Réouverture des écoles
«Un pari extrêmement risqué»
Le Conseil fédéral prévoit une réouverture des écoles le 11 mai, dans un contexte de fortes incertitudes quant aux conditions sanitaires et pédagogiques de cette reprise. Entretien avec Raphaël Ramuz, responsable du secteur enseignement du Syndicat des services publics (SSP) dans le canton de Vaud.
Quelle est ton appréciation des modalités mises en œuvre par la Confédération et les Cantons pour l’enseignement à distance ?
On peut discuter des détails de tels ou tels choix concrets, mais le plus instructif dans ce processus est ce qu’il révèle. D’une part, l’enseignement à distance ne peut pas être équivalent à l’institution scolaire. Avec ses qualités et ses défauts, l’école ne se réduit pas à la transmission d’un stock de connaissances, elle inclut un ensemble de liens sociaux qui excèdent très largement le rapport enseignant·e – enseigné·e et participent de l’éducation des enfants.
D’autre part, il est un puissant révélateur et multiplicateur d’inégalités. D’abord, il présuppose une infrastructure matérielle : ordinateur, logiciels, connexion, possibilité de s’isoler, etc. Or, cette infrastructure est très inégalement répartie. À cet égard, le bilan devra être fait, mais la situation est encore plus problématique que ce que l’on aurait pu pronostiquer. Ensuite, il implique une base de connaissances techniques que ni les enseignant·e·s, ni les élèves (ni leurs parents) ne sont censé·e·s posséder et qui aggrave encore les inégalités.
Que penses-tu de la décision du Conseil fédéral de rouvrir les écoles dès le 11 mai ?
Afin d’éviter les faux débats, il faut rappeler que le SSP est favorable à une réouverture la plus rapide possible. Nous avons assez souligné toutes les limites et les dangers socio-pédagogiques du confinement et de l’enseignement à distance pour que cela soit clair. Mais la question centrale n’est pas tant celle de la date de reprise que celle des conditions sanitaires et pédagogiques de celle-ci. Or, la position du Conseil fédéral sur la question sanitaire est très inquiétante.
À l’heure actuelle [lundi 27 avril. ndlr], les seuls éléments formulés par le Conseil fédéral sont que les enfants ne sont ni porteurs·euses, ni transmetteurs·euses du virus et que l’usage des masques n’est pas utile. Ces affirmations sont clairement abusives en l’état des connaissances scientifiques sur la question. Par contre, elles sont fonctionnelles à une reprise rapide et étendue des activités de production et de consommation. En effet, le principal obstacle à la reprise de l’activité économique est la garde des enfants. Si ceux·celles-ci ne sont pas concerné·e·s par le virus, ils·elles peuvent retourner à l’école et les parents peuvent travailler. La position actuelle du Conseil fédéral relève d’un pari sanitaire extrêmement risqué, très loin du principe de précaution nécessaire dans de tels cas.
Sur le plan sanitaire, quelles sont les conditions préalables à la reprise de l’enseignement en présentiel ?
Sans entrer dans les détails (le SSP a formulé des revendications détaillées sur son site internet), ces conditions doivent s’appuyer sur l’analyse claire et objectivée de la situation médicale, les spécificités de l’école comme lieu de rencontre (âge des enfants, taille des classes et des espaces communs, type de contacts et de personnels, etc.) et sur l’application du principe de précaution lorsqu’il y a des doutes.
Il ne faut pas oublier que l’école n’implique pas seulement des enseignant·e·s et des élèves, mais une multitude d’autres professionnel·le·s. Pour toutes ces personnes (enfants comme adultes), les règles sanitaires définies sur des critères scientifiques robustes doivent s’appliquer.
Et sur le plan pédagogique ?
L’enjeu est très grand. L’accent devra être mis sur le fait de renouer le contact avec les élèves, de permettre à tou·te·s de se raccrocher au groupe et de fonctionner à nouveau collectivement, ceci en partant de situations sociales et psychologiques très différentes. Cet effort socio-pédagogique doit accompagner la reprise immédiate, mais il devra également guider l’année scolaire suivante et nécessitera des moyens supplémentaires.
Quel pourrait être l’impact de la période que nous vivons sur le développement et l’instruction des élèves ?
En positif, cela pourrait permettre de revenir sur la « mode du numérique » et souligner l’importance du lien social dans toutes ses dimensions.
Cela pourrait permettre également de dépasser la confusion entre, d’une part, l’omniprésence du numérique « de loisir », qui est une fin en soi promue par l’industrie du secteur et, d’autre part, la maîtrise du numérique comme outil professionnel et pédagogique. On a expérimenté tous les problèmes que posent les solutions clé en main de cette industrie en termes de protection des données, de droits de propriété, etc. Et cela montre la nécessité, pour l’école et le service public en général, de se doter d’outils numériques propres et indépendants des géants du numérique.
Bien entendu, comme dans n’importe quel processus de ce genre, il y aura une lutte pour l’interprétation de ce qu’a été cette expérience et de ce qu’il faut en retirer. C’est dès maintenant qu’il faut s’y préparer.
Propos recueillis par notre rédaction