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Alors que l’Union craque de tous les côtés, une ré-assurance chômage serait un premier pas vers une solidarité sociale européenne. «L’Europe est une promesse qui n’a pas été tenue.» Celui qui a prononcé ces paroles à Rome jeudi n’est pas un «eurosceptique» patenté mais le président en exercice du Parlement européen, Martin Schulz. Il a précisé son propos en ajoutant que l’Europe, qui était supposée conduire à davantage «d’emplois, de services, de croissance», n’avait finalement servi qu’à imposer une austérité destinée à «sauver des banques».

Si même Martin Schulz ne peut pas faire autrement qu’émettre un jugement négatif sur l’intégration européenne, c’est qu’en politicien réaliste, il voit que cela craque de partout : crise grecque, possible sortie du Royaume-Uni, crise des réfugiés.

L’intégration européenne a longtemps été une promesse de démocratie et de prospérité. Sur le premier point, il y a longtemps que les yeux des Européens sont décillés, et ce ne sont pas les négociations sur le traité transatlantique qui risquent de faire changer d’avis.

En ce qui concerne la prospérité, il est toujours distrayant de consulter les études économiques réalisées avant chaque étape d’intégration (marché unique, euro...). Elles promettaient invariablement une augmentation de l’activité et de l’emploi ou même une croissance de long terme plus élevée. En pratique, à peu près rien de tout cela ne s’est réalisé.

On pourrait aussi rappeler le gag récurrent de l’Europe sociale. Celui-ci repose sur une dynamique bien connue dans l’histoire de l’intégration européenne. Chaque pas en avant crée un déséquilibre institutionnel qui ne peut être résolu que par une nouvelle avancée dans l’intégration. Appliquée à l’Europe sociale, le discours longtemps tenu à gauche était que la destruction des réglementations nationales devrait ouvrir la voie à la reconstitution d’un Etat social à l’échelle européenne. Ceux qui voulaient y croire imaginaient un modèle social-démocrate européen où l’harmonisation sociale se ferait par le haut.

Mais ceux qui se font encore des illusions à ce sujet devraient lire ce qu’en dit Jacques Delors dans ses mémoires. Celui qui passe à tort pour le grand défenseur de l’Europe sociale (à propos de laquelle il parle d’«appels lyriques trop souvent démagogiques») y avoue sans détour que son objectif lorsqu’il présidait la Commission était de parvenir à un minimum d’harmonisation des règles sociales, «un socle minimum de droits sociaux». On est donc loin des fantasmes d’Etat social développé à l’échelle européenne que certains croient voir dans l’appellation trompeuse d’«économie sociale de marché». De toute façon, la dimension sociale n’a jamais été une priorité, et la charte des droits sociaux de 1989 ne contient, de l’aveu même de Delors, que des principes généraux sans grande conséquence pratique.

Aux yeux de Delors, il était nécessaire d’accroître la flexibilité du marché du travail du moment que cela se faisait dans le «dialogue social». Bref, comme dans la loi travail. Celle-ci s’inscrit d’ailleurs elle aussi dans une dynamique d’intégration européenne. Le rapport sur la France produit dans le cadre du semestre européen, cette procédure lancée en 2011 qui examine ex ante les projets de budgets nationaux, indiquait que l’adoption et la mise en œuvre de la loi travail étaient essentielles.

C’est devenue une banalité de dire que l’union monétaire européenne est incomplète sans une union budgétaire. Au-delà des appels répétés et vagues à réaliser un fédéralisme budgétaire, il y a peu de propositions concrètes. Et même celles qui semblent apparemment les moins régressives ne sortent pas du cadre d’un échange de type flexibilité du marché du travail contre (pas beaucoup de) sécurité.

Ainsi en est-il de la proposition d’Agnès Bénassy-Quéré, Xavier Ragot et Guntram Wolff (Which Fiscal Union For The Euro Area ?) d’une (ré-)assurance chômage au niveau européen. Ce mécanisme n’interviendrait qu’en cas de conjoncture très mauvaise, une fois les droits à l’assurance chômage nationale épuisés et serait cofinancé par l’Etat concerné. Ce serait donc un tout petit premier pas vers une solidarité européenne en matière sociale.

Mais il faudrait en échange pour cela mettre en œuvre les sempiternelles réformes structurelles afin d’harmoniser (on comprend bien dans quel sens) les marchés du travail européens, en spécifiant même des critères de convergence pour avoir droit à cette (ré-)assurance chômage européenne. Un peu de protection sociale européenne en échange de «réformes» à faire accepter à coups de 49.3, de gaz lacrymogènes et de lanceurs de balles de défense. Bref, l’avenir radieux.

Bruno Amable, professeur de sciences économiques à l’université Paris-I Panthéon- Sorbonne

Article publié sur le site de Libération