Cette innovation a été plébiscitée par le Grand Conseil par 56 OUI contre 6 NON seulement et 12 abstentions. Et pourtant, les radicaux, les verts et le MCG, qui totalisent sauf erreur 37 député-e-s, appellent bien aujourd’hui à voter NON (la majorité d’entre eux étaient-ils à la buvette lors du débat sur cet objet ?)… SolidaritéS a pris nettement position pour le NON, avec le Parti du Travail ; je suis sûr que nous aurions su défendre cette position avec plus de fermeté au Grand Conseil !
Pour justifier l’abrogation du jury populaire, les autorités avancent une série d’arguments techniques : danger de non conformité au droit fédéral, compétences ou disponibilités insuffisantes des jurés tirés au sort, nécessité de motiver les jugements, lourdeur des procédures d’appel… Ils n’évoquent jamais l’enjeu démocratique symbolique, combien important, de cette votation : Madame et Monsieur tout le monde peuvent-ils être appelés à donner un jour leur avis sur une question aussi grave que la condamnation ou l’acquittement d’un prévenu d’assises ou de correctionnelle ?
L’un de mes amis socialistes, qui partage la position du Conseil d’Etat, invoquait récemment l’avis du philosophe britannique Herbert Spencer, cet ultra-libéral du 19e siècle, partisan de « la sélection des plus aptes » et gagné au conservatisme, qui traitait le jury populaire avec mépris : « C’est un groupe de douze personnes d'ignorance moyenne réunies par tirage au sort pour décider qui, de l'accusé ou de la victime, a le meilleur avocat ». Mon ami ne savait sans doute pas, qu’avec les mêmes arguments, Spencer s’opposait aussi au suffrage universel, parce que celui-ci risquait de nuire aux intérêts des classes possédantes ! Faire voter les pauvres et les ignorants ? Quelle horreur ! Spencer considérait aussi comme inexorable l’élimination des races inférieures par les races supérieures… Mais ceci est une autre histoire.
Je suis convaincu, tout au contraire, que la démocratie ne peut vivre et se développer que par l’extension des droits populaires et leur exercice direct par le plus grand nombre, non seulement dans le domaine de la justice, mais aussi sur tous les terrains de la vie sociale et économique, dans le cadre de normes légales décidées démocratiquement. C'est en effet la seule et la plus formidable école politique ouverte à toutes et tous. C’est cette divergence fondamentale qui oppose le « socialisme par en bas », dont je me revendique, du « socialisme par en haut », qu’incarne malheureusement si bien la position actuelle du Parti socialiste genevois en faveur de l’abolition du jury populaire.
Jean Batou