bibliobus

La rencontre cette semaine avec Philippe Schindler, responsable du Bibliobus neuchâtelois, a été enrichissante et remuante. Enrichissante vous allez comprendre en lisant la suite et remuante...parce que je ne m'y attendais pas. Le Conseil d'Etat par l'entremise de M. Ribaux veut couper l'aide au Bibliobus, c'est con, me disais-je succintement.

 

Car sur la forme de mes convictions balbutiantes, j'en étais plutôt à: ben oui, le Bibliobus, c'est chouette, faut le soutenir, et puis aussi mon amie Simone qui habite aux Ponts-de-Martel et sa joyeuse petite troupe familiale, elle ne pourra plus me faire attendre à nos rendez-vous sous prétexte qu'elle devait vite rendre et emprunter des livres et qu'après l'heure, il est parti le Bibliobus. Mon soutien en était là, un peu léger et mes arguments encore bégayants. C'est vrai qu'en préparant la rencontre, en parcourant leur site, je découvrais déjà une approche dynamique et une prise en charge de la mission de promouvoir la lecture assez réjouissante. Après l'échange avec le fin humaniste, amoureux des livres, du savoir et de son partage qu'est le responsable du Bibliobus, j'en suis ressortie émue et avec une ferme volonté de communiquer l'intérêt de cette aventure commencée il y a 41 ans maintenant.

Le Bibliobus est un système de service public qui a pour but de «Favoriser la lecture et l'accès à la culture auprès des enfants, des adolescents et des adultes». Ce projet, initié par Fernand Donzé, député au Grand Conseil neuchâtelois, a abouti en 1974. Depuis la première tournée de ce bus à aujourd'hui, il y a un système unique et équilibré qui permet l'emprunt de 170'000 ouvrages, qui peuvent être retirés soit dans une bibliothèque fixe ou, pour d'autres localités, lors de la tournée du fameux Bibliobus qui a lieu une à deux fois par mois.

Dans le canton, c'est plus de 40 localités qui bénéficient de son action. L'offre du Bibliobus répondant à une utilité réelle, la démarche a connu un succès grandissant et a permis la création de 7 bibliothèques fixes, et son offre se poursuit avec la proximité dans les communes plus retirées et surtout moins habitées grâce au passage du bus lors de ses 52 points de stationnement.

Le Bibliobus c'est encore 60'000 habitants desservis pour 13'000 lectrices/lecteurs actifs et plus de 300'000 prêts annuels. C'est aussi la mise sur pied d'expositions dans les bibliothèques et dans le véhicule, en lien avec des thématiques saisonnières et stimulantes comme «Les émotions», «L'univers des super héros», «Une destination un roman», «Les livres qui inspirent les films», «Les champignons»,... C'est des animations variées, comme des contes, des ateliers de sensibilisation à la lecture pour les très jeunes enfants, des critiques de livres rédigées par les élèves,... C'est surtout offrir un service à l'écoute de ses lecteurs et lectrices, très performant dans l'approche. Ainsi, ces passionnés se font un point d'honneur de trouver sans délai un ouvrage utile et de le livrer parfois dans les 24h.

L'institution emploie actuellement 10 personnes, soit 7.15 équivalents plein temps. Ce taux ne prend pas en compte les employé-e-s qui sont en charge du prêt dans les bibliothèques fixes, nommées succursales du Bibliobus. Trois-quarts des utilisateurs sont des enfants et les écoles sollicitent volontiers le bus pour permettre aux élèves un accès direct aux livres. Avec un tel succès et animé d'une telle vitalité comment s'imaginer que l'on s'en prenne à cette magnifique organisation dont l'importance éducative est évidente? Si on ajoute à cela l'inscription de 150 enseignant-e-s au Bibliobus et le nouveau plan d'étude romand qui exige un accès et une fréquentation accrus des bibliothèques par les élèves... c'est à plus rien n'y comprendre.

Il parait aberrant que la logique d'une économie de 480'000.- prime sur les intérêts de prévention de l'illettrisme, sur un accès facilité à la lecture pour les zones périphériques à la ville ou encore sur le lien social qu'engendre le passage du Bibliobus. La Commune du Val-de-Ruz souhaiterait même l'apparition d'un second bus... Alors quoi? Peut-être que les coûts sont excessifs? Et bien non, n'y pensez même pas. Si on prend en Suisse le coût moyen par habitant généré pour la gestion d'une bibliothèque, le montant s'élève à 30.- par an. Le Bibliobus, lui, parvient à limiter ses charges et pèse moins que 17.- par an et habitant concerné. Ce prix, modique pour ce genre d'activité, est supporté jusqu'à présent moitié par la Commune et moitié par le Canton, comme il en avait été décidé au commencement de ce service. Par contre, le Bibliobus a déjà dû s'adapter à maintes reprises en reprenant à son compte et à sa charge, plusieurs soutiens octroyés par le Canton à son origine et qui, le temps passant et allez savoir pourquoi, se sont perdus. Le gouvernement a en effet retiré son soutien sur différents plans: mise à disposition du travail d'une secrétaire et de locaux gratuits, expertise et réparation du camion, aide pour le service comptabilité.... Les responsables et les employé-e-s du Bibliobus ont à chaque fois relevé les manches et affronté les nouveaux défis qu'on leur a imposés. Cependant, cette fois-ci, c'est le coup de grâce. C'est au mois de mai, qui aurait pu être joli, sans aucune consultation ni information préalable auprès de l'association, que les membres du Bibliobus ont eu le regret d'apprendre par la presse la suppression de la subvention qui leur est allouée. Le Conseil d'Etat a affirmé sa volonté de retirer cette subvention au Bibliobus sous prétexte qu'il est obligé de faire des économies. Une lettre du 5 juin a confirmé cette information avec comme intitulé «Démission de l'Etat de Neuchâtel de l'association du Bibliobus neuchâtelois au 31 décembre 2015».

La douche est plutôt glaciale, alors même que la canicule de la pause estivale bat son plein. Six mois, six pauvres mois, et une décision abrupte et violente à digérer. Un courrier a été envoyé et une pétition a été lancée. Celle-ci se donne un mois, du 23 août au 23 septembre prochain, pour prendre le pouls de la réaction de la population. Le sentiment se confirme: 3'000 signatures en une semaine, révélant ainsi l'attachement fort des citoyen-ne-s à leur Bibliobus. Cependant, ce cri sur papier ne suffira pas pour soutenir l'association. C'est pourquoi les membres du Bibliobus appellent aux initiatives citoyennes et à manifester votre soutien pour sauver une démarche qui permet de lutter contre les inégalités, de maintenir le lien social, de promouvoir la lecture et l'accès à la culture, de protéger de l'illettrisme. Ces gens sont des passionnés par les livres et le contact humain... Convaincus du bienfondé de l'existence du Bibliobus, ils luttent. Cependant, face à la brutalité de la décision, à l'incompréhension qui en résulte, au peu de temps à disposition pour chercher des solutions, ils ont besoin de nous.

Certaines communes ont déjà affirmé l'importance et l'attachement qu'elles accordent au Bibliobus et sont prêtes à voir comment fournir un effort financier supplémentaire. Cependant, il est impossible d'envisager de combler le manque de la subvention du Canton par un doublement de la charge des Communes ou par des sponsors privés comme l'a suggéré le conseiller d'Etat Alain Ribaux. Peut-on véritablement exiger d'une structure dont l'intérêt éducatif, social et dont le principe de solidarité entre ville et périphérie sont si concrets et ancrés dans la réalité sociétale de se transformer en démarcheurs aguicheurs? Leur travail, ils le font bien et il est auprès des lecteurs et lectrices. Le choix d'une société de promouvoir l'intérêt éducatif et social est fondamental. Une coupe rapide dans une des institutions piliers de ce canton est simplement invraisemblable et contre populaire.

Ninon Norgeot, 7 septembre 2015