La population résistante du Honduras ne s’est pas encore remise du tournant inattendu pris par la politique internationale concernant le coup d’Etat dans notre pays. Ceci non pas tellement par le cynisme bien connu de l’oligarchie hondurienne, bénissant aujourd’hui celui qu’elle honnissait hier comme le pire démon du monde, mais par la reconnaissance politique et l’appui accordé par le président Hugo Chávez au régime post-golpiste, tant pour son retour à l’OEA que pour bénéficier des avantages de PETROCARIBE.

En mai 2010, durant le sommet ibéro-américain de Madrid, le président Chávez annonça qu’il n’y assisterait pas, au cas où y participerait M. Porfirio Lobo Sosa, celui-ci représentant un « gouvernement illégitime ». Onze mois plus tard, le même président Chávez déclara à Carthagène des Indes (Colombie) : « C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai fait la connaissance du président Lobo (…) et les résultats sont très positifs ». Il expliqua que « nous avons effectué des démarches pour tenter d’aider le Honduras à réintégrer tous les organismes internationaux et les programmes de coopérations avec nos pays » (1) : une référence claire à la réintégration de l’Etat hondurien dans l’OEA et à la normalisation des relations commerciales interrompues par le coup d’Etat. Ensuite, Chávez apparut souriant sur une photographie, serrant la main du bourreau du peuple hondurien.

Mais hormis le rôle du président vénézuélien, l’intérêt pour la situation du Honduras que manifeste un pays comme la Colombie suscite l’attention. De fait, le président colombien avoua qu’il a consacré pas mal de temps à cette question : « Depuis quelque temps, nous avons mené une diplomatie discrète pour tenter de normaliser la situation du Honduras dans l’hémisphère, pour qu’il réintègre l’OEA et pour que tous les pays reconnaissent sa situation comme normale » (2)

De quel jeu s’agit-il ? Selon les informations données, dans les prochaines semaines, les gouvernements de la Colombie et du Venezuela faciliteront un processus de « dialogue » et de « réconciliation » au Honduras, afin de « normaliser » la situation nationale et obtenir que le Honduras fasse son retour dans le système interaméricain en vue du prochain sommet de l’OEA, qui se tiendra à San Salvador en juin, ou même auparavant.

Le coordinateur général du FNRP [ndt : l’ex-président Manuel Zelaya Rosales], qui n’avait pas été invité à cette rencontre et qui, selon ses dires, fut appelé par téléphone à ce moment, a réagi « avec appréhension » et a annoncé qu’il serait « vigilant » par rapport à ce processus, laissant entendre qu’il n’a pas participé à l’élaboration de ce jeu de haute voltige. Il est difficile de croire que « Mel » n’ait rien su d’un projet préparé depuis pas mal de temps ; mais, si nous acceptons ses dires, il est inacceptable que deux gouvernements se mettent d’accord sans prendre en compte l’opinion de la Résistance hondurienne : c’est le futur du peuple hondurien qui est en jeu, pas celui du Venezuela ou de la Colombie. Nous pouvions nous attendre à cette attitude dédaigneuse envers le FNRP de la part d’un gouvernement valet des Etats-Unis, comme le gouvernement colombien ; mais c’est difficile à digérer, lorsque cette attitude vient du gouvernement de Hugo Chávez, que nous supposions être notre allié.

La Résistance gagnerait-elle quelque chose à ce jeu ? A différents niveaux, on nous vend l’idée qu’en conséquence de ces accords la Résistance en tirerait les bénéfices suivants :

a) les jugements pesant sur l’ex-président Manuel Zelaya seraient liquidés, rendant possible son retour comme partie de cet accord ; néanmoins, il existerait toujours le risque qu’une fois Manuel Zelaya rentré au pays, ces procès recommencent, parce que le putschisme restera vivant et incrusté dans le système judiciaire ;

b) les fonctionnaires récalcitrants du Ministère public et de la Cour suprême de justice pourraient être changés : cela n’impliquerait pas nécessairement un bénéfice, car on châtierait uniquement des « boucs émissaires » et non les véritables responsables du coup d’Etat ; de plus, nous ne pouvons pas attendre de Juan Orlando [ndt : le président du Parlement] et de Pepe Lobo qu’ils les remplacent par des personnalités progressistes ;

c)les responsables du coup d’Etat pourraient être châtiés : néanmoins, Arturo Corrales Alvarez [ndt : ministre de la Planification dans le gouvernement « de facto »] a déjà déclaré qu’en cas d’absolution pour Manuel Zelaya, les responsables du coup d’Etat pourraient aussi en bénéficier, pour favoriser la « paix » et la « réconciliation ».

d) grâce à cet accord, la Résistance pourra participer aux prochaines élections générales et, alors, « nous prendrons le pouvoir ». Pure illusion, car l’oligarchie ne cèdera pas une miette pour défendre ses intérêts, comme elle l’a démontré lors de la récente grève des enseignant-e-s. Il est encore plus illusoire de penser qu’elle transmettra le pouvoir à la Résistance populaire.

En d’autres termes, les bénéfices supposés n’ont guère de consistance…

Par contre, pour la classe dominante, ces bénéfices sont bien plus nets :

a) un fort bénéfice économique, car elle gérerait un juteux négoce avec PETROCARIBE : l’oligarchie et le régime putschiste hondurien tireraient les marrons du feu, vu que les prix élevés des combustibles asphyxient ses négoces dans le cadre d’une situation économique difficile. Ce n’est pas pour une autre raison que l’entrepreneur Adolfo Facussé s’extasie en rêvant à cette offre du gouvernement vénézuélien et dès maintenant il s’empresse de la recommander.

b) un triomphe diplomatique en ouvrant les portes du monde à un régime héritier d’un coup d’Etat, à un moment où il était discrédité au sein de la communauté internationale : cela améliorerait la confiance des organismes financiers internationaux et des transnationales pour investir dans notre pays ;

c) un succès politique à l’intérieur du pays, parce que le régime sortirait de cette affaire en « cheval blanc », renforçant son image usée et son discours démagogique, alors qu’il massacre l’héroïque résistance populaire à coup de matraques et de fusillades.

Fondamentalement, ce jeu ne semble donc pas prévu pour bénéficier à la Résistance, mais à l’oligarchie putschiste. Il s’agit d’un scénario typique du Département d’Etat étatsunien, très similaire à celui de San José de Costa Rica [ndt : septembre 2009], lorsque le valet Oscar Arias [ndt : président du Costa Rica] joua les intermédiaires pour que Manuel Zelaya Rosales accepte de s’asseoir pour négocier avec un dictateur [ndt : Roberto « Goriletti »] qui venait de renverser son gouvernement.

Comment expliquer ces faits, à quel scénario mènent-ils ? Pour répondre à cette question, examinons les motivations d’acteurs aussi dissemblables que les présidents Santos et Chávez pour se retrouver sur ce même terrain.

1. Les motifs de Juan Manuel Santos

Nous savons que Juan Manuel Santos, président de la Colombie, est un valet de l’aile dure des militaires nord-américains et du lobby israélien. Lorsqu’il était ministre de la Défense dans le gouvernement de Alvaro Uribe, Santos joua un rôle-clé dans l’installation des bases militaires nord-américaines implantées en territoire colombien, en vue d’agresser le Venezuela. Santos a continué la construction de ces bases, malgré une interdiction de la Cour suprême colombienne. De plus, il fut responsable de violations innombrables des droits humains. La citation suivante – extraite d’une longue et macabre biographie du président Santos, durant les années où il fut ministre de la Défense, puis président de la Colombie – nous révèle le type de fonctionnaire qui préconise la « réconciliation » au Honduras.

« En novembre 2005, le ministre de la Défense [Juan Manuel Santos] approuva une directive secrète qui mettait à prix la tête des guérilleros. Les militaires s’employèrent à assassiner des civils, en les faisant passer pour ‘des rebelles tombés au combat’, qu’ils appelèrent ‘faux positifs ‘. Le procureur général a enquêté sur 3000 cas, parmi lesquels se trouvaient des adolescents, des retardés mentaux, des indigents, des drogués. Lors de l’arrivée de Santos au ministère, en juin 2006, on enregistra 274 cas de ‘faux positifs’. L’année suivante, on monta à un score de 505 personnes assassinées… Bien que cela soit peu mentionné, on estime que les forces de sécurité et les paramilitaires ont fait ‘disparaître’ 250.000 personnes, dont 40.000 seulement durant les quatre dernières années. Plusieurs d’entre elles furent enterrées dans la plus grande fosse commune d’Amérique latine, situé derrière une caserne de l’armée, 200 km au sud de Bogota : plus de 2000 cadavres… Il faut souligner aussi les liens étroits de Santos avec les autorités et les services de sécurité israéliens. En octobre 1997, Manuel Santos avait déjà démontré son manque de scrupules. Il se réunit avec les trois principaux chefs paramilitaires pour leur proposer de participer à un coup d’Etat contre le président libéral Ernesto Samper (une proposition qu’il fit aussi aux guérillas des FARC et de l’ELN)… En septembre 2008, le journaliste vénézuélien José Vicente Rangel disait de Santos : « C’est l’homme du Pentagone dans la politique colombienne. Il a gagné de la force à l’ombre de Uribe, et il est possible aujourd’hui de dire qu’il dépasse Uribe lui-même » (Juan Manuel Santos : de halcón à paloma, ALAINET, http://alainet.org/active/45049).

Néanmoins, le président Santos est un expert en camouflage, comme le caméléon. Aujourd’hui, il a abandonné son discours de confrontation et il s’est transformé en une figure latino-américaine qui rivalise avec Lula et Chávez en Amérique du Sud par son audace diplomatique et politique (3).

Mais qu’est-ce qui pousse le gouvernement colombien à se préoccuper du Honduras ?

Son intérêt porte sur 4 questions :

1) La Colombie a signé en août 2007 un traité de libre commerce (TLC) avec les pays du triangle nord centroaméricain (Guatemala, El Salvador et Honduras) et, depuis cette année, il fait partie aussi du Plan Mesoamérica, un plan d’investissements massif en hydroélectricité, barrages, énergies renouvelables, etc., ce qui l’implique directement dans la vie économique de l’isthme. Dans le cas du Honduras, le TLC est entré en vigueur le 27 mars 2010. Il existe donc, comme jamais auparavant, un grand intérêt pour les entreprises colombiennes à investir massivement au Honduras, spécialement dans la production d’électricité, le génie civil, la confection de vêtements, la mécanique et les matériaux de construction (4). Maintenant, ce marché s’est développé au Salvador, où les entreprises colombiennes ont investi plus de 1 milliard de dollars (5). Mais la situation actuelle du Honduras, avec un pouvoir d’Etat illégal, ne favorise pas le climat d’investissement dont les capitalistes colombiens ont besoin.

2) La Colombie a une frontière commune avec le Honduras et d’autre part avec le Nicaragua (Ile de San Andrés) dans la Caraïbe, en dispute depuis 1999. Le Nicaragua a toujours dénoncé l’alliance entre le Honduras, la Colombie et le Costa Rica pour attenter à sa souveraineté. Ce conflit avait failli entraîner un affrontement armé entre la Colombie et le Nicaragua en 2004. Santos pourrait ainsi compter sur l’appui du Honduras dans la dispute frontalière avec le Nicaragua, parce que le Honduras dispute le 17e parallèle avec le Nicaragua et ses frontières avec la Colombie affectent ce pays. Un scénario parfait d’alliances pour créer un conflit international aux sandinistes.

En ce sens le gouvernement d’extrême-droite colombien a intérêt à pouvoir compter sur le Honduras comme Etat alliés, afin de renforcer sa position dans le triangle nord centroaméricain. Un bon geste en ce sens, c’est de promouvoir le retour du Honduras au sein de l’OEA.

3) Le point précédent coïncide avec l’intérêt du gouvernement nord-américain de promouvoir le retour du Honduras au sein de l’OEA. Il faut se rappeler que les Etats-Unis ont lancé cette année une offensive diplomatique en Amérique latine, destinée à modérer les ardeurs latino-américaines, au point que Barack Obama lui-même a fait une tournée historique dans trois pays de la région : le Brésil, le Chili et El Salvador. Dans le cadre de ces entrevues officielles, Obama a aussi rencontré Juan Manuel Santos en territoire nord-américain, début avril.

Je ne doute pas que le président yankee a traité le cas du Honduras avec tous ses interlocuteurs, afin d’obtenir la réintégration de ce pays au sein de l’OEA, lors du prochain sommet qui se tiendra à El Salvador. Pour cela, il a dû convaincre ses homologues que Pepe Lobo a fait quasiment tout ce qui lui avait été demandé pour remplir les conditions de réintégration, le retour de Manuel Zelaya Rosales étant la seule chose en suspens. Par conséquent, sa stratégie consiste à exercer des pressions diplomatiques pour rendre possible un retour contrôlé de l’ex-président hondurien.

4) Santos est déjà partie prenante du conflit intérieur au Honduras, et pas spécialement du côté pacifiste. Rappelons que la Colombie fut le premier pays à reconnaître le régime de Porfirio Lobo Sosa. D’autre part, il existe des évidences que le président Santos a conclu, depuis un certain temps, des accords avec Porfirio Lobo Sosa en matière de « sécurité » : conseils à la police hondurienne, prétendument pour lutter contre le narcotrafic, ce qui en fait la nouvelle Mecque des sbires de Oscar Álvarez et compagnie. Pire, le journaliste Dick Emanuelsson a fourni des éléments qui démontrent la participation de membres des forces spéciales de l’armée colombienne à des opérations menées au Honduras, nommées « Gaulas », au service de Porfirio Lobo Sosa, sur la base de dénonciations émanant de la presse colombienne (6).

Il est donc clair que les motifs de Santos ne sont ni pacifiques, ni désintéressés.

2. Les motifs de Hugo Chávez

Quant au président Hugo Chávez, écartons l’hypothèse qu’il fut « surpris » comme une colombe ingénue par le froid et calculateur président colombien. Car dans ses déclarations Chávez a confirmé qu’il fait des efforts, depuis un certain temps, et qu’il les poursuivra pour plaider le retour du Honduras à l’OEA.

Si cela fut intentionnel et d’un commun accord avec le président Santos, on pourrait penser que le pas franchi par le président vénézuélien a des motifs de nature progressiste, vu la solidarité témoignée par son gouvernement avec le président Zelaya et, après le coup d’Etat, avec la Résistance hondurienne. Mais bien qu’ayant cherché ces motifs progressistes, je n’en ai pas trouvé trace. Par contre, les informations disponibles pointent dans la direction opposée :

1. Toute l’intention du processus vise à obtenir le retour du Honduras à l’OEA, à donner une issue électorale à la crise et à rétablir les relations commerciales avec la dictature au travers de PETROCARIBE, ce qui bénéficierait au régime putschiste et à la stratégie nord-américaine, comme nous l’avons vu auparavant ;

2. L’orientation politique du président Chávez est diamétralement opposée aux décisions prises par l’assemblée nationale du FNRP, le 26 février : celle-ci préconise un processus refondateur de l’Etat hondurien passant par un processus d’auto-convocation de la Constituante, afin de construire le pouvoir populaire et d’en finir avec l’Etat putschiste ;

3. Aucun organe dirigeant de la Résistance hondurienne ne fut informé officiellement, par avance, de cette manœuvre ; par contre, le régime putschiste la connaissait suffisamment et il fut pris en compte dans cette opération.

Si le président Chávez voulait aider le peuple hondurien et la reconstruction de la démocratie au Honduras, la première chose à faire était de consulter la Résistance populaire, par l’intermédiaire de son coordinateur national ; celui-ci aurait, à son tour, consulté les organismes de direction interne pour prendre une décision collégiale à propos de ce processus, qui n’aurait pas été imposé de l’extérieur comme un fait accompli.

Cela est douloureux à dire, mais les faits connus démontrent que le gouvernement bolivarien a décidé de s’entendre avec notre ennemi, le régime putschiste, et en plus de renforcer ce dernier économiquement, sur la base d’intérêts qui ne sont pas ceux de notre peuple. Je ne vois aucun motif pour en douter.

Quelle est la logique de cette conduite politique du président Chávez ? Quels intérêts fondamentaux y a-t-il ? Je formulerai l’hypothèse suivante à partir de l’étude du contexte actuel et de quelques antécédents.

Les raisons économiques du tournant vénézuélien vers la Colombie

La Colombie et le Venezuela ont rompu leurs relations diplomatiques en juillet 2010, après que le président colombien en exercice, Álvaro Uribe, ait accusé devant l’OEA le Venezuela d’appuyer la guérilla des FARC et de l’ELN, à un moment où il menait une offensive pour les désarticuler. Auparavant, il existait déjà une ambiance tendue en raison de l’incursion militaire colombienne en Equateur pour détruire un campement des FARC et par la signature en octobre 2009 d’un accord avec les USA, qui autorisait la construction de 7 bases militaires en territoire colombien.

Cette rupture a produit une situation économique difficile pour les bourgeoisies des deux pays, car les exportations de la Colombie vers le Venezuela tombèrent de 6 milliards de dollars en 2008 à 1,5 milliards en 2010 (7). S’y ajoutèrent les problèmes de non-paiements de transactions commerciales à des Colombiens pour un montant de quasi 800 millions de dollars et la suspensions d’importants travaux en infrastructures pétrolières et portuaires, stratégiques pour l’économie vénézuélienne – comme la construction de plusieurs oléoducs et d’un canal avec sortie vers l’Océan Pacifique, qui devaient être utilisés pour le commerce avec les pays sud-américains et asiatiques. De son côté, la Colombie planifiait des projets similaires au profit de son oligarchie vers la Caraïbe.

A cela, s’ajoutent les sérieux problèmes de l’économie du Venezuela en 2010 en raison de la chute des prix du pétrole, les conséquences de la crise financière internationale, une crise énergétique causée par une sécheresse aigue, la nationalisation de 12 institutions bancaires et la corruption (8).

De même, l’ALBA – en tant que projet d’intégration de pays politiquement proches – semble avoir baissé de profil face à l’apparition de UNASUR, un cadre d’intégration plus large qui inclut non seulement des pays avec une identité idéologique progressiste (comme l’ALBA), mais une réalité plus plurielle où l’on trouve des régimes de droite, comme la Colombie, et des régimes de centre-gauche, comme le Brésil, qui dirige l’UNASUR. D’importants événements politiques ont influé, d’autre part, pour que les gouvernements des pays de l’ALBA tournent davantage leur regard vers leurs intérêts politiques nationaux plutôt qu’à l’extérieur, comme cela se passait depuis 2004. Ces événements politiques furent, d’une part, les menaces constantes de coup d’Etat en Bolivie et en Equateur, ainsi que le coup d’Etat réussi au Honduras ; l’avancée de l’opposition de droite au Venezuela en 2010, ainsi qu’une série de désastres naturels dans plusieurs pays.

Dans ce contexte, d’importantes réorientations politiques en Colombie et au Venezuela ont mené ces deux pays à prioriser leur intégration économique, au détriment d’autres processus (9).

Néanmoins, bien que cette orientation ait permis de détendre les mauvaises relations diplomatiques et économiques avec la Colombie – qui affectaient la stabilité économique du Venezuela -, la présence militaire nord-américaine dans ce pays reste une menace latente.

Tournant politique vers la collaboration avec des régimes de droite

Mis sous pression par l’encerclement militaire qu’impliquent les bases nord-américaines en Colombie, la stratégie internationale du gouvernement bolivarien a consisté à éliminer l’image, construite par la droite latino- et nord-américaine, qui le présente comme le dirigeant de processus déstabilisateurs des « démocraties » oligarchiques et le promoteur de changements révolutionnaires sur le continent.

Pour y parvenir, le gouvernement bolivarien s’est montré disposé à prendre des mesures auparavant considérées comme impensables de sa part, surtout à une année des prochaines élections. Une expression de cette volonté conciliatrice avec la droite est son désir de démontrer à la Colombie, à l’OEA et au monde qu’il préconise les élections et non la lutte armée.

Dans cette ligne, le gouvernement de Hugo Chávez s’est montré disposé à collaborer toujours plus avec son homologue colombien en matière de répression politique contre la gauche insurgée. Dès 2010, les deux pays ont signé un accord de « sécurité » par lequel ils s’engagent à capturer les militants de gauche, ou « subversifs », des deux côtés de la frontière. Ainsi, des combattants des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et de l’Armée de libération nationale (ELN) sont capturés en territoire vénézuélien et ensuite livrés, ni plus ni moins, au gouvernement le plus répressif des Amériques (la Colombie), où les attendent la prison, la torture ou la mort (10).

On peut être d’accord ou non avec l’option armée de ces mouvements, mais il n’existe aucune justification valide pour capturer et livrer à un gouvernement fasciste comme celui de la Colombie des activistes politiques de gauche qui ne causent pas de tort au Venezuela.

Il n’y a pour moi aucun doute que l’incursion militaire de l’OTAN en Libye et plus récemment en Côte-d’Ivoire a renforcé les craintes du gouvernement vénézuélien sur une possible intervention militaire à partir de la Colombie et d’autres bases dans la région. Cela l’a mené à approfondir sa stratégie consistant à nettoyer son image en se posant en direction de bonne composition à l’échelle internationale, comme l’a montré sa proposition de médiateur dans le conflit libyen.

Cela explique la facilité avec laquelle Chávez fut embarqué par le gouvernement colombien dans cette stratégie « normalisatrice » au Honduras. Un résultat lamentable de la politique nord-américaine consistant à montrer ses muscles au moyen de ses bases, des coups d’Etat et de la réactivation de sa IVe flotte.

En résumé, les motifs du président vénézuélien concernant le cas du Honduras seraient :

1. Modifier l’image de promoteur du conflit hondurien qu’a diffusé la droite latino-américaine et le Département d’Etat des USA sur son gouvernement, en collaborant avec leur allié stratégique colombien, l’UNASUR et l’OEA à la pacification (« normalisation ») du Honduras pour le réintégrer au système interaméricain, ce qui coïncide avec la stratégie nord-américaine dans la région. Selon cette ligne, il créera les conditions politiques au Honduras qui permettent une sortie électorale de la crise, évitant les possibilités d’une issue insurrectionnelle et l’auto-convocation de l’Assemblée constituante définies par le FNRP.

2. Susciter la confiance du régime oligarchique hondurien pour que ce dernier accepte de commercer avec des entreprises comme PETROCARIBE et avec l’ALBA, dans des conditions de compétitivité, en vue de se repositionner économique au Honduras et de renforcer sa présence en Amérique centrale.

3. Les motifs de l’empire USA

Indépendamment de leurs motifs propres, la Colombie et le Venezuela contribuent au scénario tracé par le Département d’Etat nord-américain. Quel est donc ce scénario ?

Dans le contexte latino-américain, le Honduras n’est pas un pays économiquement très important ; par contre, il l’est d’un point de vue politique et intégrationniste. C’est le seul pays latino-américain, où s’est produit un coup d’Etat qui n’a pas pu être contrecarré et où existe un mouvement de résistance populaire : ce dernier s’est fixé un plan de rupture avec le régime oligarchique existant et de refondation de l’Etat au moyen d’un processus constituant. Pour cette raison, dans un contexte régional où les coups d’Etat figurent à l’agenda de l’Etat nord-américain, le Honduras est devenu une référence dangereuse, parce que ses niveaux de mobilisation sont une source d’inspiration pour d’autres mouvements sociaux dans le monde.

Sur le plan économique, le Honduras a trois frontières avec les pays voisins et, malgré notre faiblesse économique, il est peu viable de parler d’intégration centre-américaine, d’un TLC et d’un Plan Mésoamérica (auparavant Plan Puebla-Panama) réussis sans notre pays.

Pour l’empire nord-américain, il est donc important que :

1. Le cas hondurien constitue un modèle de légitimation d’un coup d’Etat et de reconversion de la Résistance populaire en un mouvement électoral, par lequel cette résistance s’incorpore comme opposition dans l’Etat oligarchique, éloignant le spectre de la Révolution.

2. Le Honduras réintègre l’OEA pour consolider les processus d’intégration capitaliste (Plan Mesoamérica et Traité de libre commerce) et anime l’investissement capitaliste dans les enclaves traditionnelles (cités modèles, maquilas, mines, pétrole, biocombustibles, etc.)

Pour y parvenir, le lobby du Département d’Etat a rassemblé un éventail de forces qui vont de l’extrême-droite colombienne (Santos) au centre-gauche salvadorien (Mauricio Funes), afin de faire aboutir ce projet, sans besoin de s’y brûler lui-même comme cela se produisit lors des négociations du Pacte de San José.

Mais cette stratégie ne peut pas fonctionner sans persuader Manuel Zelaya Rosales et la Résistance d’y collaborer, ce qui ne peut être obtenu que par l’intervention du président Hugo Chávez, en raison du prestige dont ce dernier jouit dans ces milieux. Une telle médiation a comme « argument » de poids une offre attractive à PETROCARIBE, ce qui tirerait d’affaires le régime oligarchique à un moment où celui vit une dure crise économique et où il lance une furieuse offensive néolibérale et répressive contre la Résistance populaire.

Une nécessaire rectification

Tant que les faits ne disent pas le contraire, tout indique que le président Chávez a été entraîné dans ce rôle honteux par le mariage qui l’unit aujourd’hui à l’un des régimes les plus réactionnaires et les plus répressifs des Amériques.

Résultat contradictoire : en combattant les forces insurgées ou en jouant le pompier dans les processus insurrectionnels d’Amérique latine, Chávez affaiblit à long terme son propre projet bolivarien. Car son « meilleur ami » n’est pas le gouvernement fasciste colombien – qui au moment le plus inattendu lui plantera un couteau dans le dos -, mais les mouvements de libération des peuples latino-américains, les seuls disposés à verser leur sang pour défendre la révolution bolivarienne.

C’est notre désir que le président Chávez rectifie cette ligne, quand il est encore temps de le faire, en considération de sa trajectoire antérieure, où il prit une position conséquente avec les intérêts de la Résistance populaire. Mais si cette rectification devait ne pas se produire, c’est notre pouvoir en tant que peuple souverain de ne pas accepter une proposition qui bénéficie seulement aux ennemis du changement au Honduras et de poursuivre dans la ligne définie par notre Assemblée nationale du FNRP « Paysans martyrs de l’Aguán », pour la Refondation de notre pays

Tomas Andino Mencia*

*Ancien député du parti « Union Democratica » au Parlement hondurien, militant historique de la gauche révolutionnaire et dirigeant du FNRP. Sociologue, il est l’auteur de Juventud, Maras y Justicia. Tegucigalpa, 2007.

Notes

1) “Colombia y Venezuela extienden reglas comerciales. Ven a Honduras”, Reuters – sáb, 9 abr 2011, disponible sur: http://es-us.noticias.yahoo.com/colombia-y-venezuela-extienden-reglas-comerciales-ven-honduras-20110409-194948-658.html

2) Ídem.

3) « En moins de 8 jours, Santos et Holguin se seront entretenus avec quatre dirigeants internationaux, stratégiques pour les intérêts nationaux de la Colombie : Barack Obama, président des Etats-Unis ; Hugo Chávez, président du Venezuela ; José Luis Rodríguez Zapatero, chef du gouvernement espagnol ; Angela Merkel, cheffe du gouvernement allemand. Durant ce dernier mois, la Colombie a obtenu la présidence du Conseil de sécurité des Nations Unies et le secrétariat général de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR). Guillermo Fernández de Soto, ex-ministre des Affaires étrangères et ex-ambassadeur en Europe, relève qu’il n’y a pas « une politique extérieure seulement avec les Etats-Unis, mais à contenu universel ». Et il assura que Santos « a compris qu’une politique extérieure de coopération est plus rentable qu’une politique de confrontation ». Un autre ancien ministre des Affaires étrangères, Camillo Reyes, a souligné « la récupération des relations régionales, le renforcement des liens avec l’Union européenne, l’ouverture de nouveaux espaces avec l’Asie, sans mettre en péril le traité avec les Etats-Unis » (« Política Exterior, en un momento estelar », El Tiempo, 10 de abril 2011, disponible sur: http://m.eltiempo.com/politica/politica-exterior-en-un-momento-estelar/9148742/1)

4) Centralamericadata, « Empresarios hondureños visitan Colombia », 25 de mayo 2010, disponible sur: http://www.centralamericadata.com/es/article/home/Empresarios_hondurenos_visitan_Colombia

5) Long Island al Día New York, « Colombia está pisando fuerte en El Salvador; inversiones superan los 1 mil millones de dólares », 7 février 2011. Disponible sur: http://lialdia.com/2011/02/colombia-esta-pisando-fuerte-en-el-salvador-inversiones-superan-los-1-000-millones-de-dolares/

6) Cf. le reportage de Dick Emmanuelson, « El ejército Colombiano ya está en Honduras », disponible sur : http://www.albatv.org/El-ejercito-colombiano-ya-esta-en.html

7) « La détérioration des relations entre les deux pays a fortement touché l’économie, surtout la colombienne, qui selon el DANE avait exporté dans le pays voisin pour 5 milliards de dollars et, en 2008, ce chiffre dépassait les 6 milliards. Néanmoins, le gouvernement vénézuélien prit peu à peu des décisions qui ont affecté la balance commerciales à tel point que, selon les associations professionnelles, les exportations commerciales n’atteindraient probablement pas cette année 1,5 milliard de dollars » (EFE, « Colombia y Venezuela: El Lanzamiento de una nueva relación », 11 de agosto 2010, disponible sur : http://www.google.com/#sclient=psy&hl=es&q=Colombia+y+Venezuela:+El+Lanzamiento+de+una+nueva+relaci%C3%B3n&aq=&aqi=&aql=&oq=&pbx=1&fp=a31f0b944cf0bf7b)

8) « Ce fut une année de grandes difficultés. Nous avons commencé avec une véritable crise de l’électricité, qui nous a obligés à prendre des mesures sévères. Nous avons même frôlé la panne. Grâce au peuple et au gouvernement qui ont fait face, nous avons surmonté la crise de l’électricité, qui aurait pu être une catastrophe » (Hugo Chávez, Message à la nation, 1er janvier 2011. Voir: http://www.correodelorinoco.gob.ve/economia/venezuela-supero-dificultades-2010-y-retoma-senda-crecimiento-economico)

9) Dans le cas de la Colombie, la bourgeoisie industrielle et commerciale a écarté du pouvoir le secteur des latifundistes représenté par Uribe, caractérisé par une pratique et un discours d’affrontement et militariste qui rendait inviable la réouverture des relations commerciale et l’intégration capitaliste ; pour cette raison, elle porta à la présidence Juan Manuel Santos, un entrepreneur de droite qui, comme nous l’avons dit, fut ministre de la Défense. Mais ce dernier adopta un discours « conciliateur » et pragmatique, enclin à la détente avec le Venezuela, comme le conseillaient les temps nouveaux. Depuis lors, Santos a cherché à élargir les relations avec d’autres pays, ce qui l’a conduit à une très intense activité diplomatique internationale. Pour sa part, le gouvernement vénézuélien a décidé de prioriser sa relation d’intégration avec la Colombie, par rapport au processus en cours dans le cadre de l’ALBA. Peu après l’entrée en fonctions du président Santos (août 2010), les relations diplomatiques et commerciales ont été rétablies et un processus d’intégration a débuté pour reprendre les projets paralysés et même développer des investissements mixtes colombo-vénézuéliens. Cela permettra d’alléger la difficile situation socio-économique vécue en 2010 et permettra d’envisager de meilleures conditions pour la réélection de Chávez en 2012.

10) « Le 25 décembre, peu avant la fin de l’année 2010, Nilson Albin Teran Ferreira (Tulio), un dirigeant de l’Armée de libération nationale (ELN) fut capturé par la police vénézuélienne et livré aux forces armées colombiennes. A la même date, dans une autre région du Venezuela, l’armée captura Luis Ferney Saavedra Benavides (Oscar Nobles), un autre révolutionnaire colombien. Il fut aussi livré à la police du pays voisin. Nilson vivait au Venezuela, et en Colombie il est condamné à 40 ans de prison pour activités subversives… En novembre 2010, le Venezuela captura et déporta à Bogotá deux autres membres de l’ELN et un important dirigeant des FARC : Nilson Navarro (ELN), Priscila Ayala (ELN) et Oswaldo Espinoza (FARC) furent les premières victimes de l’accord signé en août 2010 entre le gouvernement de Chávez et le régime colombien, pour collaborer en matière de sécurité et de mesures antisubversives. Il faut aussi rappeler que, le 28 mars 2010, le gouvernement de Chávez fit arrêter à l’aéroport Walter Wendelin, un activiste politique du mouvement basque. Celui-ci fut empêché d’entrer au Venezuela : détenu à Maiquetia, il fut transféré à une caserne des services de renseignements, et ensuite expulsé vers la France » (Luis Arce Borja, « Chávez: ¿Antiimperialista o el judas de los revolucionarios? », El Diario Internacional, tomado de La Haine del 4-1-2011).

(source : www.rebelion.org.noticia.php?id=12368)