De Seattle et Porto Alegre à Copenhague, nouveaux défis pour les mouvements

Christophe Aguiton, 6/01/2010 - Blog Copenhague Libération

Une quinzaine de jours après la fin de la conférence de Copenhague et dix ans après Seattle et Porto Alegre, qui ont marqué l'émergence du mouvement altermondialiste, il peut être utile de comparer les situations pour mieux comprendre quelques-uns des défis et problèmes auxquels seront confrontés les mouvements qui luttent pour une "justice climatique".

 

Copenhague, du point de vue des mouvements, est en effet très similaire à Seattle. Dans les deux cas les ONGs étaient les premières à se mobiliser sur les thématiques en cause, la dette des pays du Sud ou l'ouverture des marchés pour le mouvement altermondialiste, les questions climatiques pour Copenhague. Dans les deux cas les mouvements sociaux ont commencé à s'investir sur ces terrains, de façon déterminée pour le mouvement paysan avec Via Campesina, de manière plus timide pour le mouvement syndical. Dans les deux cas enfin, une importante mobilisation de la jeunesse a marqué l'émergence de nouveaux mouvements.

 

Du point de vue de la disposition des acteurs, Seattle et Copenhague sont, en revanche, dans des positions opposées. En s'opposant à l'OMC et au néolibéralisme, le mouvement altermondialiste se confrontait au point nodal du capitalisme contemporain : 1999, c'était l'époque de la "pensée unique" et du "consensus de Washington" qui ne voyaient aucune autre politique possible que celle de l'ouverture et la libéralisation des marchés. Sur la question climatique, à l'inverse, les ONGs et mouvements sociaux se retrouvent alliés – partiellement en tout cas – à des acteurs décisif du système et du capitalisme. Face aux responsables politiques qui nient encore – à l'image de George Bush – la réalité du changement climatique et face aux secteurs industriels qui veulent préserver leurs activités et leurs profits dans des secteurs émetteurs de gaz à effet de serre, on trouvera les mouvements, mais aussi des acteurs industriels qui veulent être les gagnants du "green capitalism" et des responsables politiques qui veulent que leur pays soient les hérauts de cette transformation.

Etrange sentiment de voir "Climate Justice" faire un bout de chemin avec Arnold Schwarzenegger, Angela Merkel, voire Nicolas Sarkozy !

 

La scène politique, en particulier à l'échelle internationale, est coutumière de ces situations où les acteurs se retrouvent ensemble, pour une alliance ponctuelle qui n'efface en rien les différences d'intérêts et de point de vue. Cela avait été le cas lors de la guerre en Irak où les mouvements anti-guerre avaient été en alliance objective - de très courte durée - avec les gouvernements allemand, français ou russe.

Les paysage est beaucoup moins clair sur la question climatique, où il est difficile de situer les lignes de partage des eaux. Une difficulté qui tient à l'ampleur des défis posés par la crise climatique, mais aussi à la coexistence de trois approches différentes qui divisent tant les mouvements que les différents secteurs du capitalisme. La première de ces approches consiste à faire confiance aux marchés et à l'initiative individuelle et collective pour permettre l'éclosion d'une vague d'innovations techniques et économiques. La deuxième est étatique et technologique et s'appuie sur des grands projets dans des domaines tels que les transports, la construction de centrales nucléaires ou des programmes de stockage et enfouissement du carbone. La troisième approche s'appuiera sur les initiatives sociales : les initiatives d'habitants sur les transports ou l'énergie, les échanges directs entre producteurs et consommateurs pour relocaliser la production ou les campagnes pour étendre le champ des "biens communs" à la propriété intellectuelle sur les nouvelles technologies.

Si personne ne se reconnaîtra dans une seule de ces trois approches, le poids à mettre sur telle ou telle, et en particulier sur les grands projets technologiques, sera un objet de controverse entre les mouvements. A la différence du mouvement altermondialiste ou il était possible de voir une ligne de front entre des mouvements défendant les services publics et la protection sociale face à un capitalisme néolibéral tenant du "moins d'état" et des privatisations.

 

A Porto Alegre le Forum Social Mondial pouvait se contenter de proclamer, face à Davos et au "consensus de Washington" : "Un autre monde est possible". Une réponse qui ne saurait suffire face à l'urgence climatique et aux risques de voir "d'autres mondes" surgir qui soient aux antipodes des valeurs et aspirations des militants pour une justice climatique comme, par exemple, l'imposition de mesures autoritaires par des Etats qui jugeraient que c'est la seule voie possible….

Pour avancer dans la définition de modèles de développement ou de projet de société, les mouvements devront cependant lever deux obstacles :

-          les différences de point de vue renvoyant à l'existence sociale des acteurs, salariés des grandes entreprises, petits paysans en culture vivrière ou indigènes d'une forêt primaire…

-          l'héritage doctrinal de la gauche et de mouvements sociaux formés lors du siècle précédent, héritage assez éloigné des préoccupations actuelles des mouvements pour la "justice climatique"…

L'élaboration d'un projet de société pourrait également permettre de revisiter une césure très ancienne entre ceux qui pensent pouvoir changer le monde en changeant le système et ses structures et ceux qui mettent en avant la nécessité de commencer par changer ses propres pratiques. Une césure qui remonte à Fourrier, adepte des phalanstères, versus Blanqui, maître de l'insurrection, mais qui n'a cessée de diviser le mouvement social.

 

Autre différence entre Seattle et Copenhague, la relation aux institutions internationales et l'appréciation des rapports Nord/Sud.

A Seattle, là aussi les choix étaient simples : d'un côté l'OMC, outil du néolibéralisme, les entreprises multinationales et les pays du Nord ; de l'autre les pays du Sud, étranglés par la dette et contraints de subir les plans d'ajustement du FMI. Pas besoin de longs débats pour savoir de quel côté se situer !

A Copenhague, première différence, c'est l'ONU qui est le cadre des négociations… Une ONU fragilisée par la place pris par le G8, le FMI, la Banque Mondiale, l'OMC et, dans la dernière période, par le G20 et qui est de ce fait d'autant plus ouverte aux petits pays et à la participation de la "société civile".

La deuxième différence tient au décollage de certains des grands pays du Sud, à commencer par la Chine. En dix ans les rapports de force mondiaux se sont transformés et la négociation de Copenhague en a été la démonstration éclatante. Le texte final a été écrit par les Etats-Unis et la Chine et avalisé par cinq pays, les mêmes plus le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud avant d'être présenté pour ratification finale à 28 pays, dont l'Europe et le Japon. Une réalité qui demandera une discussion dans les mouvements sur les stratégies d'alliance : s'il allait de soi d'exiger la reconnaissance de la responsabilité historique des pays du Nord dans le réchauffement climatique, il sera difficile de soutenir sans débat le "groupe des 77 plus la Chine" ce qui reviendrait à  mettre sur le même plan la Bolivie, qui a combattu – à juste titre – le texte final, et ceux qui ont été les protagonistes de son adoption !

 

Cette énumération de défis et problèmes à résoudre n'est pas exhaustive, et elle ne doit surtout pas être comprise comme une incitation à la résignation face à l'ampleur des tâches à accomplir. Elle est, au contraire, un encouragement à prendre à bras le corps des questions qui sont au cœur des préoccupations des militants et dont la prise en compte peut aider la gauche et les mouvements sociaux à redéfinir des orientations et des stratégies.