Instant Pleasure (clitoris), 2017, une sculpture d’un jeune artiste genevois -Mathias Pfund- a suscité en terre neuchâteloise un mouvement contradictoire, d’adhésions et de controverses, avant même d’être exposée depuis le 30 septembre, à l’initiative de l’espace d’art contemporain Smallville, sur le giratoire de la Place de l’Europe, où on peut maintenant la voir pendant 3 semaines.
Depuis sa création en décembre 2015, l’espace d’art contemporain Smallville (Neuchâtel, ch. des Péreuses 6b) a déjà exposé une cinquantaine d’artistes, invités par Fabian Boschung, Renaud Loda, Camille Pellaux et Sébastien Verdon, les actuels administrateurs et curateurs de Smallville, tous les quatre aussi connus comme artistes neuchâtelois. Lors du vernissage, SolidaritéS a rencontré Mathias Pfund, ainsi que Camille Pellaux et Fabian Boschung qui, cette fois, ont choisi d’exposer une œuvre inédite dans l’espace public.
Exposer sur un giratoire une sculpture représentant un clitoris, pourquoi ce choix ?
Mathias Pfund :
À l’origine de cette sculpture se trouve un dessin que j’ai créé dans le cadre d’un concours, « dessine-moi un clito », organisé à l’occasion de la sortie d’un hors-série du magazine français Causette : « Voyage en Clitorie », édité le 21 décembre 2016, journée mondiale de l’orgasme. J’ai d’abord pensé à une sorte de fontaine, avec un jet d’eau, mais on s’est rendu compte que ce serait très compliqué à réaliser et avec Smallville, on a finalement décidé de ne garder que la sculpture telle qu’on peut la voir maintenant. Lors du vernissage, on a retrouvé le jet et la fontaine sous une autre forme : il pleuvait à verse ! On ne pouvait espérer mieux... Dans mon travail plastique, j’explore depuis plusieurs années déjà l’abstraction biomorphique. Le clitoris reste, dans l’espace public, à la fois minoritaire et méconnu. C’est un organe escamoté par les tabous qu’on a jetés dessus. J’ai choisi de réaliser cette œuvre dans des matériaux à la fois pauvres et légers -du polystyrène, du latex, de la peinture vert-de-gris- mais qui produisent l’effet d’un bronze massif, oxydé par l’âge... Montrer un clitoris, le mettre en scène comme source de plaisir au travers d’un titre explicite, lui donner une forme un peu stylisée certes, mais à partir de la forme interne que l’on peut connaître grâce aux technologies médicales. Mon geste n’est pas anodin, et je suis content que cette sculpture soit mise en valeur dans toute sa dimension sur ce giratoire qui permet de la voir de tous les côtés, sur un cercle de 3600.
Camille Pellaux :
Conçu comme un espace d’expérimentation et de confrontation artistiques, Smallville, qui se définit comme un offspace, est tout naturellement voué à s’ouvrir sur l’espace public. Nous connaissions le travail de Mathias Pfund et, en pensant à ce rond point où pour des raisons techniques il est impensable d’installer une sculpture pérenne, nous avions très envie de proposer à cet artiste un format d’exposition éphémère. Il a accepté sans hésiter. Jusqu’ici on avait plutôt l’habitude de voir des sculptures phalliques, et même la tour voisine de l’OFS – comme d’autres tours géantes - évoque en un certain sens cet organe masculin, signe évident de la suprématie des hommes sur l'architecture. Mais le clitoris revient sur le devant de la scène. Actuellement une artiste belge, Laurence Dufaÿ, met en scène à Bruxelles dans le cadre de l’exposition « À corps perdu » une sculpture géante de trois mètres de haut, Clitoriz soufflé.
Les réactions ont été vives et massives.
Fabian Boschung:
On est déçus de n’avoir pas fait la manchette du Matin ! Plus sérieusement : on a été très surpris, mais aussi amusés, par les très nombreux commentaires, souvent scandalisés mais aussi approbateurs, qu’on a trouvés sur les réseaux sociaux et dans les médias avant même que la sculpture ne soit exposée. Il est question de décadence, il y a des mères offusquées « que vais-je dire à mon enfant s’il me pose des questions »... d’autres y voient déjà des causes possibles d’accident dans le giratoire, ou se demandent pourquoi la ville permet cela, alors qu’elle a fait déplacer une crèche de Jésus placée devant l’Hôtel de Ville... On a peut-être là une base pour une nouvelle exposition à laquelle nous pensons depuis longtemps déjà : « Haters », en hommage à ceux qui haïssent l’art contemporain. Mais il y a aussi des réactions positives. Beaucoup de femmes parlent d’un geste libérateur, un contre-poids bienvenu à l’architecture phallique. Depuis qu’on peut voir l’œuvre, il est plus souvent question de l'esthétique de cette sculpture, de son échelle et de la touche de l'artiste. Il y a beaucoup de commentaires positifs ; ça fait du bien. Prendre le titre au sérieux – Instant Pleasure - prendre l’œuvre par le rire, le sourire, c’est mieux que la haine...
Exposer dans l’espace public est pour Smallville une première
Camille Pellaux:
En effet, et le succès que rencontre la sculpture de Mathias Pfund ne peut que nous réjouir ! Nous avions également d’autres idées, notamment à la déchetterie autour de la notion d'espace d'exposition. La reconnaissance de notre travail par la Ville, couplé à ce format temporaire, plus léger, moins coûteux, ainsi que le questionnement que l’art contemporain suscite lorsqu’il est présenté dans l’espace public nous encouragent à explorer cette voie plus avant.
Titre et forme éloquents. Instant Pleasure : pour qui ? Interprétation libre, avec une belle ambiguïté propre à l’art.
Propos recueillis par Marianne Ebel
