Intervention sur la fiscalité

"Monsieur le Président,

Mesdames messieurs les député-e-s,

 

Je m'exprime ici au nom d'une minorité qui refusera la loi qui nous est soumise, mais non sans avoir tenté de l'amender pour la rendre moins inacceptable. A l'issue des travaux de la commission, notre refus est basé sur deux points que je résumerai en quelques mots comme suit.

Le projet qui nous est soumis tient insuffisamment compte du fait que le canton de Neuchâtel a mal à ses recettes. En continuant à protéger prioritairement les plus riches de ce canton et à renoncer à imposer de façon conséquente les bénéfices que font les entreprises, le canton ne peut et ne pourra à l'avenir pas répondre aux besoins les plus élémentaires de la population en matière de santé, de formation et de création de crèches, d'insertion et de transports. Sans parler de la culture, parent pauvre s'il en est. Le processus de démantèlement du service public engagé depuis 2005 va continuer et le personnel de la fonction publique ne sera pas le seul à en faire les frais. Nous peignons le diable sur la muraille? J'aimerais bien le croire, mais je vois l'avenir de notre canton avec une grande inquiétude, et si nous voulons des entreprises dynamiques et créatrices d'emplois il nous faudra offrir à leurs cadres, comme à l'ensemble du personnel, un accueil et un environnement où les enfants peuvent se former, les jeunes trouver de l'emploi et les personnes malades se soigner. Le beau paysage que nous avons la chance d'avoir ne suffit pas! Le programme de législature 2009-2013, que nous refusons, prévoit des économies par dizaines de millions là où il faudrait pouvoir compter sur des fonds suffisants pour investir et développer les infrastructures, afin de permettre à chacun-e de vivre dignement et de trouver sa place. Propos hors sujet? Pas du tout, car le choix politique en faveur des plus riches qui nous est proposé risque de se retourner contre l'ensemble du canton. Une chose en effet est sûre, si les caisses étaient moins vides grâce à une contribution plus conséquente d'un impôt sur les bénéfices des entreprises, toute la population s'en trouverait mieux.

Les caisses vides ne tombent pas du ciel, mais sont le produit d'une politique que nous n'avons cessé de dénoncer. Aujourd'hui, le Conseil d'Etat reconnaît dans une certaine mesure que la politique d'exonération fiscale des entreprises -que nous contestions hier déjà-   a  conduit le canton dans une situation difficile qui ne peut plus durer. Le rapport, sur ce point nous donne raison. Maigre consolation, mais nous prenons acte avec satisfaction que le Conseil d'Etat se dit aujourd'hui soucieux de rétablir une certaine équité: toutes les entreprises, nous apprend-on, payeront à l'avenir un impôt sur leurs bénéfices.  Mais pourquoi alors garder l'article 82 qui permettra à ce même Conseil d'Etat, sans contrôle du Grand Conseil, de continuer, s'il le juge utile, d'exonérer l'entreprise X ou Y, sans contre-partie. On nous dit que si ce projet de loi passe -et nous n'en doutons pas, il passera!-, les caisses de l'Etat s'en trouveront mieux, puisque les entreprises payeront toutes un impôt de 5% sur leurs bénéfices. Jusqu'ici la loi prévoyait un impôt de 6 % pour les bénéfices annuels de moins de 40'000.- avec une progression jusqu'à 10% pour les bénéfices supérieurs. Le mouvement ATTAC calculait il y a cinq ans déjà que si ce taux avait été appliqué sans exception depuis les années nonante, il n'y aurait aucune dette - aucune dette!- à éponger. Mais au nom d'un pseudo réalisme -argument factice, mais qui marche- il est question aujourd'hui de baisser cet impôt sur les bénéfices à 5%. 5% alors que jusqu'en 1999 cet impôt était fixé à 18%.

5% alors que la majorité des cantons fixent cet impôt sur les bénéfices des entreprises à un taux plus élevé. Nous voici avec une proposition qui nous placerait avant Zoug, combien de fois décrié pour sa politique à la baisse des impôts. Y compris par Jean Studer lorsqu’il était conseiller aux Etats à Berne.

Une baisse d’autant plus problématique que les pays qui nous entourent (l’Autriche, l’Italie, l’Allemagne, la France) fixent tous leur impôt sur les bénéfices entre 25% à passé 30%.

Suivre cette logique à la baisse des impôts des entreprises -spirale néolibérale sans fin-, c'est faire fausse route. Dommage que nous ne soyons qu'une minorité à le reconnaître. Les générations futures tireront le bilan.

Le paradoxe de votre politique, soutenue par  la majorité du Grand Conseil, si elle confirme comme on peut s'y attendre, l'orientation actuelle de baisse d'impôts non seulement sur les bénéfices des entreprises, mais aussi pour les actionnaires et les holdings, approfondira la crise économique déclenchée en 2008, crise dont la racine est la baisse du pouvoir d'achat du monde du travail, à l'échelle internationale. Sans le vouloir, bien sûr, mais c'est à savoir, le choix proposé est un choix favorisant la crise économique. Et c'est notre deuxième point de désaccord fondamental et d'inquiétude profonde. En réduisant de moitié l’impôt sur le bénéfice des entreprises d’ici 2016, en divisant par 100 l’impôt sur les sociétés holdings, en mettant en place un dispositif permettant de facto de contourner l’impôt sur le capital, en réduisant l’imposition des dividendes perçus par les actionnaires détenant plus de 10% du capital de l’entreprise, on oublie -ou on ne veut pas voir- que cette politique de baisse d'imposition du capital est à la racine de l'actuelle crise financière et économique, génératrices d'inégalités et de chômage, dont notre canton fait lui aussi les frais de façon visible et sensible. En acceptant que les actionnaires et les détenteurs de capitaux payent de moins en moins d’impôts, nous ne pouvons plus répondre  aux besoins essentiels de la majorité de la population. C'est cela qui fonde notre refus. L'injustice sociale n'est pas une fatalité. Mais bien un choix que nous sommes libres de faire ou non.

En conclusion, nous accepterons l'entrée en matière, car la loi actuelle doit être changée : l'article 82 qui permet l'exonération des entreprises doit être aboli. Si nos amendements, qui méritent d'être présentés et défendus, devaient être refusés, nous ne voterons pas la nouvelle mouture de cette loi. Nous vous remercions pour votre attention."

Marianne Ebel, députée solidaritéS

 

Amendements à la loi sur les impôts directs/rapport 10.024

Art 82  allègements fiscaux

suppression de l’article 82 al 1 à 3 qui autorise le Conseil d’Etat à exonérer des entreprises.

 

Art 94 al 1 à 3 maintenus tels que formulés dans la loi actuelle (càd maintenir un impôt minimum de 6% pour les bénéfices de moins de 40'000.- puis garder une progression de cet impôt jusqu’à 10% au maximum)

 

al 4  nouveau

Des réductions d’impôts peuvent être accordées par le Conseil d’Etat dans la mesure où une entreprise investit dans la formation et l’engagement d’apprentis ou de personnes en situation précaire, dans une crèche ou dans le développement de productions et de technologies propres à préserver l’environnement et le climat.

 

al 5 nouveau

Le montant global des allègements fiscaux est soumis annuellement à l’approbation du Grand Conseil.

 

Art 108 al 2 et 3  et art. 109 :

refuser de diviser par 100 l’impôt sur les holdings

 

 

Commentaire de solidaritéS après l'acceptation de cette loi :

« Cette nouvelle loi sur la fiscalité qui divise plus que par 2 l’impôt sur le bénéfice des entreprises -la loi passe en effet de 10% à 5 % d’impôt sur les bénéfices, divise de plus par 100 l’impôt sur les holdings et prévoit de substantiels cadeaux (dès 2013) pour les actionnaires et propriétaires d’entreprises sur le plan personnel- a été malheureusement acceptée par 99 voix, contre 10 et 4 abstentions. Les 3 député-e-s de solidaritéS l’ont unanimement refusée, mais les Verts et le POP ont été divisés; quant au PS, à part abstentions, tous ont accepté cette révision de la loi sur les impôts directs. C’est préoccupant. »