Trois ans après l’assassinat de Marielle Franco

Où va le Brésil de Bolsonaro ?

Le 14 mars 2018, l’ancienne conseillère communale de la ville de Rio, Marielle Franco, se faisait abattre par balles pour avoir osé se lever contre les injustices de la société brésilienne. Trois ans plus tard, nous ne savons toujours pas qui a commandité son meurtre. Ses revendications sont loin d’être entendues. 

Affiche avec le portrait de Mareille Franco, Rio de Janeiro, 2021
En marge d’une manifestation « 1000 jours sans Marielle », Rio de Janeiro, décembre 2020

Femme noire, lesbienne et issue des bidonvilles, Marielle Franco était une militante infatigable pour les droits humains et LGBTIQ+. Élue par le Parti Socialisme et Liberté (PSOL), elle portait la voix de celles et ceux qui n’avaient pas le droit à la parole, car stigmatisé·e·s, marginalisé·e·s et exclu·e·s de toute sphère de pouvoir. Les questions de genre, de race, de défense des minorités LGBTIQ+ et de justice sociale étaient au cœur de ses combats, tant dans les rues qu’au conseil municipal, jusqu’au crime politique qui lui a ôté la vie en 2018, peu avant l’élection de Jair Bolsonaro. 

Si son assassinat a provoqué une vague d’indignation et de mobilisations à l’échelle internationale, il a également ouvert une séquence de persécution de militant·e·s de gauche, soutenue par le président et ses adeptes. Depuis Marielle Franco, les agressions, menaces de mort, voire tentatives d’assassinat, deviennent monnaie courante dans le pays et poussent des militant·e·s et élu·e·s à quitter leur maison, et même à s’exiler. De Jean Willys à Carolina Iara, en passant par Erika Hilton, iels ont tou·te·s quelque chose en commun : ce sont des personnes noires, LGBTIQ+, issu·e·s de milieux défavorisés et militant·e·s de l’opposition. Bolsonaro, qui appelait dès le début de son mandat à « bannir ces marginaux rouges de notre patrie », n’a rien fait pour les protéger et participe activement à la normalisation de la violence qui frappe les minorités au Brésil aujourd’hui.

Racisme, inégalités, pandémie 

Dès le début de la pandémie, il était très clair que la maladie ne frapperait pas tout le monde de la même manière. Alors que le Brésil a passé le cap des 300’000 décès, des études démontrent que les décès des personnes noires sont cinq fois plus nombreux. Les chiffres atteignent ainsi 70 % dans l’État de Sergipe. Beaucoup d’entre elles·eux vivent dans des favelas, privé·e·s d’installations sanitaires de base, ce qui les rend très vulnérables à la maladie. 

À cela s’ajoute la crise économique et sociale, renforcée par la pandémie, qui aggrave les inégalités et pousse des milliers de travailleurs·euses dans la misère. L’explosion du chômage frappe de plein fouet les travailleurs·euses de l’économie informelle, surtout dans le secteur de l’économie domestique au sein duquel ce sont des femmes noires qui sont majoritairement employées. Environ 13 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, avec un revenu de 250 reais par mois (environ 50 francs), et parmi eux·elles, beaucoup sont retombé·e·s quand la rente d’urgence liée au Covid-19 est arrivée à son terme (solidaritéS nº 367). Aujourd’hui, il est primordial de sauver des vies et d’assurer des conditions minimales d’existence pour la grande majorité de la population.

Vers un front unique pour renverser Bolsonaro

Dans ce contexte, les priorités immédiates de la gauche brésilienne sont la lutte pour le vaccin et le droit à un revenu d’urgence, afin d’assurer la survie du plus grand nombre. Cela passe par la construction d’un front unique, avec tous les secteurs progressistes, pour renverser le gouvernement Bolsonaro. Dans cette perspective, le retour de Lula sur la scène politique a changé le rapport de forces, dans la mesure où il consolide l’opposition de gauche et peut constituer un atout pour la construction d’un front large et de poids, capable de faire tomber le gouvernement. La peur de l’ex-métallurgiste dans le camp bolsonariste est telle que, suite à un discours où il critique la gestion actuelle de la pandémie, le président et ses fils ont commencé à porter le masque et à promouvoir la vaccination contre le Covid-19. 

Mais si l’annulation des condamnations de Lula constitue une victoire démocratique, il est encore trop tôt pour prédire la stratégie du Parti des Travailleurs. Bien que dans son dernier discours, l’ex-président du Brésil a émis la possibilité de se présenter aux présidentielles de 2022 dans un front de gauche, il n’a pas non plus exclu l’alliance avec la droite. Certes, son retour implique de repenser la stratégie de la gauche pour 2022, mais à l’heure actuelle, celle-ci doit se concentrer sur l’élargissement d’un front social et démocratique pour répondre aux besoins immédiats des classes populaires. Toutefois, si des alliances tactiques sont à chercher avec Lula, cela ne doit pas se faire sans critique de la politique de collaboration de classe menée par son gouvernement, et tout en réaffirmant un programme de rupture propre.

Gabriella Lima