Moria : pleurent les crocodiles

Flashmob Moria en feu, Lausanne, 12 septembre 2020
Flashmob pour demander l’accueil immédiat des réfugié·e·s du camp de Moria, Lausanne, 12 septembre 2020

Inutile de répéter ce que beaucoup se sont évertué·e·s à expliquer : l’incendie de Moria était prévisible. Comme le rappelle Aurélie Ponthieu de MSF (Le Temps, 17 septembre 2020), ce camp fondé sur un système de déshumanisation et de maltraitances avait déjà entraîné plusieurs incendies. Tout aussi prévisible était l’indécence avec laquelle celles et ceux-là mêmes qui ont mis en place Moria osent verser aujourd’hui des larmes de crocodile. Car ces camps sont le résultat direct des politiques migratoires meurtrières d’une Europe qui se barricade contre un ennemi qu’elle s’invente, par de tels hotspots visant à bloquer les migrant·e·s aux frontières extérieures de l’espace Schengen.

L’hypocrisie se retrouve aussi côté helvétique : évitant soigneusement de rappeler que la Suisse a été l’une des meilleures élèves du règlement Dublin III, avec des renvois automatiques en masse vers les pays de première arrivée en Europe, Karin Keller-­Sutter a simplement affirmé que les problèmes survenus à Moria résultaient d’une mauvaise gestion des procédures en Grèce. Elle s’est félicitée d’avoir offert une aide humanitaire sur le terrain et a souligné la participation de la Suisse au transfert de 400 mineur·e·s vers la Grèce continentale. Elle a ensuite annoncé, sans malaise, un éventuel transfert de 20 enfants en Suisse. En termes d’indignité, on atteint des sommets quand on sait qu’en février déjà, la Grèce comptait 5379 mineur·e·s isolé·e·s, dont 479 âgé·e·s de moins de 14 ans et 1105 vivant dans des conditions précaires, dormant à la rue, dans des squats ou des appartements en compagnie d’adultes (National Center for Solidarity, « Situation Update : Unaccompanied Children (UAC) in Greece », chiffres du 29 février 2020).

Derrière ces annonces, se poursuit la politique habituelle : rejetant les demandes de plusieurs villes disposées à accueillir des réfugié·e·s, la Confédération décide de renforcer les infrastructures de contrôle, de détention et de renvoi. Il est notamment prévu que sa contribution financière à l’agence européenne Frontex augmente et atteigne entre 36 à 68 millions de francs en 2024. La construction d’un nouveau centre de renvois à Genève s’inscrit également dans cette perspective. Une politique d’autant plus absurde quand on sait que le nombre de demandes d’asile déposées en Suisse est au plus bas depuis la fin des années 1990 (14 269 demandes déposées en 2019, soit 33 244 de moins qu’à la fin de l’année 1999 ; source : Secrétariat d’État aux migrations). À cette époque, le nombre annuel de demandes d’asile avait plusieurs fois dépassé les 40 000 (soit près de trois fois la population entière de Moria) sans que le pays ne s’effondre. Des chiffres qui rappellent non seulement que la menace brandie d’une invasion relève de la psychose, mais aussi que la Suisse a largement les capacités pour accueillir.

Une lueur d’espoir réside dans le fait que de plus en plus de monde refuse la funeste politique du rejet. Les mobilisations grandissent tout comme la désobéissance civile : des dockers de Marseille aux équipages des bateaux de sauvetage, des No Borders à Calais aux occupant·e·s de maisons vides à St-Gall. Il est temps d’exiger que nos autorités fédérales prennent leurs responsabilités et accueillent urgemment le plus grand nombre possible de personnes bloquées dans les camps aux frontières du continent européen. Et qu’elles rejettent la mécanique des accords de Dublin ou tout autre système qui les remplacera, si celui-ci n’a pas pour but un accueil digne des personnes qui arrivent.

Elisa Turtschi

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