Sauver la planète Comment?
Sauver la planète
Comment?
Les deux positions ci-dessous qui
partagent le même pronostic dune catastrophe
planétaire imminente, liée au productivisme capitaliste,
proposent des stratégies dopposition très
différentes
A bord du Titanic:
pacte écologique ou mutinerie sociale??
à lurgence, il faudrait nous unir pour la cause commune
environnementale. Décréter la mobilisation nationale
au-delà des clivages traditionnels et des intérêts
particuliers, aussi légitimes soient-ils.1 On
retrouve ici la parabole du Titanic: étant tous sur le
même bateau menacé de naufrage, nous devrions passer
dune culture dopposition et de confrontation à une
culture de la construction collective. Or, au-delà du bon sens
apparent, ce discours escamote les responsabilités. A bord du
Titanic, qui a supprimé des canots de sauvetage pour maximiser
les profits de la traversée? Larmateur. Qui a mal
piloté le navire? Le capitaine. Qui a décidé de
sacrifier les troisième classe pour sauver (une
partie) des nantis? Les mêmes. Faut-il prêcher aux pauvres
une culture de la construction collective, alors quils sont les
victimes, non seulement de la culture, mais de la pratique de
confrontation des puissants?
(
) Nous sommes tous sur le bateau planétaire et il
ny a pas de canots de sauvetage, OK. Mais il y a des armateurs
et des officiers qui mènent le bateau à sa perte.
Barricadés sur le pont supérieur, ils mènent
grande vie autour du bar et de la piscine. Ils ont bloqué le
donneur dordres sur «full speed» parce que, à
chaque litre de combustible brûlé, ils
senrichissent. Il leur est impossible de renoncer à cette
logique, elle est structurelle. Que doivent faire alors les autres
passagers? Changer leur mode de vie parce que lévolution
de nos sociétés est telle que les transformations
sociales seront liées à quelques actions individuelles
plutôt quà des phénomènes de masse?
Cela ne répond pas au problème. Prôner aux
privilégiés une culture de la construction collective?
Ils naccepteront que dans la mesure où cela servira leurs
intérêts. Pour sauver le navire, ne serait-il pas plus
efficace denfoncer les portes pour prendre le contrôle du
bâtiment?
Une sorte de mutinerie des passagers de la planète est en effet
nécessaire. Autrement dit, une mobilisation massive de ceux qui,
parce quils sont exploités économiquement, sont
aussi les principales victimes écologiquement. Il sagit
de sen prendre non seulement au mode de consommation mais aussi
au mode de production, car celui-ci détermine celui-là.
Cette voie nest pas facile, son succès nest pas
assuré. Mais lautre voie, celle de lunion
sacrée, sur quoi débouche-t-elle? La lettre ouverte
demande aux élus de faire preuve de courage parce que les
solutions vont impliquer des sacrifices économiques, des risques
sociaux des mesures impopulaires, fortes, radicales, même si
lopinion nest pas encore prête. Cest quoi
ça? Quelles mesures, contre qui? Contre les multinationales du
pétrole et de la bagnole? Et qui les prendrait? Les élus
de chacun des partis dont les programmes regorgent didées
et de mesures vertes, et cest tant mieux? Si ces gens-là
étaient prêts à faire preuve de courage contre le
système, ça se saurait
Dans le monde réel,
cest sur les petits quils cognent, selon les consignes du
néolibéralisme. Ils ne demandent pas mieux que leur
marteau soit peint en vert et labellisé «Pacte
écologique», ça leur donnerait un peu de cette
légitimité sociale qui leur fait si cruellement
défaut. Mais les victimes, elles, risquent de se retourner
contre le combat écologique, donc contre elles-mêmes.
Sauver la planète ne passe pas par un pacte avec ceux qui la
pilotent mais par une lutte commune de tous ceux qui subissent ce
pilotage insensé.
* Journal du Mardi (Belgique), 24 avril 2007.
1 Sous la houlette de Nicolas Hulot, une série de
personnalités ont adressé une «lettre ouverte aux
élus», réclamant un «pacte
écologique».
Se préparer à leffondrement du système
été marqué par un mal développement
hallucinant qui se poursuit aujourdhui sous le nom de
«développement durable» imposé
à lhumanité au nom de la prospérité.
Militarisme, dictatures, guerres, croissance économique, Union
européenne, libéralisation, mondialisation,
développement incontrôlé du trafic automobile, de
laviation, énergie nucléaire, bobard de la fusion
nucléaire contrôlée, scientisme ( ) Le plus
inquiétant est notre dépendance à
légard des énergies non renouvelables et le
changement climatique quelle provoque. Cela va rendre la vie sur
la Terre très difficile, à moins que le nucléaire
ne se charge de faire disparaître lhumanité en
temps utile. Ce risque est réel, puisque ladministration
nord-américaine envisage dutiliser larme atomique
contre lIran.
Que faire? Il est à mon avis illusoire de chercher un
système politique, une méthode de gouvernement qui
permettrait de gérer des Etats, comprenant des millions de
personnes, de manière à réconcilier lhomme
et la nature. Les structures étatiques comprennent
nécessairement des hiérarchies de pouvoir dont la
motivation première est de résoudre des problèmes
et non de se demander si les problèmes en question pourraient ne
pas exister. Cela mène à une fuite en avant permanente
(
).
Pour être bien sur Terre, il faut pouvoir se laisser vivre. Mais
cest la dernière chose que le pouvoir puisse envisager,
puisque cela le rendrait définitivement inutile. Se laisser
vivre cest, de mon point de vue, jouir du moment présent
que nous offre notre interaction avec dautres et avec la nature.
Le fait, par exemple, de se sentir bien dans un paysage, sur un coin de
terre, de sentir intuitivement ce qui est juste,
dapprécier la compagnie des amis et amies. Pas besoin de
produire, dêtre rentable, efficace.
Cela ne signifie pas quon ne va rien faire et nexclut pas
des travaux pénibles. (
). Mais le travail doit prendre
une autre signification. Il nest plus un but en soi, mais une
contribution à la bonne santé du groupe, au maintien de
la planète. Citons Castoridis: «Nous devrions être
les jardiniers de cette planète. (
) Voilà une
énorme tâche. Et cela pourrait absorber une grande partie
des loisirs des gens, libérés dun travail stupide,
productif, répétitif, etc. Or cela est très loin
non seulement du système actuel, mais de limagination
dominante actuelle. Limaginaire de notre époque,
cest celui de lexpansion illimitée, cest
laccumulation de la camelote [
] cest cela
quil faut détruire. Le système sappuie sur
cet imaginaire-là.»1
(
) Comme le système économique actuel ne
peut pas se passer de croissance et comme les pouvoirs établis
démocraties ou dictatures sont esclaves de
léconomie, on ne voit pas ce qui pourrait éviter
leffondrement du système. Il serait donc judicieux de
sy préparer, ce que nous pouvons faire en tant que
personnes. Il ny a probablement pas de marche à suivre
toute faite, mais la recherche dun maximum dautonomie en
collaboration avec des personnes proches est probablement une
étape nécessaire pour éviter le pire.
Lentraide et la modestie devront se substituer à
lesprit de compétition propre à laberration
économique. Cela devrait rendre la vie plus agréable,
mais nous ny sommes pas encore.
1 Cornelius Castoriadis, «Stopper la montée de
linsignifiance», Le Monde Diplomatique, août 1998.