Source : le journal solidaritéS n°171 (09/07/2010), p. 16.

Neuchâtel

 

Le Conseil d’Etat met en consultation un rapport qui vise au déplacement de la formation des jeunes en fin de scolarité obligatoire des écoles à plein temps (écoles techniques, commerciales, lycées, etc.) vers des apprentissages en entreprise (appelés formation duale). La cause en est financière, car une formation complète en école coûte beaucoup plus cher à l’Etat qu’une formation où l’apprenti·e ne suit qu’un à deux jours de cours par semaine.

 

Historiquement et en comparaison nationale, les entreprises du canton de Neuchâtel offrent peu de places d’apprentissage, ce qui a conduit au développement d’écoles techniques et commerciales d’excellent niveau, mais assez coûteuses.

 

L’Etat entend diriger, par divers moyens, les jeunes vers les apprentissages en entreprise :

 

* ouverture des classes des dernières années du secondaire aux entreprises pour se présenter

* aménagement des conditions de travail pour les apprenti·e·s (horaires, vacances actuellement moins favorables en entreprise)

* soutien et aides aux entreprises qui forment des apprenti·e·s

* augmentation des places d’apprentissage à l’Etat

* amélioration de l’accessibilité des entreprises pour les apprenti·e·s (sites souvent éloignés des transports publics)

* concentration de l’enseignement secondaire sur les connaissances de base au détriment de la culture générale (demande des patrons)

* adaptation de la formation des enseignant·e·s pour qu’ils·elles orientent davantage les jeunes vers la formation en entreprise

* valorisation publique, dans les médias, de la formation en entreprise

 

 

Certaines de ces mesures relèvent du bon sens et, a priori on ne peut que les approuver, d’autres nous heurtent : les patrons n’ont rien à faire à l’école secondaire et les enseignant·e·s n’ont pas à se substituer à l’orientation professionnelle. Mais ce qui nous inquiète le plus, c’est le risque évident qu’il y a de voir se renforcer la sélection à l’entrée des écoles à plein temps. Pour quelques places d’apprentissage supplémentaires et beaucoup de belles phrases sur la responsabilité de l’Etat envers les jeunes, ne va-t-on pas tout simplement rendre plus difficile l’accès aux lycées et aux écoles professionnelles à plein temps ?

Economiser plutôt qu’aider vraiment les jeunes

Aujourd’hui, le manque de places d’apprentissage est flagrant et le travail des apprenti·e·s est souvent dur et peu attractif. Vue sous cet angle, la volonté du Conseil d’Etat de développer la formation duale et de rendre les apprentissages plus attrayants pourrait nous réjouir. Mais quand on sait que le programme de législature prévoit de faire une économie dans la formation de 32 millions (alors que l’introduction d’Harmos impliquera des coûts supplémentaires dans le budget formation), on ne peut que déchanter. Placées dans ce contexte d’économies à tout prix, ces propositions nous interrogent; d’autant plus que le Conseil d’Etat annonce en même temps une nouvelle diminution de l’impôt sur les bénéfices des entreprises.

 

Une chose apparaît clairement : le Conseil d’Etat espère réaliser des économies par une augmentation de l’offre en formation duale; d’ici à ce qu’il justifie ainsi une diminution des enveloppes accordées aux écoles à plein temps, il n’y a qu’un pas, rapidement franchi. Si l’on n’y prend garde, le canton de Neuchâtel (aujourd’hui encore assez attractif du point de vue de ses écoles) risque de glisser dans une logique de démantèlement qui pourrait coûter cher aux futures générations.

 

Pour le libre choix

Certaines professions ne s’acquièrent qu’en formation duale, d’autres connaissent les deux voies pour obtenir le même diplôme. Certains jeunes préfèreront s’inscrire dans une école à plein temps, d’autres en ont marre d’être assis sur des bancs d’école et choisiraient volontiers d’apprendre un métier en entreprise. SolidaritéS est favorable au libre choix : que chaque jeune trouve son chemin et la meilleure façon de parvenir à son but. Mais pour que cela soit possible, il faut à la fois maintenir de bonnes conditions de travail dans les écoles à plein temps (aussi bien pour les élèves que pour les enseignant·e·s) et développer en parallèle la formation duale.

 

Aujourd’hui, certains jeunes ne trouvent de formation ni en entreprise, ni dans une école. C’est grave, car très vite ils finissent à l’aide sociale et souvent n’en ressortent plus. Il est urgent de remédier à cette situation : se former, apprendre est un droit dont chaque jeune doit pouvoir bénéficier, quels que soient sa nationalité, son milieu social, les moyens de ses parents.

 

Force est de constater que les jeunes en apprentissage sont actuellement beaucoup plus souvent laissés à eux-mêmes que les lycéen·ne·s. La volonté d’augmenter la formation en entreprise doit s’accompagner d’un renforcement des mesures de soutien et d’encadrement, ce qui ne coûtera pas moins cher que la formation en école. Mais il n’y a pas de miracle : une bonne formation a un prix, en école à plein temps comme dans un système dual. Dans ce domaine, les économies se traduisent la plupart du temps par une augmentation du nombre de jeunes en difficulté. Une marginalisation qui, en définitive, coûte bien plus cher à toute la société.

 

Henri Vuilliomenet