Décembre 1982 : un petit tract distribué dans les queues du timbrage appelle à une rencontre dans l’hôtel en face de la gare qui s’appelait alors Terminus. Une trentaine de personnes sont présentes. Une grande aventure, l’Association de défense des chômeurs de Neuchâtel, est lancée. C’est le début de l’ADCN. Une première action est décidée : demander la dispense du timbrage entre Noël et Nouvel An.

Au milieu des années 70, la première grande crise d’après-guerre avait pris de court le monde du travail et ses organisations politiques et syndicales. Réapparaissait alors un spécimen qu’on croyait disparu, le chômeur ou la chômeuse. Il n’allait plus quitter le paysage jusqu’à aujourd’hui. Après un léger tassement, le chômage repartait en effet de plus belle au début des années 80. Cette fois-ci c’était clair que ça allait durer, d’ailleurs les « fins de droit commençaient de se multiplier.

1er janvier 83 : entrée en vigueur de la Loi fédérale sur l’assurance-chômage, qui prend alors le relais des arrêtés urgents de 1976 rendant obligatoire l’affiliation à une caisse de chômage (auparavant, seule une faible partie des salarié-e-s étaient couvert-e-s par l’assurance-chômage).

Octobre 83 : introduction des « mesures de crise » dans le canton de Neuchâtel. Confronté à un chômage persistant, le canton met en place des programmes d’occupation destinés aux chômeurs/chômeuses en fin de droit répondant à certains critères (revenu du conjoint, type de permis de travail, …). Ces occupations donnaient droite à l’ouverture de nouvelles périodes de chômage.

Les chômeurs/chômeuses timbrent alors toutes les semaines, le mardi et le jeudi, pour bien démontrer qu’ils/elles étaient là et pas en vacances. Les queues s’allongent devant le bureau de chômage communal qui se trouvait alors au Faubourg de l’Hôpital, dans un bâtiment qui a été repris par l’université. Paradoxe des queues, on y perd du temps, on s’y énerve car ça n’avance pas, mais on s’y rencontre, on discute, on fait connaissance. Très différent d’une rencontre avec un conseiller en orientation ! Toutes les personnes au chômage recevaient également une carte à faire timbrer dans les entreprises pour attester la recherche d’un emploi. On n’y est pas toujours très bien accueilli, c’est pourquoi l’ADCN remet alors en cause ce système. Elle tient des permanences les mardis et jeudis, jours de timbrage, de 9 h. à 11 h. dans l’arrière-salle du bar Start, qui était situé juste en face du bureau du chômage. Il n’y a, à cette époque-là, ni local pour l’association, ni permanent salarié, que du bénévolat. Pas d’internet ni de téléphone mobile non plus. Un autre temps !

Qui animait le comité ? Des femmes et des hommes, issus de la gauche politique et syndicale, rejoints par des chômeuses et des chômeurs, regroupés autour de Georges Annen, ancien secrétaire syndical et figure tutélaire du comité (ndr : en 1976, il fut le principal dirigeant de l’occupation de l’usine Bulova, à Neuchâtel]. Les femmes sont très présentes et prennent largement leur part du travail. Très vite se pose la question d’un local. On se met à rêver : et si on pouvait créer un restaurant tenu par des chômeurs/chômeuses, offrant de bons repas à midi. Un projet motivant, mais qui nécessitera bien des démarches pour prendre forme peu à peu.

Les revendications de l’ADCN de l’époque ne sont pas très différentes d’aujourd’hui. En mars 83, une pétition est remise en manifestation au château, à l’entrée du Grand Conseil. La pétition demande un droit de formation (dit « recyclage » dans le vocabulaire d’alors), la prolongation de la durée des indemnités, la couverture perte de gain en cas de maladie, l’élévation du niveau de salaire en mesure de crise, la révision du taux d’impôts des chômeurs/chômeuses, la dénonciation des pénalités. Parallèlement, l’ADCN négocie avec la commune et le canton la mise à disposition d’un local et des soutiens pour financer un permanent salarié pour l’association. Il faudra plusieurs années pour l’obtenir.

Quelle différence entre l’image des chômeurs et chômeuses il y a trente ans et aujourd’hui ? A la fondation de l’ADCN, on commence à comprendre que le chômage, considéré jusque –là comme un phénomène conjoncturel, va devenir une donnée permanente ; mais on ne s’aperçoit pas encore clairement que cela signifiera l’exclusion pure et simple du marché du travail d’une part grandissante des salarié-e-s. Déjà, certains désignaient le chômeur commun profiteur qui voulait se payer du bon temps. Déjà des hommes politiques (et médiatiques) se faisaient une spécialité de monter en épingle de soi-disant abus pour se constituer une clientèle électorale (et des clients tout court) par la stigmatisation de toutes les personnes au chômage. Déjà, être au chômage était chose difficile, et souvent mal comprise par celles et ceux qui n’y ont jamais été confrontées personnellement. Un point commun entre hier et aujourd’hui ? La solidarité entre chômeurs et chômeuses, telle qu’elle est encouragée et vécue à l’ADCN, est indispensable pour faire face à la barbarie d’un monde basé sur le profit et la compétition où le travail ne se partagera jamais entre tous et toutes. A moins d’un changement radical de système.

 

Henri Vuilliomenet *

 

*Membre fondateur de l’ACDN et toujours actif au sein du comité. Militant à solidaritéS et au syndicat UNIA, il participe à la rédaction du journal solidaritéS et à tous les mouvements qui s’opposent aux injustices et aux inégalités.

 

 

 

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Chômage : petit recueil de préjugés : à l’occasion des 30 ans de l’Association pour la défense des chômeurs de Neuchâtel – ADCN. Neuchâtel, ADCN ; Le Locle, Ed. G. d’Encre, 2012

 

Marre des préjugés, marre des discours moralisateurs !
Cet ouvrage, à travers des textes d’auteurs littéraires, de sociologues, d’avocats, de chefs d’entreprise, d’artistes, etc. et des témoignages de travailleurs au chômage, aborde divers clichés qui pèsent sur les personnes sans emploi dans la société actuelle, dominée par le profit et la performance.

Un projet participatif, qui a pour but de sensibiliser les gens au quotidien du chômeur en espérant faire évoluer les mentalités.

Livre édité à l’occasion des 30 ans de l’Association pour la défense des chômeurs de Neuchâtel – ADCN, qui se bat pour les droits et la dignité des chômeurs, dans un esprit de solidarité. (Plus d’information sur www.adcn.ch)