nos principes le tour qui lui était propre, son accent personnel, nous l'écoutions comme nôtre maître» (67).
A l'origine, les sections locloise et chaux-de-fonnière de l'Internationale entretenaient des rapports cordiaux. Ainsi, en novembre 1867, à l'occasion d'un procès intenté au docteur Coullerey (68) en raison de l'une de ses nombreuses polémiques de presse avec les radicaux, Constant Meuron fit acte de solidarité: «Le soussigné se porte caution pour le citoyen Coullery pour la cause correctionnelle intentée contre lui par le tribunal correctionnel du Locle. Locle, 25 novembre 1867. Constant Meuron» (69). Mais les divergences apparurent au grand jour lorsqu'en avril 1868, dans un article intitulé «La coalition aristo-socialiste», Le National suisse dénonça l'alliance électorale préparée dans le district de La Chaux-de-Fonds entre le docteur Coullery et les libéraux: Constant Meuron signa avec notamment Frédéric-William Dubois, Bélisaire Huguenin-Dumittan (deux patriotes de 1848) et James Guillaume une protestation de «quelques démocrates-socialistes du Locle» adressée au journal radical. Un autre signataire, Auguste Monnier, réintervint quelques jours plus tard: «Il nous reste à vous dire qui nous sommes et ce que nous désirons. Les socialistes du Locle sont des citoyens de tout âge et qui ont été aux prises avec l'aristocratie, les uns depuis 1831, les autres depuis 1848, et tous depuis 1856; ils ont toujours marché à l'avant-garde dans la République, et c'est un témoignage que chacun leur rend» (70). Les «Internationaux» loclois devaient pourtant tomber de haut, puisque les informations du National suisse sur le bloc électoral entre Coullery et les libéraux se révélèrent exactes. Signe de la rupture entre «coullerystes» et futurs «collectivistes»: James Guillaume quitta le comité de rédaction de La Montagne, journal du docteur Coullery. L'évolution vers la gauche, voire l'extrême-gauche, de la section locloise se manifesta lors d'une conférence du révolutionnaire russe Mikhaïl Bakounine, en février 1869. C'est à ce moment que James Guillaume et Constant Meuron adhérèrent à la fraction de Bakounine au sein de l'Internationale. A son départ du Locle, Bakounine donna sa photographie à Constant Meuron. Celle-ci (71), devenue possession de James Guillaume, porte la dédicace suivante:
«Au vénérable frère MEURON, patriarche du Locle
son frère et ami M. Bakounine.
1869, février» (72).
La rupture des «Internationaux» loclois avec le parti radical - en gestation depuis leur malheureuse expérience électorale (73) - fut rendue publique par James Guillaume en mars 1869: un article du journal Le Progrès appelait les ouvriers à boycotter l'anniversaire de la révolution du 1er mars 1848 (74). Si, en décembre 1868, Le National suisse avait amicalement souhaité la bienvenue au petit bulletin des «Internationaux» loclois, le journal radical - qui, dans un article sur la grève des travailleurs du bâtiment à Genève, avait déjà «signalé certains principes déplorables de l'Association internationale» - répondit à James Guillaume: «C'est le comble de l'aberration et on ne peut répondre à de telles excitations à la haine entre citoyens, qu'en haussant les épaules; nous sommes certains qu'il n'y a pas un seul homme de bon sens qui ne soit de notre sentiment à cet égard» (75).
Aux polémiques de presse et aux haussements d'épaules, succéda la répression professionnelle (en allemand: Berufsverbot) contre les «meneurs»: James Guillaume fut contraint par les «hommes de bon sens» de la Commission scolaire du Locle à quitter son poste d'enseignant à l'Ecole industrielle (76). Début septembre 1869, ce fut au tour de Constant Meuron: son patron le licencia, prétextant son grand âge. A l'époque, un travailleur âgé victime d'un licenciement (économique ou politique) n'avait d'autre recours que l'assistance publique de sa commune d'origine; mais il ne pouvait en bénéficier qu'à condition d'habiter ladite commune. Constant et Emilie Meuron durent donc regagner Saint-Sulpice: dans le registre des impôts du Locle, le 2 avril 1870, on trouve l'indication suivante: «No 73, Meuron Constant commis. (...) (départ) à Saint-Sulpice» (77). James Guillaume, devenu gérant de l'imprimerie paternelle à Neuchâtel, aurait souhaité offrir un emploi à Constant Meuron, mais ce projet n'aboutit point.

Dernières années à Saint-Sulpice

A Saint-Sulpice, Constant Meuron se retrouva isolé, sans possibilité de poursuivre ses activités politiques, dans un village où le socialisme devait être à peu près inconnu. Si lui et son épouse subsistaient grâce à l'assistance publique, Constant Meuron trouva pourtant un complément imprévu à ses maigres ressources: «La famille Meuron, il est vrai, touchée de sa position, lui vint noblement en aide, malgré la divergence d'opinion politique qui existait entre lui et les principaux chefs de cette famille (78). Mais il n'en acheva pas moins, dans une position voisine de la gêne, sa longue et pénible carrière», affirme l'auteur anonyme de la nécrologie parue en mai 1872 dans les colonnes du National suisse.
La santé de Constant Meuron déclinait nettement (peut-être est-ce l'une des raisons qui, fin 1868, lui avait fait abandonner la présidence de la section locloise). S'il suivait les activités de l'Internationale par l'intermédiaire de James Guillaume, il n'avait cependant plus la force de se déplacer. Il répondit à James Guillaume, qui l'avait invité à une réunion de la Fédération jurassienne fixée au 21 mai 1871: «Ta lettre m'arrive à l'instant; je suis sorti du lit pour y répondre, malade depuis plusieurs jours, je suis d'une faiblesse extrême. Du reste cet hiver a été dur pour moi... Je suis heureux de penser que tu verras quelques amis réunis. Serre-leur la main à tous, dis mille choses à Bakounine... Impossible d'aller vous voir, tu ne comprends pas comme je suis devenu vieux cet hiver passé. Je ne vais plus à Fleurier sans souci de savoir si je pourrai revenir. Voilà, on est vieux, bien vieux, fini ! Salue toute la chère petite famille. J'espère que tu viendras, c'est promis, c'est dû. Adieu, je sens le froid» (79).
D'après James Guillaume, qui le rencontra encore une fois avant sa mort, Constant Meuron avait été cruellement affecté par la fin dramatique de la Commune de Paris (en mai 1871). Lors de cette dernière entrevue avec James Guillaume, le 29 mars 1872, il lui déclara: «Ma vie est finie, j'ai assisté à la dernière défaite et je m'en vais; mais ne désespérez pas, vous jeunes gens, vous verrez peut-être le jour de la justice» (80). Dans les registres d'état-civil de Saint-Sulpice, nous trouvons la notice suivante: «L'an mil huit cent septante-deux, le quatre Mai, à six-heures et demie du soir, Constant Meuron, sans profession, originaire de Saint-Sulpice, demeurant à Saint-Sulpice, fils de feu Meuron Daniel-Henri et de feue Louise née Piaget, né le vingt-deux février mil huit cent quatre, à Saint-Sulpice, époux de Emilie née Fasnacht, est décédé en son domicile, maison de Bovet Louis, quartier du Pont à Saint-Sulpice» (81).
Les obsèques de Constant Meuron firent l'objet de deux comptes-rendus. D'après la nécrologie de la presse radicale: «Chacun, du reste, rendait justice à ses vertus et à son noble caractère, et près de la tombe où l'avaient accompagné de nombreux patriotes de La Chaux-de-Fonds et du Locle, le pasteur officiant n'a pas hésité à lui rendre le témoignage d'une estime méritée: «Le défunt», a-t-il dit, «n'habitait notre localité que depuis deux ans environ et vivait dans la retraite. Il était peu connu personnellement. Toutefois, nous ne pouvons taire en face de cette tombe ce qu'il a fait pour notre patrie. D'un caractère noble et élevé, il a été un ardent défenseur de l'indépendance de notre pays et les souffrances qu'il a endurées en cherchant à affranchir notre patrie lui donnent un titre de plus à notre sympathie et à notre souvenir reconnaissant» (82). Selon la nécrologie de James Guillaume, les obsèques auraient été célébrées dans la plus stricte intimité: outre lui-même, y auraient assisté seulement quelques anciens collègues du défunt à la Constituante de 1858, dont le juge loclois Alfred Dubois (83). Les contradictions de ces deux compte-rendus s'expliquent sans doute par le fait que James Guillaume (soit peut-être pour des raisons d'horaire, soit plus certainement par conviction) n'a pas participé à la partie religieuse de la cérémonie, qui devait lui apparaître de surcroît comme une récupération post mortem du vieux révolutionnaire par les corps constitués de la République bourgeoise... Emilie Meuron survécut trois ans à son mari. Elle continua d'habiter Saint-Sulpice, d'abord avec sa soeur Henriette, puis après le décès de celle-ci en 1873, avec la présence intermittente de ses deux nièces. James Guillaume la visita plusieurs fois, lui proposant - comme il l'avait déjà fait pour Constant Meuron - l'accueillir à Neuchâtel. Elle décéda à Saint-Sulpice, le 25 mars 1875.

En guise de conclusion

Si l'on recherche des traces ultérieures de Constant Meuron dans la mémoire historique neuchâteloise, on constate qu'en 1948, lors du centenaire du 1er mars 1848, la municipalité de Saint-Sulpice a salué la mémoire du proscrit: «Après la bénédiction, les paroissiens se sont rendus sur la tombe du patriote Constant Meuron, partisan de la République, sur laquelle une couronne fut déposée. Le premier discours fut prononcé par M. Jean Bourquin, président de commune. L'orateur a rendu hommage aux patriotes qui ont assuré la liberté du canton de Neuchâtel et évoqué les martyrs du soulèvement de 1831, qui sont: Charles-Constant Meuron, Jean-Christian Wuillemin, Jacques-David Donnier» (84). Ce compte-rendu montre que, là encore, l'hommage se limita - comme en 1872 - à l'aspect républicain des activités de Constant Meuron, faisant l'impasse sur le militantisme ouvrier et socialiste de ses dernières années. L'administration communale de Saint-Sulpice ne dispose que d'une documentation restreinte sur son illustre ressortissant (85). Mais pourquoi Constant Meuron a-t-il donc été oublié, pourquoi son nom ne signifie-t-il plus rien pour l'écrasante majorité des Neuchâtelois/es (contrairement à l'affirmation du texte gravé sur sa pierre tombale) ? Nous suggérons ci-dessous quelques éléments de réflexion:
1) La révolution de 1831, qui fut la première expérience politique de Constant Meuron, n'est pas l'épisode le plus étudié et (à notre avis) le mieux compris de l'histoire neuchâteloise. Adage connu: «La victoire a cent pères, la défaite est orpheline» (86).
2) Au lieu de faire carrière dans le nouveau régime d'après 1848, Constant Meuron a participé à la fondation de la section locloise de la Première Internationale en 1866; ayant découvert que «la république, comme la monarchie, peut ombrager la servitude sous son drapeau» et que «la tyrannie du Capital est plus impitoyable que celle du sabre et de l'encensoir» (87), il a rompu avec le parti radical et cela ne lui a peut-être pas encore été pardonné...
3) La Fédération jurassienne a disparu après le départ de James Guillaume pour la France, en 1878. Depuis lors, à la fin du XIXe siècle et dans le courant du XXe siècle, les courants anarchistes ou syndicalistes-révolutionnaires n'ont joué qu'un rôle restreint dans la vie politique et sociale neuchâteloise (88).
4) La gauche neuchâteloise néglige souvent sa propre histoire. La social-démocratie passe discrètement sur l'existence des «gauchistes» du XIXe siècle, avec lesquels le docteur Pierre Coullery - le «grand ancêtre» du Parti socialiste neuchâtelois - a connu de sérieux conflits. D'autre part, la Fédération jurassienne a souvent été jugée par les différents courants se réclamant du «marxisme» (Parti communiste des années 20 et 30, auquel a succédé le Parti ouvrier et populaire en 1944; organisations d'extrême-gauche, «trotskystes» ou «maoïstes», d'après 1968) en fonction du conflit entre Marx et Bakounine au sein de la Première Internationale (89).
5) Enfin, en cette fin de siècle, où les médias annoncent depuis la chute du mur de Berlin la «fin de l'histoire», la «fin des idéologies» (ou plus précisément de celles qui préconisent le changement social), l'histoire du mouvement ouvrier (et de ses différents courants) fait souvent figure de cadavre autopsié par un académisme, pour lequel «le temps des passions» est révolu...

Hans-Peter Renk


* Cet article n'aurait pu être élaboré sans la contribution de plusieurs institutions que nous remercions chaleureusement pour l'aide qu'elles ont apporté à nos recherches: les Archives cantonales bernoises; les Archives de l'Etat (Fribourg et Neuchâtel); les Archives départementales du Doubs (Besançon); les Archives et la Bibliothèque de la Ville du Locle; la Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds; la Bibliothèque municipale de Besançon; la Bibliothèque nationale suisse (Berne); la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel; les Bureaux d'état-civil de Morat (ct. de Fribourg) et Saint-Sulpice (Val-de-Travers, NE); le Courrier du Val-de-Travers; le Musée d'art et d'histoire (Neuchâtel); la Préfecture du district de Courtelary.


1) Arthur Piaget, Histoire de la révolution neuchâteloise. Neuchâtel, Archives de l'Etat, 1909-1931 (5 vol.)
2) Guy de Meuron, Histoire d'une famille neuchâteloise: la famille Meuron. Hauterive, G. Attinger, 1991
3) «Le père de Constant Meuron», L'Helvétie, 6 et 9.10.1836
4) Les ancêtres des familles aristocratiques neuchâteloises étaient des fonctionnaires de l'administration, anoblis pour leurs bons et loyaux services, entre le XVIe et le XVIIIe siècle.
5) Dossier Tr. 1759/26/XII (AEN)
6) Manuels du Conseil d'Etat, pièces annexes (Archives de l'Etat, Fribourg)
7) Lettre de l'état-civil de Morat, 1.4.1998
8) Arthur Piaget, «Plaidoyer pour Alphonse Bourquin», Musée neuchâtelois, n.s., 18e année, 1931, p. 154-177
9) Arthur Piaget, «Plaidoyer pour Alphonse Bourquin», Musée neuchâtelois, n.s., 18e année, 1931, p. 154-177
10) Procédures 1831-1835 (Archives de l'Etat, Neuchâtel)
11) Article du chancelier François-Auguste Favarger, Le Constitutionnel neuchâtelois, no 11, mercredi 9.11.1831
12) Ce document, saisi à La Chaux-de-Fonds en décembre 1831, servit de pièce à conviction contre les inculpés lors du conseil de guerre en janvier 1832.
13) Manuel du Conseil d'Etat (Archives de l'Etat, Neuchâtel)
14) François Imer (capitaine), «Journal sur les troubles de Neuchâtel de 1831», Musée neuchâtelois, n.s., 20e année, 1933, p. 208
15) Procédures 1831-1835 (Archives de l'Etat, Neuchâtel)
16) Jusqu'ici, les républicains ne s'en prenaient qu'au Conseil d'Etat et aux aristocrates. «Nous croyons fermement que si la majorité était pour l'émancipation, notre Prince, qui est si bon, ne voudrait pas nous conserver malgré nous» (lettre de Fritz Courvoisier au général de Pfuel, 1.11.1831)
17) Procédures 1831-1835 (Archives de l'Etat, Neuchâtel)
18) «Le 16, le Conseil avait reçu l'avis que les bateaux de Vully avoient tous été arrêtés par l'un des chefs des rebelles, le nommé Constant Meuron, pour servir au transport d'un dépôt d'hommes et d'armes qui devait se former à Portalban sur la rive fribourgeoise du lac», (Bulletin politique envoyé à Berlin, 14-22.12.1831), Musée neuchâtelois, n.s., 18e année, 1931, p. 186
19) Procédures 1831-1835 (Archives de l'Etat, Neuchâtel)
20) Manuels du Conseil d'Etat (AEN)
21) Manuels du Conseil d'Etat (AEN)
22) Manuels du Conseil d'Etat (AEN). Le code criminel de l'empereur Charles-Quint - nommé poétiquement la Caroline -, appliqué à Neuchâtel, prévoyait qu'un condamné par coutumace, tombé au pouvoir de ses juges, devait faire l'objet d'une nouvelle procédure.
23) Le Constitutionnel neuchâtelois, no 31, 18.4.1832
24) Journal de Neuchâtel, no 21, 10.4.1832
25) Anton von Tillier, L'extradition de Constant Meuron et la part que j'y ai eu: en réfutation des calomnies que l'on a essayé de débiter contre moi. Bern, C.A. Jenni, 1833
26) Procédures 1831-1835 (Archives de l'Etat, Neuchâtel)
27) Manuels du Conseil d'Etat (AEN)
28) Journal de Neuchâtel, no 40, 15.6.1832
29) L'Helvétie, 3e année, no 6, 21.1.1834
30) L'Helvétie, 2e année, no 32, 19.4.1833
31) Auguste Bille, «Correspondance politique de l'avocat Bille. Partie 3: 1834-1838», Musée neuchâtelois, 1914-1917
32) Manuels du Conseil d'Etat (AEN)
33) Dossier Fritz Courvoisier (AEN)
34) Landry se trouvait encore le 1er mars 1848 au château de Neuchâtel pour en remettre les clés à Fritz Courvoisier.
35) Jean-Frédéric Girard, l'un des chefs républicains en septembre 1831, tenait l'auberge du Cheval Blanc à Renan.
36) Auguste Bille, «Correspondance politique de l'avocat Bille. Partie 3: 1834-1838», Musée neuchâtelois, 1914-1917
37) Registre des petits passeports (carton B 376, Préfecture de Courtelary)
38) Alfred Chapuis, Fritz Courvoisier, chef de la révolution neuchâteloise. Neuchâtel, V. Attinger, 1947
39) Auguste Bille, «Correspondance politique de l'avocat Bille. Partie 3: 1834-1838», Musée neuchâtelois, 1914-1917
40) Manuels du Conseil d'Etat (AEN)
41) Le National suisse, 1re année, no 40, 17.9.1856
42) Manuels du Conseil d'Etat (AEN)
43) Recensement Besançon: 1836, 1841, 1846 (Archives de la ville de Besançon)
44) Lettre de Mme Patricia Guyard (conservateur en chef du patrimoine, directeur des Archives du Doubs, conservateur des Archives pour la région Franche-Comté), 15.1.1998
45) Manuels du Conseil d'Etat (AEN)
46) «Nécrologie / signé: son meilleur et sincère ami», Le National suisse, no 116, 15.5.1872
47) «Nécrologie / signé: son meilleur et sincère ami», Le National suisse, no 116, 15.5.1872
48) François Faessler, Histoire de la ville du Locle: des origines à la fin du XIXe siècle. Neuchâtel, Ed. de la Baconnière, 1960
49) Feuille d'Avis des Montagnes, no 16, 17.4.1858
50) Arthur Piaget, «Plaidoyer pour Alphonse Bourquin», Musée neuchâtelois, n.s., 18e année, 1931, p. 154-177
51) Le National suisse, no 81, mercredi 4.7.1858
52) Le National suisse, no 133, vendredi 29.10.1858
53) Le National suisse, no 144, mercredi 8.12.1858
54) Dans sa conférence de septembre 1831, Arthur Piaget a montré que la situation politique et militaire expliquait l'échec de l'insurrection de décembre 1831, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une vision policière de l'histoire. Par ailleurs, le dépouillement des archives prussiennes à Berlin a permis à Arthur Piaget de démasquer un véritable traître (semble-t-il jamais soupçonné par le suspicieux Louis Grandpierre): le journaliste Gonzalve Petitpierre, qui fut l'agent secret du gouvernement royaliste à Berne en 1843-1845 (Musée neuchâtelois, 1917). Nous attendons avec intérêt l'éventuelle publication intégrale des mémoires de Frédéric-Alexandre de Chambrier, président du Conseil d'Etat neuchâtelois de 1831 à 1848, pour compléter les informations d'Arthur Piaget à ce sujet.
55) Arthur Piaget, «Plaidoyer pour Alphonse Bourquin», Musée neuchâtelois, n.s., 18e année, 1931, p. 154-177
56) James Guillaume, «Le père Meuron», Bulletin de la Fédération jurassienne, no 7, 18.5.1872
57) Louis Junod, Phases de la question neuchâteloise: récit véridique des événements de 1831, 1848 et 1856. Bâle, G.A. Bonfantini, 1866
58) Ce texte tend à confirmer notre hypothèse sur le laxisme de Landry en 1834.
59) Constant Meuron, «Lettre», Le 1er mars, no 28, 15.7.1856.
60) Notamment: Charles Thomann, Le mouvement anarchiste dans les Montagnes neuchâteloises et le Jura bernois. La Chaux-de-Fonds, Impr. des Coopératives réunies, 1947 ; Marianne Enckell, La Fédération jurassienne: les origines de l'anarchisme en Suisse. Lausanne, La Cité, Ed. L'Age d'homme, 1971 (Collection La Suisse en question); Mario Vuilleumier, Horlogers de l'anarchisme: émergence d'un mouvement: la Fédération jurassienne. Lausanne, Payot, 1988
61) Jacques Ramseyer, Le mouvement phalanstérien dans le canton de Neuchâtel : mémoire de licence. Neuchâtel, Univ. de Neuchâtel Institut d'histoire, 1974 (synthèse parue sous le titre: «Les premiers socialistes neuchâtelois», Musée neuchâtelois, 1977, no 1, janvier/mars, p. 24-36)
62) James Guillaume, L'Internationale: documents et souvenirs. T. 1. Genève, Grounauer, 1980 (avec une importante introduction de Marc Vuilleumier: «James Guillaume, sa vie, son oeuvre»)
63) James Guillaume, L'Internationale: documents et souvenirs. T. 1. Genève, Grounauer, 1980
64) La Voix de l'Avenir, 1re année, no 33, 19.8.1866; no 47, 25.11.1866; no 48,2.12.1866; no 49, 9.12.1866
65) Outre James Guillaume et Constant Meuron, les premiers membres de la section locloise - et de son comité? - (tous affiliés au parti radical) étaient: Placide Bise (enseignant à l'Ecole industrielle), Paul Debrot (régleur de montres) et Fritz Huguenin (employé). Bise, Debrot et Huguenin se sont retirés de l'Internationale, après la rupture avec les radicaux.
66) La Voix de l'Avenir, 3e année, no 4, 26.1.1868
67) James Guillaume, «Le père Meuron», Bulletin de la Fédération jurassienne, no 7, 18.5.1872
68) Charles Thomann, Pierre Coullery, le médecin des pauvres. La Chaux-de-Fonds, Ecole supérieure de commerce, 1956,
69) La Voix de l'Avenir, 2e année, no 48, 1.12.1867. James Guillaume signa un formulaire identique.
70) Le National suisse, année 1868, no 48, lundi 20.4
71) Nous ignorons si d'autres papiers de Constant Meuron ont été légués à James Guillaume.
72) James Guillaume, L'Internationale: documents et souvenirs. T. 1. Genève, Grounauer, 1980
73) Le système majoritaire ne laissant aucune chance à une liste indépendante, les Internationaux loclois (suite à une démarche faite auprès d'eux par Henri Grandjean) avaient intégré à la liste radicale l'un d'entre eux, qui fut victime d'un biffage systématique.
74) Le Progrès, no 6, 1er mars 1868. Réédité in: solidaritéS infos (Neuchâtel), no 12, février 1998
75) Le National suisse, 1868, no 38, samedi 28.3; no 158, samedi 18.12; 1869, no 29, mardi 9.3
76) James Guillaume aurait pu recourir contre cette décision, mais sa situation était très délicate, puisque son père, Georges Guillaume, dirigeait l'instance de recours compétente: le Département cantonal de l'Instruction publique.
77) Registre des impôts (Archives de la ville du Locle)
78) Le président de la Caisse de famille Meuron était alors le colonel Henri-Frédéric de Meuron-Terrisse, ancien chef de la contre-révolution royaliste manquée de septembre 1856.
79) James Guillaume, L'Internationale: documents et souvenirs. T. 1. Genève, Grounauer, 1980
80) James Guillaume, «Le père Meuron», Bulletin de la Fédération jurassienne, no 7, 18.5.1872
81) Registre d'état civil, vol. 3715, no 101, 7.5.1872 (Archives de la commune de St-Sulpice)
82) «Nécrologie / signé: son meilleur et sincère ami», Le National suisse, no 116, 15.5.1872
83) Alfred Dubois, président de la Commission scolaire du Locle en 1869, fut l'un des deux membres de cette commission, qui avaient refusé de contraindre James Guillaume a démissionné de son poste. Bien que nous n'en ayions aucune preuve formelle, il pourrait avoir rédigé la nécrologie, parue dans Le National suisse, no 116, 15.5.1872.
84) Courrier du Val-de-Travers, no 56, 9.3.1948
85) Nous n'y avons trouvé qu'une photocopie du paragraphe consacré à Constant Meuron dans l'ouvrage d'Edouard Quartier-la-Tente, «Le canton de Neuchâtel», paru au début de ce siècle.
86) Les deux brochures officielles éditées à l'occasion des 100e et 150e anniversaires de la révolution de 1831 ne signalent pas l'existence et l'activité du comité insurrectionnelle d'Yverdon...
87) Louis-Auguste Blanqui, «Profession de foi (30 mars 1848) de la Société républicaine centrale», Ecrits sur la révolution (Oeuvres complètes I). Paris, Ed. Galilée, 1977 (Collection Coup pour coup)
88) «L'anarchisme dans les Montagnes» / (Marianne Enckell, Richard Miller, Charles Thomann, Marc Vuilleumier, V. Gaffiat, Pierre Fialat, Roland Kaehr, Pierre Hirsch, Marc Reinhardt et Daniel Guérin), Revue neuchâteloise, 14e année, été automne-1971, no 55/56; Jacques Ramseyer, «Les anarchistes de la Chaux-de-Fonds (1880-1914): de la propagande par le fait au syndicalisme révolutionnaire», Musée neuchâtelois, 1985, p. 3-21
89) Nous estimons que, même si l'on ne partage pas l'ensemble de leurs conclusions théoriques ultérieures, les Internationaux loclois en 1868 avaient raison de dénoncer les alliances électorales douteuses conclues par le docteur Coullery avec le parti libéral neuchâtelois.