yves velan

Né le 29 août 1925 à Saint-Quentin (Aisnes), Yves Velan est décédé le 6 mai 2017 à La Chaux-de-Fonds. Il fit des études de lettres à Lausanne, puis exerça la profession d’enseignant. Victime d’une interdiction professionnelle dans le canton de Vaud (jusqu’en 1953) pour son appartenance au Parti ouvrier et populaire (POP), Yves Velan s’établit alors à La Chaux-de-Fonds, où il fut professeur de français jusqu’en 1991 (avec toutefois un séjour d’une dizaine d’années aux Etats-Unis, où il enseigna à l’Université de l’Illinois, Urbana)...

Après les remous suscités dans les partis communistes par le « rapport attribué au camarade Khrouchtchev » (février 1956) sur les crimes de Staline, présenté au XXe congrès du Parti communiste de l’Union Soviétique (PCUS) et l’écrasement par l’armée russe en novembre 1956 de la « révolution hongroise des conseils ouvriers » (1), Yves Velan quitta le POP et adhéra à une nouvelle organisation(2), qui n’eut d’existence – de 1958 à 1963 – que dans le canton de Neuchâtel, la Nouvelle gauche socialiste (NGS). Lorsque la NGS fut dissoute au profit d’une fusion/absorption par le Parti socialiste neuchâtelois (PSN), Yves Velan fut de ceux qui refusèrent d’entrer au PSN et se consacra essentiellement à son activité littéraire. Il n’adhéra plus à un autre mouvement politique, mais participa dans les années 1970 à la création du « Groupe d’Olten », association d’écrivains de gauche, créé après la publication du livre rouge de la défense civile, dont la version française avait été rédigée par l’écrivain valaisan Maurice Zermatten, alors président de la Société suisse des écrivains (3).

Ci-dessous, un entretien paru dans la revue Domaine Public, après la dissolution de la NGS, où Yves Velan fait un bilan des 5 ans d’existence de ce parti (hp.renk)

1) François Manuel (pseudonyme de Pierre Broué), La révolution hongroise des Conseils ouvriers / préface de Robert Chéramy. Paris, Société parisienne d’impression, 1957 (Supplément à « La Vérité », no 445)

2) Raymond Spira, C’était la Nouvelle Gauche : contribution à l’histoire politique du canton de Neuchâtel. Neuchâtel, Nouvelle revue neuchâteloise, 2008 (Nouvelle revue neuchâteloise ; no 97)

3) « Sociétés d’écrivains », Dictionnaire historique de la Suisse

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Interview d’Yves Velan :

L’expérience de la Nouvelle Gauche neuchâteloise : ses raisons d’avoir été

Introduction.

Quand s’est dissoute la Nouvelle Gauche de Neuchâtel, en tant que parti politique, beaucoup s’en sont réjouis : toute division de la gauche est une faiblesse. D’autres, plus philosophes, y ont vu la fin d’une grippe politique : poussée de fièvre chez quelques sujets délicats après la rupture avec le parti communiste, ou fièvre de jeunesse.

De toute façon, on nous disait : le rideau est retombé, donc cette expérience n’offre plus d’intérêt.

Tel n’est pas notre avis. Un échec n’est pas nécessairement une erreur, un égarement, une rature. Il a toujours une signification. Elle peut être riche d’enseignements.

La NGS traduit l’effort d’une équipe pour atteindre à l’efficacité politique. Comment agir ? A l’intérieur des formations traditionnelles ? _ Mais leur force d’inertie est considérable. En dehors d’elles ? – Mais on se coupe du réel. Si on assume les actions limitées et les besognes mineures pour échapper à l’intellectualité pure, le quotidien, au lieu de vous donner l’appui d’un sol ferme, ne va-t-il pas vous engluer ? Hésitations traditionnelles de l’intellectuel en mal d’efficacité.

La qualité et la sincérité des hommes de la NGS a donné à cette recherche toute sa valeur.

Dans cette interview, nous n’avons pas cherché à discuter point par point les affirmations avancées. Nos questions sont là pour permettre à Yves Velan de s’exprimer. Laissons-le donc répondre !

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« Domaine Public »: Une première question toute simple : quand vous avez lancé la Nouvelle Gauche, qu’espériez-vous ?
Yves Velan: Cette question toute simple est très importante. Y répondre, c’est dire à la fois les raisons d’être de la NGS et son échec. En effet, quand on fonde un parti, il faut se demander quelles en sont les possibilités et les limites. Les unes et les autres étaient grandes : Les possibilités : rendre à la gauche quelque dynamisme, en rapprocher les formations pour un travail commun, lui donner une analyse concrète de la réalité suisse, des informations et des perspectives. Les limites, eh bien !... disons que même si les partis, dans leur forme actuelle, sont une institution partiellement désuète, ils ont leur existence et leur fonction. Leur existence en tout cas. Et le traditionalisme du corps électoral (on pourrait aussi voir ce qu’il signifie) les rend plus solides. Dans ces conditions, être un grand parti nouveau, c’était impossible, mais ne pas être un parti, c’était aussi impossible, parce qu’on n’aurait plus eu de contact avec cette réalité qu’on prétendait décrire et qu’on serait devenu un cénacle.

Et notre tentative n’était pas utopique. Il y a des gens qui tout en refusant de militer et tout en se déclarant non satisfaits des formations existantes voteraient, et à gauche. Preuve en est que nous avions des électeurs. Mais c’est là que nous n’avons pas su, je dirais essentiellement : choisir. Nous avons été dévorés par le travail politique et nous avons perdu de vue notre but : rassembler la gauche, faire un travail idéologique.

- Reprenons ces deux points : votre activité en tant que parti et votre effort idéologique. N’avez-vous pas découvert assez rapidement qu’il y avait une certaine lenteur politique dans les législatifs, surtout qu’on y consacrait énormément de force et de temps, qu’on était absorbé par des besognes quotidiennes ? Ne retombiez-vous pas dans les problèmes qui étaient justement ceux des partis traditionnels ?

Certainement. Et c’est d’autant plus pernicieux pour un petit parti : nous y avons employé toutes nos énergies. Quand nous nous en sommes aperçus, je ne crois pas qu’il était trop tard, mais enfin il y avait ceci : une lassitude générale pour beaucoup et, pour quelques-uns, le goût qu’ils avaient pris à cette politique quotidienne. Et puis, dans un groupe comme la Nouvelle Gauche, il ne fallait pas se préférer à son action : parce qu’on ne parlait pas de vous dans les journaux, parce qu’on vous ignorait, cela ne signifiait pas que vous n’aviez pas d’efficacité. Au contraire. Mais il faut savoir quelle efficacité on recherche. Ou si vous voulez, préférer l’efficacité au retentissement.

- Toute formation de gauche nouvelle peut avoir, en Europe, deux attitudes possibles. Si nous prenons quelques références françaises, il y a l’attitude que l’on peut appeler « travailliste », qui consiste à utiliser les forces de gauche traditionnelles, à les regrouper, à les réanimer. C’est la tendance « France-Observateur », formule nouvelle – et puis il y a l’attitude plus « sectaire » qui est celle de groupes faibles numériquement et qui ne peuvent faire qu’une critique forcément négative des différentes faiblesses des institutions de gauche traditionnelles. Au fond, la Nouvelle Gauche, par rapport à ces deux notions fondamentales actuellement, se définissait comment ?

Je ne crois pas que ces deux notions soient incompatibles. Elles me sembleraient plutôt corollaires. De toute manière, cette définition, en ce qui nous concerne, a été insuffisante. De quoi la gauche a-t-elle besoin ? D’un nouveau parti ? Non. D’une autre politique ? Certainement. Qu’est-ce que ça veut dire ? Essentiellement ceci : une connaissance de la réalité, mais une vraie connaissance, pas une connaissance mythique ; répondre à un certain nombre d’exigences humaines ; et offrir une perspective d’action. Si nous avions voulu faire tout cela à la fois, nous aurions été bien embarrassés. Mais nous pensions nous livrer à un certain nombre d’enquêtes, rappeler certaines vérités premières, émettre quelques propositions, en un mot amener les partis de gauche à se voir et leur suggérer des idées utiles, quitte à ce qu’ils les adoptent, sans dire où ils les avaient prises et même après en avoir rigolé.

- Cela ne signifie pas qu’il faille être un parti.

Certes, et j’ai moi-même reconnu qu’il n’en était pas besoin. Il n’en est pas besoin théoriquement. J’ai essayé d’expliquer plus haut pourquoi nous y avons été contraints. Encore cette nécessité n’est-elle pas absolue et pourrait-on songer à faire le même travail dans les formations existantes. Or non, pas en ce moment. Ceux qui le tentent ne sont pas écoutés. La bonne conscience, l’assurance des partis de gauche est telle qu’ils refusent de se voir. Sur ce point, ils sont l’exact pendant de la droite. Il faut que la réflexion soit menée de l’extérieur pour qu’ils retrouvent un miroir... qu’ils ont avalé.

Et puis entre eux, entre PSS et POP, ils sont dans un état d’opposition immobile. S’il n’y a pas une troisième force, une plate-forme, ils continueront à se regarder en chiens de faïence éternellement.

Et par ailleurs, pourquoi la critique devrait-elle être négative ? Un plan d’aménagement du territoire, par exemple, est une critique puisqu’elle montre ce qui ne se fait pas, mais positive puisqu’elle propose. C’est une question d’orientation.

Tout un travail idéologique est à entreprendre. S’il ne s’accomplit pas à l’intérieur des partis, il se fera en dehors. Si un parti travailliste existait, le PSU n’aurait plus de raison d’être. Mais un moyen de le faire être, c’est qu’il y ait un PSU. Et puis derrière tout cela, il y a une question plus grave encore : les transformations de la structure sociale, les déplacements de la force sociale réelle. Ce n’est pas seulement parce que les grands partis de gauche refusent un certain type de travail que la NGS est née : c’est parce que la situation actuelle réclame une autre sorte de parti de gauche, une autre sorte de socialisme. Mais ça, ça réclamerait aussi tout un autre débat.

- Si on enchaîne sur des questions d’efficacité, il y a un problème particulièrement difficile à résoudre : comment obtenir des informations dans le domaine économique, car faute de cette connaissance réelle, dont vous parlez, des mécanismes économiques ou du jeu des groupes de pression, tout mordant est enlevé à l’action politique. Avez-vous tenté de résoudre ces difficultés ?

Ca, c’est le chiendent. Bien sûr, nous avons eu d’autant moins d’informations que nous nous sommes mis plus tard à les chercher. Le capitalisme suisse est un des plus intégrés qui soient. Nulle secousse ne l’a jamais fortement ébranlé. Et une certaine sagesse lui a fait lâcher le peu de lest qu’il fallait pour émousser la revendication. Résultat : le capitalisme va de soi. Il nous est naturel comme le langage, on l’hérite comme lui et on n’a pas l’idée de le considérer. D’ailleurs, il n’aime pas ça, car examiner, c’est mettre en question. Preuve en soit le retard des études sociologiques en Suisse. Trouver le matériel est très difficile ; souvent il n’existe pas ; ou alors il est interdit de le communiquer : de quoi se mêlent ces gens de vouloir se renseigner puisque tout est bien ? (Il en résulte que les informations prennent une résonance plus grande, par exemple celle que vous avez donnée sur les prébendes de M. Petitpierre). Là fut une de nos faiblesses à la NGS : nous avions un certain nombre d’étudiants ; ou bien nous ne les avons pas utilisés ou ils ne se sont pas consacrés à des travaux de recherches spécifiques. Or, dans une certaine mesure, tout ce qu’on peut faire maintenant est de dire les choses ; pas en vociférant, mais tranquillement et preuves à l’appui.

Ainsi la disparition de la Nouvelle Gauche ne résout rien...

(Domaine Public, no 4, 18 décembre 1963)