[ article publié à l'origine dans le journal

solidaritéS n°168 ]

 

Neuchâtel

Le Conseil d’Etat s’engage en faveur d’une « fiscalité attractive pour les entreprises »

 

Le Conseil d’Etat propose, dans un projet de loi qui sera prochainement soumis au Grand Conseil, une baisse massive de l’imposition du capital, qui s’inscrit parfaitement dans la tendance mondiale néo-libérale où chacun tente d’attirer ou de retenir les entreprises qui délocalisent sièges et production pour « optimiser » leur rentabilité.

 

Mais que signifie « fiscalité attractive » en langage néo-libéral? La réforme se résume à quatre mesures :

 

* réduire de moitié l’impôt sur le bénéfice des entreprises, de 10 à 5 %, d’ici 2016

* réduire l’impôt sur les sociétés holdings de 0, 5 pour mille à 0, 005 pour mille (cent fois moins)

* l’impôt sur le capital pourra être contourné

* réduction de l’imposition des dividendes perçues par les actionnaires détenant plus de 10 % du capital de l’entreprise

 

Comment en est-on arrivé là, dans un canton où la gauche est majoritaire au Grand Conseil et où l’homme fort du gouvernement, ministre des finances et concepteur-défenseur du projet, est le socialiste Jean Studer ? Depuis les années 70, le canton de Neuchâtel, sous l’impulsion du Parti socialiste, a introduit une politique de « promotion de l’économie » dont le point fort a été l’exonération fiscale des entreprises. Inégalités de traitements insoutenables, pressions internationales et péréquation financière fédérale ont peu à peu rendu la poursuite de cette voie impossible.

 

ATTAC, les syndicats (USCN, UNIA, SSP), mais aussi les groupes PopVertsSol et PS du Grand Conseil ont, au cours des dernières années, déposé une série de propositions pour une équité fiscale, sous la forme de motions et d’initiatives populaires (toutes mises en veilleuse par le Conseil d’Etat, dans l’attente de sa proposition de réforme). Qu’en a retenu le Conseil d’Etat ? Rien.

Eldorado...

Sa proposition s’inscrit dans un contexte international de baisse de l’imposition du capital, vecteur fondamental du creusement des inégalités observées partout. Suivant la voie de la Suisse qui modifie régulièrement sa législation en faveur du capital, le canton de Neuchâtel cherche à se positionner comme un paradis fiscal pour entreprises. Ainsi que le relève Bilan (24.10.2007), « La Suisse se profile depuis plusieurs années comme un véritable eldorado pour multinationales. Colgate Palmolive, Polo Ralph Lauren, Kraft Foods, General Motors, Google, eBay, Hewlett-Packard, John Deere... La liste s’allonge sur plusieurs pages. Des entreprises, pour la plupart américaines, qui ont quitté Londres ou Paris pour installer leurs quartiers généraux à Zurich ou à Genève. Celles qui étaient déjà sur place depuis longtemps, comme Philip Morris ou Procter & Gamble, ont transféré de nouvelles activités depuis leur siège américain ». Le Conseil d’Etat neuchâtelois, en suivant une même politique, emboîte gaillardement le pas de ceux qui ne craignent pas de creuser les inégalités sociales.

 

... au profit des patrons.

Quand on parle d’entreprises, n’oublions pas qu’il y a toujours finalement des personnes pour encaisser dividendes et valorisation des actions.Que ce soit celles d’un patron propriétaire ou d’un actionnaire, baisser les impôts des entreprises, c’est toujours, en définitive, remplir les poches des possédants. La direction des entreprises se servira au passage, mais nous n’avons encore jamais vu un patron déclarer à ses employés : « nos impôts ont baissé, nous allons partager équitablement ce cadeau que nous font les contribuables ». Dans le canton de Neuchâtel, comme partout ailleurs, les bénéfices sont réalisés surtout par les grandes entreprises; c’est elles qui payent l’essentiel des impôts des personnes morales : dans le canton de Neuchâtel « 92,11 % (5747) des entreprises paient 3,42 % de l’impôt, soit en moyenne 559 francs par entreprise, alors qu’à l’autre extrémité, 4 % (253) des personnes morales assument 92 % de l’impôt, soit en moyenne plus de 342 000 francs par entreprise » (Rapport du Conseil d’Etat 26.4.2010). Ce sont ces grandes entreprises qui bénéficieront en premier lieu du projet du Conseil d’Etat.

 

Il est temps de changer, mais pas dans la direction indiquée par le Conseil d’Etat

Depuis trente ans, quelle que soit leur couleur politique, les gouvernements dans le monde dit riche ont tous abaissé la fiscalité du capital. La crise ne fait qu’accélérer ce phénomène. C’est une politique suicidaire, mais chacun espère que c’est son voisin qui plongera le premier. Pour mieux faire passer la pilule, le Conseil d’Etat prétend qu’en divisant l’impôt sur le capital par deux, il augmentera les rentrées fiscales puisque, argumente-t-il, avec la nouvelle loi, tout le monde payera. Affirmation hautement discutable, mais qui met bien en évidence le rôle de Cheval de Troie qu’ont joué les exonérations fiscales pour aboutir à une baisse d’impôt pour tous les patrons.

 

Une chose est certaine : si le projet du Conseil d’Etat passe, Neuchâtel va se profiler comme un des cantons avec la plus basse imposition des personnes morales de Suisse, en compagnie de Zoug et Schwytz (qui, parions-le, ne resteront pas sans réagir, à la baisse bien sûr). Le canton pousse le feu de la concurrence fiscale en faveur des plus riches. Qui se frotte les mains ?

 

Le Parti socialiste suisse a déposé en 2007 une initiative fédérale s’intitulant « Stop aux abus de la concurrence fiscale » qui vise à empêcher la baisse de l’imposition des personnes physiques les plus riches dans les cantons. Ce qui est valable pour les personnes physiques ne l’est-il pas pour les personnes morales? La Suisse participe pleinement à cette course au moins d’impôts pour les possédants; le canton de Neuchâtel y apporte sa contribution. Nous ne buvons pas de cette eau-là et appelons toute la gauche à s’unir contre ce projet inique du Conseil d’Etat.

 

Marianne Ebel