buchenwald

Les reportages et les documentaires relatant le 50ème anniversaire de la libération des grands camps de concentration en Allemagne par les troupes alliées rappellent toute l’étendue de l’horreur nazie. Certains aspects sont très peu connus et auraient mérité un plus grand éclairage médiatique.

Ainsi la libération du camp de Buchenwald (près de Weimar) en avril 1945 est un épisode très particulier. Lorsque les troupes américaines y entrent, le camp est sous le contrôle d’une partie de ses anciens prisonniers. C’est l’aboutissement de la résistance et de l’action des détenus politiques. Une histoire extraordinaire, qui illustre que même dans des conditions de survie extrêmes, une résistance organisée reste possible et est capable de donner un sens à un combat politique.

Le 11 avril 1945, deux officiers de la IIIème armée américaine arrivent au camp de concentration de Buchenwald. Ils sont les premiers soldats alliés à y parvenir. Dans leur rapport du 24 avril 1945, ils écrivent :

« Nous avons tourné pour atteindre une sorte d’autoroute et là nous avons vu soudain des milliers d’hommes en haillons, d’aspect famélique, marchant vers l’est en formations serrées, disciplinées. Ces hommes étaient armés et ils avançaient, flanqués par leurs chefs. Certains détachements étaient en possession de fusils allemands, d’autres portaient sur leurs épaules des panzerfaust, d’autres portaient des grenades à manche. C’étaient les déportés de Buchenwald, marchant au combat, pendant que nos blindés les dépassaient » (in « Exercices de survie », Jorge Semprun, p 101).

Depuis le 3 avril, date du dernier appel dans le camp, la direction de la résistance clandestine (Comité international) se prépare à une confrontation avec les gardes SS. Une résistance passive d’abord dans cet immense camp où il y a encore plus de 40'000 prisonniers, dont une partie provient de l’évacuation par les nazis des survivants des camps d’extermination, d’Auschwitz entre autres. Le mot d’ordre est de refuser de répondre aux convocations de rassemblement par haut-parleur. Ainsi près de la moitié des prisonniers va ignorer ces ordres pour les marches « de la mort », ces cortèges de prisonniers affaiblis et malades que les SS continuent d’organiser à travers l’Allemagne en ce début d’année 1945 et qui provoquent une hécatombe de victimes.

Les détenus politiques allemands et autrichiens, anciens membres du parti communiste pour la plupart, ont continué à avoir une organisation collective après leur arrestation dans les années 30, après la prise du pouvoir par les nazis. Tout du moins pour ceux qui ont réussi à survivre à ces longues années de captivité et de mauvais traitements. Cela leur permettra de prendre le contrôle de l’administration interne du camp au printemps de 1942, activité que les SS déléguaient la plupart du temps aux détenus de droit commun. Ces tâches civiles (gestion de la distribution de vivres, de médicaments, organisation du travail à l’extérieur, contrôle des arrivées) permettent de protéger quelque peu les détenus politiques afin de construire un réseau de résistance plus large, en y intégrant plus tard les détenus politiques provenant d’autres pays occupés, nommé Comité international (CI)

A l’occasion d’un bombardement d’une usine proche du camp, des armes et différents outillages vont être récupérés afin de constituer une milice interne, l’organisation militaire interne (IMO). Cette organisation ultra-clandestine possède un visage légal pour les nazis. Elle est présentée comme une troupe de surveillance et de secours en cas d’incendie (sans les armes, bien sûr !)

Le 11 avril 1945, les combats sont tous proches. Une partie des gardes SS s’est enfuie. Le signal de la révolte est donné. Les 850 combattants de l’IMO disposent de 91 fusils avec 2000 cartouches, 20 armes de poing, 200 cocktails molotovs. Soit environ une arme pour 8 « combattants ». Un plan d’attaque avait été mis au point par le CI. L’effet de surprise est vital pour la réussite de l’insurrection, ainsi que la proximité des combats avec les alliés pour équilibrer quelque peu le rapport de force défavorable.

Après un bref combat, les insurgés prennent la maîtrise du camp, capturent 150 gardes et récupèrent un formidable armement, 1500 fusils, 180 panzerfaust, 20 mitrailleuses. C’est cette troupe armée qui est décrite par le rapport américain.

Autre témoignage, celui de l’officier de liaison à la 76ème division d’infanterie US, Jean-Baptiste Lefebvre, rapporté par un autre survivant du camp, l’intellectuel et résistant David Rousset :

« nous entrons dans le camp : aucune trace de combat ; il n’y a pratiquement aucune résistance SS ... ça et là, dans les camps, nous apercevons certains hommes qui ont perdu déjà l’aspect de déportés politiques. Ils portent des grenades accrochées à la ceinture, des fusils, des Panzerfaust ; ils donnent l’impression de vouloir constituer une force révolutionnaire dans le camp » (David Rousset, « Les jours de notre mort)

« Cette résistance démontre que, quelque soit l’ampleur et la férocité de la répression, l’expérience de lutte de l’organisation du mouvement communiste donne aux révolutionnaires les méthodes permettant de traverser les pires épreuves –pourvu qu’ils fassent preuve d’une détermination suffisante » (T. Derbent, « La résistance communiste allemande 1933-1945).

L’endurance et l’intelligence de cette résistance prouvent que dans des situations apparemment sans issue, un espoir reste possible. Une expérience à retenir aujourd’hui pour nos futurs combats politiques.

José Sanchez