tito staline

En préambule, est inséré le résumé de l’ouvrage de Vladimir Dedijer, publié par les Editions Gallimard (Paris, 1970). L’appareil de notes contient essentiellement des références aux personnalités mentionnées dans le texte. On y trouve également quelques notes rédigées par K.S. Karol. Les notes restantes sont des commentaires personnels du soussigné (H.P. Renk).

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Le « schisme titiste » semble aujourd’hui lointain par comparaison au drame tchécoslavaque. Il apparaît pourtant rétrospectivement comme la première brèche du système stalinien. Vladimir Dedijer en a vécu les péripéties en acteur et en témoin. Il livre ici, au jour le jour, les notes qu’il prit durant cette période exceptionnelle et décisive.

Le scénario a pris avec le temps un caractère exemplaire : l’anathème prononcé par Staline le 28 juin 1948 est précédé d’un étranglement silencieux, des campagnes diffamatoires classiques, des tentatives de renversement du gouvernement national issu de la résistance, de l’excommunication idéologique, et bientôt suivi par la persécution des minorités yougoslaves en U.R.S.S., le blocus économique et la menace enfin d’agression militaire.

Mais le drame n’est pas là. Il réside dans la lenteur et la complexité des résistances mentales des communistes et dirigeants yougoslaves, incapables de croire, au sortir de la guerre, à la réalité d’un conflit qui ne se résoudrait pas dans un simple malentendu avec la patrie victorieuse du communisme international.

L’intérêt du livre de Dedijer, ancien partisan et proche compagnon de Tito, n’est pas seulement d’en porter un témoignage personnel et non-conformiste, mais de montrer comment Tito et son équipe voulurent élaborer une tentative originale – démocratie directe, appel à l’initiative des masses, autogestion ouvrière – qui n’a pas eu les aboutissements souhaités à l’époque.

Vladimir Dedijer est né en 1914. Au sortir de la Résistance, où il fut trois fois blessé, il a poursuivi une carrière de militant politique et d’historien. Auteur de Tito parle et membre du Tribunal Russell, il appartient à l’Académie serbe et a écrit La Route de Sarajevo (Gallimard, « La suite des temps »,1969).

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En août 1968, alors que les chars soviétiques entraient à Prague, les rédacteurs de Tribuna, le journal des étudiants de Ljubljana, assaillirent Vladimir Dedijer (1) de questions angoissées. Comment en sommes-nous arrivés au point, demandèrent-ils, que l’U.R.S.S. règle ses différends avec un autre pays socialiste, la Tchécoslovaquie, à coup d’arguments militaires du pire style impérialiste ? Après avoir fait régner « l’ordre » à Prague, les Soviétiques ne seront-ils pas tentés de faire de même à Belgrade et à Tirana, à Bucarest et même à Pékin, partout où on n’approuve pas leur conduite « internationaliste » et leur type de société ?

Ce n’est pas par hasard que les étudiants slovènes s’adressaient à Vladimir Dedijer. Combattant et historien de la résistance antinazie, colonel des partisans et leur meilleur chroniqueur, Vladimir Dedijer a quitté la scène politique yougoslave en 1955, et pas de son plein gré. Il fut exclu de la Ligue des communistes de Yougoslavie pour avoir défendu le droit de Milovan Djilas (2) – l’un des plus proches collaborateurs de Tito (3) – à exposer librement dans la presse et devant le Comité central ses thèses politiques, bien que, personnellement, il ne les approuvât pas. Cette prise de position suffit pour attirer sur lui la colère de ses camarades et ne lui coûta pas seulement sa carte du Parti et son poste de dirigeant : il fut traîné devant les tribunaux et, plus tard, sournoisement frappé dans ce qu’un homme a de plus cher, ses enfants. Dès lors, Vladimir Dedijer se consacra à l’enseignement dans de grandes universités anglo-saxonnes et à ses livres sur l’histoire yougoslave (4). Il n’est sorti de son silence politique qu’en 1966, en acceptant de participer, comme président de séance, aux travaux du Tribunal international créé par Lord Bertrand Russell (5) pour enquêter sur les crimes de guerre américain au Vietnam.

La plupart des dirigeants yougoslaves, qui poussent leur souci de « non-alignement » jusqu’à observer une sorte de neutralité face à l’agression américaine dans le Sud-Est asiatique ne virent pas d’un bon œil la nouvelle activité de leur ex-camarade exclu. En revanche, les jeunes et surtout les étudiants qui, en Yougoslavie comme partout ailleurs, admirent la résistance du peuple vietnamien, furent fiers que leur compatriote Vladimir Dedijer fut le seul citoyen des pays socialistes à participer au Tribunal Russell. Ils organisèrent spontanément des comités de soutien à ce Tribunal et posèrent, dans leurs journaux, plus d’une question gênante au sujet des fournitures yougoslaves à l’armée américaine. Rien d’étonnant si, dans ce climat qui présageait déjà l’explosion estudiantine de Belgrade de juin 1968, Vladimir Dedijer est redevenu une autorité intellectuelle et morale pour toute une frange politisée de la nouvelle génération de son pays. La Ligue des communistes continua à le tenir à l’écart de la vie politique, mais cela ne réduisit en rien son influence sur la jeunesse.

Sollicité ainsi par les étudiants au cours de ce dramatique mois d’août 1968, Dedijer fit une découverte qui l’étonna. Les militants de sa génération ont tous été marqués par l’épopée des partisans et ensuite par la rupture avec la Russie de Staline (6) en 1948 : c’est à ces événements qu’ils se réfèrent continuellement quelles que soient leur carrière et leur position politique actuelle. Or, cet héritage des anciens partisans de Tito est à peine connu de la nouvelle génération. Celle-ci, en effet, s’est formée à une époque où non seulement la guerre antinazie mais le schisme « titiste » des années quarante semblaient appartenir à un passé lointain et vague. Il ne faut pas attribuer cela à un manque de curiosité des jeunes, ni en conclure que l’expérience vécue par une génération ne peut pas être comprise par la suivante. Cela vient plus simplement du fait qu’après la mort de Staline, son successeur, Khrouchtchev (7), décida de se réconcilier avec Tito, débarqua un jour d’avril 1955 à Belgrade et que, depuis lors, malgré les hauts et les bas qu’ont connus les rapports soviéto-yougoslaves, on ne cherche plus ni en Yougoslavie ni en U.R.S.S. à remuer le passé ou à étudier à fond les raisons d’un conflit qui fut tragique mais est, apparemment, devenu sans objet. Les deux pays ne se sont pas tout à fait réconciliés et la Yougoslavie ne fait toujours pas partie du Pacte de Varsovie, mais les dirigeants de Moscou et de Belgrade ont peu à peu réappliqué les bonnes règles de « non-ingérence » qui régissent les rapports des partis communistes issus du Komintern. C’est dire qu’on chercherait en vain dans la presse officielle yougoslave une étude sur le stalinisme en U.R.S.S. et que, d’autre part, on ne trouverait dans les journaux soviétiques aucune analyse sérieuse de l’évolution actuelle de la société yougoslave.

C’est seulement quand l’occupation de la Tchécoslovaquie a ravivé la vieille méfiance des Yougoslaves vis-à-vis de l’imprévisible Russie que Vladimir Dedijer a pu rompre le silence et répondre librement aux questions des étudiants sur l’épreuve de force avec Staline. Il a décidé de leur livrer les notes de militant qu’il prenait soigneusement pendant les années difficiles (de 1948 à 1953) pour pouvoir écrire un jour l’histoire du communisme yougoslave. Il s’agit donc ici d’un journal très personnel, plus de réflexions intimes et riche en récits inédits d’événements oubliés, qui permettent de reconstituer les faits et surtout de sentir l’ambiance dans laquelle ont vécu les communistes yougoslaves. Ayant momentanément abandonné ses travaux universitaires et renoué avec sa vocation de journaliste – métier qu’il exerçait déjà avant la guerre, Vladimir Dedijer a pu sortir ce livre « à chaud » et le publier en feuilleton, de l’automne 1968 à l’hiver 1969, dans le journal à grand tirage Delo. Les journaux tchécoslovaques l’ont aussitôt repris, car à ses débuts la « normalisation » fut très imparfaite ; il y avait à Prague beaucoup de chars soviétiques, mais peu de « fidèles » pour exercer la censure. C’est seulement en avril 1969, après le limogeage de Dubcek (8), que les nouveaux dirigeants du P.C. tchèque ont réussi à mettre fin à ce « scandale ». Pour marquer sa solidarité avec les victimes de ce « socialisme à visage inhumain », Vladimir Dedijer a dédié ce livre à la mémoire de Jan Pach (9), le jeune étudiant praguois qui s’est immolé par le feu, en janvier 1969, en signe de protestation désespérée contre l’occupation soviétique.

Le côté rapide et spontané du journal de Vladimir Dedijer en fait un témoignage exceptionnel. N’étant plus, depuis longtemps, un homme du pouvoir, l’auteur est dégagé de tout souci tactique : pour lui, le passé n’est pas un creuset d’où l’on peut extraire des éléments utiles pour la politique d’aujourd’hui, en en éliminant d’autres qui rétrospectivement pourraient être gênants. Il n’a pas censuré ses pensées de l’époque, n’a pas caché les doutes qui l’envahissaient parfois, quand il voyait ses camarades servir la cause commune par des moyens fort discutables. Et il va de soi qu’il n’a pas fait disparaître de la scène tous ceux qui, comme Milovan Djilas ou Alexander Rankovitch (10), devaient par la suite être limogés. Une telle fidélité à l’événement est unique dans l’historiographie des pays de l’Est et plus rare qu’on ne le croit généralement dans celle des pays de l’Ouest.

Mais venons-en au fond du problème. Que nous apporte cette tranche de vie taillée dans l’histoire yougoslave et en quoi nous éclaire-t-elle sur les problèmes de l’édification du socialisme ? Vladimir Dedijer a voulu informer les jeunes sur le passé pour mieux stimuler leur volonté de défendre leur pays devant le même ennemi que vingt ans plus tôt. Cela l’amène à insister sur la pureté des intentions communistes et libertaires de ses compagnons, et de Tito en premier lieu. Mais son témoignage nous fait mesurer la distance entre les promesses titistes et la réalité yougoslave d’aujourd’hui. Le pays de Tito a réussi à tenir tête à Staline mais non à construire ce « socialisme à visage humain » cher à l’auteur. L’évolution actuelle de la société yougoslave n’autorise malheureusement pas beaucoup d’espoirs dans ce domaine. Au contraire ! Paul M. Sweezy (11), l’économiste marxiste américain mondialement connu, affirme que les titistes n’ont démontré qu’une seule chose, c’est que la transition du socialisme au capitalisme peut se faire pacifiquement. Selon lui, tous ceux qui à l’Est s’inspirent du modèle yougoslave aboutiront nécessairement au même résultat. Même certains amis optimistes de la Yougoslavie qui refusent de se prononcer sur la nature exacte de sa société, n’en sont pas moins choqués en voyant que plus d’un demi-million de travailleurs yougoslaves sont obligés de chercher leur gagne-pain à l’étranger – principalement en Allemagne de l’Ouest et fuient le chômage et la misère qui contrastent plus que jamais avec l’arrogance et l’opulence des « nouveaux riches ». La Yougoslavie est redevenue un pays où les inégalités sociales sont scandaleuses et où l’on fait appel « à la mexicaine » aux capitaux étrangers en leur offrant toutes les possibilités de réexporter les bénéfices.

Cette régression est si flagrante que, pour les jeunes révolutionnaires d’Occident, la Yougoslavie est devenue une sorte d’« exemple négatif ». Ils croient, en voyant le présent, que dans le passé les titistes étaient déjà des sociaux-démocrates, qui avaient réussi à s’infiltrer dans le mouvement communiste pour lui faire accepter les pires compromissions. Bien entendu, l’histoire est plus complexe et dramatique, comme l’on s’en rendra compte en lisant ce livre. En réalité, loin d’être, à l’origine, des « modérés » et des « pseudo-révolutionnaires », les communistes yougoslaves ont mené une guerre prolétarienne et paysanne dont il n’y a pas d’autre exemple dans l’Europe du XXe siècle, et ils ont réussi, pratiquement seuls, malgré le scepticisme et la méfiance de Staline, à faire triompher la révolution socialiste dans leur pays (12). Ils ont été excommuniés non parce qu’ils étaient trop « droitiers », comme l’insinuait la résolution du Kominform de juin 1948, mais parce qu’ils étaient trop « gauchistes » : leur ardeur gênait la prudente stratégie de l’Union Soviétique. C’est cela le vrai point de départ de leur histoire récente.

Les exploits de la résistance titiste ne s’expliquent pas seulement par la configuration géographique de la Yougoslavie (il ne suffit pas d’avoir des montagnes pour y faire venir des partisans) ni par le patriotisme ombrageux de ses habitants. Le mérite en revient entièrement aux dirigeants communistes qui surent proposer au pays des objectifs sociaux révolutionnaires et qui réussirent à détruire l’ancien appareil étatique et à le remplacer par le pouvoir populaire, incarné par les Comités de Libération. Déjà à l’automne 1941, ils avaient libéré une partie importante du territoire nationale (tout l’Ouest de la Serbie) et, en décembre de la même année, ils avaient créé la première brigade prolétarienne de choc, embryon de l’Armée populaire qui, au moment de la Libération, ne comptait pas moins de 800.000 hommes.

Aucun mouvement de résistance n’a infligé autant de pertes aux Allemands et ne leur a immobilisé autant de troupes que celui de la petite Yougoslavie avec ses treize millions d’habitants. Et c’est en raison de son efficacité que le mouvement partisan de Tito – sans jamais avoir caché ses aspirations communistes – obtint en 1943 l’aide militaire anglaise. Les Britanniques ont tout fait, au début, pour stimuler la résistance royaliste – les « techtniks » du général Mikhailovitch (13) – et favorisèrent même discrètement ses efforts pour liquider les communistes. Mais ils constatèrent rapidement que cette politique faisait le jeu des Allemands et, quand le déroulement de la guerre les obligea à s’intéresser de plus près au front des Balkans, ils parachutèrent en Yougoslavie le général Fitzroy Maclean (14) pour qu’il juge sur place de la valeur et de l’importance du mouvement de résistance titiste. Revenu auprès de Churchill (15), Fitzroy Maclean déclara carrément : « Que nous les aidions ou pas, les partisans communistes deviendront une force politique décisive dans la Yougoslavie d’après la guerre, car ils sont les seuls à se battre vraiment et à avoir le soutien populaire. Cela dit, ils sont ouvertement et passionnément communistes, ils seront inévitablement liés à l’Union Soviétique et établiront un régime modelé sur le sien ». Churchill qui, à cette époque, se souciait uniquement de protéger au mieux ses armées qui allaient débarquer en Italie, demanda : « Général, avez-vous l’intention de vivre en Yougoslavie après la guerre ? – No, Sir, répondit laconiquement Fitzroy Maclean. – Moi non plus, dit Churchill. Alors moins nous nous soucierons, vous et moi du gouvernement qu’il y aura dans ce pays une fois la paix revenue, mieux cela vaudra. Aidons seulement ceux qui font le plus de mal aux Allemands » (16).

Certes, plus tard, les Soviétiques insinuèrent que les Anglais ne donnent jamais rien pour rien. Pourtant la liaison entre Tito et Churchill fut établie avec l’accord et avec les encouragements de Moscou. Il aurait suffit d’un mot de Staline pour que le leader des partisans refuse tout contact et toute aide qui ne soient pas soviétiques. Depuis le début de la bataille, il gardait les yeux tournés vers le Komintern et enseignait à ses troupes l’amour de l’Union Soviétique et de l’Internationale. Mais ce n’était pas l’état-major de la révolution mondiale qui lui répondait ; c’était la chancellerie de l’Etat soviétique, plus prudente que jamais et soucieuse surtout de ne pas inquiéter ses grands alliés anglo-saxons. Loin de les pousser à l’intransigeance et à leur déconseiller les « mauvaises fréquentations » anglaises, Moscou reprochait régulièrement aux partisans de Tito leur conduite trop ouvertement communiste, et les invitait à ne pas mettre en avant leur programme de révolution sociale et à se contenter de prôner, dans l’esprit unitaire le plus large, la lutte antifasciste. En 1942, alors que le pouvoir était déjà solidement implanté dans les régions libérées, l’U.R.S.S. élevait au rang d’ambassade sa représentation auprès du gouvernement royal en exil, et s’engageait à envoyer sa mission militaire auprès des « tchetniks » du général Mikhailovitch...

Pourtant, c’est seulement beaucoup plus tard que les titistes commencèrent à se poser des questions sur les raisons de la conduite de Staline. Leur fascination pour l’U.R.S.S. et pour son chef était telle – et le journal de Vladimir Dedijer est sur ce point pathétique – qu’ils réussissaient toujours à se persuader que Staline devait avoir des raisons supérieures qui leur échappaient à eux, simples combattants d’un seul secteur du front révolutionnaire. Ils comprirent seulement après la guerre que l’U.R.S.S. n’avait rien de mieux à leur offrir qu’une place subalterne dans son système et qu’au lieu de les aider à surmonter les problèmes du sous-développement, elle prétendait leur imposer le corset étouffant de son propre appareil d’encadrement policier et économique. C’est à travers cette expérience et au prix de déchirements douloureux que les titistes apprirent, non sans mal, à dire « non » à Moscou. Dedijer nous révèle que même dans la période de tension la plus grave, en février 1948, six mois avant la rupture, Milovan Djilas de retour de Moscou, où il avait eu un dernier entretien avec Staline, terminait son rapport au Comité central en déclarant : « Nous ne devons pas douter un instant de l’amour profond du camarade Staline pour les communistes et pour le peuple de Yougoslavie » (17).

A vrai dire, en lisant Dedijer, on a l’impression que sans Tito le parti communiste yougoslave aurait capitulé et se serait laissé mettre au pas, comme tous les autres P.C. au pouvoir dans les démocraties populaires. Certes, son lien avec le chef des partisans dépassait la politique : la même bombe allemande qui avait tué sa première femme, Olga, avait également blessé Tito, qui est devenu pour lui quelque chose de plus qu’un leader et un ami. Mais même en tenant compte de ce facteur subjectif, ce livre nous dit beaucoup sur la difficulté qu’éprouvent les communistes à regarder en face la réalité soviétique. La fidélité à l’U.R.S.S. de la plupart des partis communistes n’a pas survécu par hasard à la dure épreuve de l’occupation de la Tchécoslovaquie, en 1968, car elle puise ses racines non seulement dans la complicité entre Moscou et les groupes dirigeants des P.C., mais aussi dans le mythe de la pureté du « premier Etat socialiste de l’Histoire », profondément ancré à la base. La structure super-centraliste de ces partis fait, de surcroît, que la masse de militants ne sait rien – ou presque – des doutes ou des conflits au sujet de l’U.R.S.S. dans leur propre groupe dirigeant (18). Même un homme comme Dedijer, pourtant ami de Tito et dirigeant du P.C. yougoslave, n’a été « initié » qu’à la veille de la rupture entre Belgrade et Moscou, quand les jeux étaient virtuellement faits.

On peut se demander, toutefois, si dans cette épreuve de force entre Staline et Tito, les incompatibilités de caractère ont seules joué ou si tous les deux étaient poussés à agir par une situation qui dépassait leurs personnes. Dans le cas de Staline, les accusations lancées par ses épigones finissent par masquer la réalité et par attribuer toutes ses « erreurs » à des extravagances caractérielles (19). En fait, le livre de Vladimir Dedijer reste trop chargé de passion pour nous permettre une véritable analyse de la personnalité de l’ancien leader soviétique. En examinant le dossier yougoslave on peut, cependant, dégager certaines lignes directrices qui aident à comprendre sa conduite.

L’idée de la révolution mondiale se réduisait, pour Staline, à celle du renforcement des positions de l’U.R.S.S. Cela l’amenait tout naturellement à privilégier les intérêts de l’Union Soviétique par rapport à ceux du mouvement communiste à l’étranger et à voir dans l’Armée Rouge le principal – sinon le seul – « agent » de la révolution. Il ménageait donc le gouvernement royal yougoslave au nom de son alliance (très précieuse) avec les Anglo-Saxons et il ne croyait guère aux chances d’un mouvement de partisans qui s’était développé en dehors de son contrôle direct et sur lequel il paraissait même très mal renseigné. Ses envoyés auprès des partisans n’avaient pas la même indépendance de jugement que Fitzroy Maclean. Ils étaient chargés de faire appliquer une ligne « standard » fixée à l’avance pour tous les mouvements de résistance et qui ne leur assignait qu’un rôle d’auxiliaires de l’Union Soviétique.

A l’issue de cette guerre, Staline se réservait à lui-même le droit de négocier avec les Anglo-Saxons et d’obtenir pour eux, éventuellement, certaines concessions pour ses « protégés ». Il n’était donc pas capable de comprendre la différence entre les situations qui s’étaient créées en Yougoslavie et en Chine – pour ne citer que les deux exemples les plus significatifs – et celles qui existaient dans les pays où les communistes étaient moins forts et le mouvement populaire moins solidement implanté. Ce n’est donc pas un hasard s’il a conseille aussi bien à Mao Tsé-toung (20) qu’à Tito d’accepter des compromis avec les forces pro-américaines. Cette attitude provoquait inévitablement des conflits avec les meilleurs de ses camarades précisément parce que ceux-ci étaient les seuls suffisamment forts pour négliger ses conseils et pour ne pas respecter les accords qu’il avait tendance à conclure, par-dessus leur tête, avec les grandes puissances.

Cette même vision rétrécie du monde et du mouvement révolutionnaire interdisait d’autre part à Staline d’aborder d’une manière originale les problèmes créés, après la guerre, par la naissance de tout un système d’Etats socialistes. L’Union Soviétique n’était plus la seule « forteresse de la révolution ». Les démocraties populaires d’Europe orientale étaient nées grâce à l’Armée Rouge, mais cela n’empêchait pas chacune d’elles de constituer une réalité sociale avec ses aspirations particulières et ses problèmes spécifiques. En plus, il y avait la Yougoslavie et l’Albanie, très fières de leur propre révolution et quelques années plus tard, il y eut encore la Chine qui représente à elle seule un quart de l’humanité. Tout cela aurait pu être, à première vue, une source d’enrichissement énorme pour l’Union soviétique, que sa situation de « forteresse » assiégée avait trop longtemps obligée à vivre dans une solitude contraignante, mais encore aurait-il fallu qu’elle sache profiter de cette nouvelle situation pour se donner un nouvel élan révolutionnaire. N’étant plus vraiment menacée par les puissances capitalistes, elle aurait pu envisager sa reconstruction d’après la guerre en donnant enfin un début de réalité à sa rhétorique traditionnelle sur le pouvoir et l’initiative des travailleurs et en aidant les pays qui commençaient à suivre son exemple à bâtir une société effectivement socialiste. Personne alors ne lui aurait contesté son rôle de guide de la nouvelle communauté socialiste. Mais l’U.R.S.S. n’a su proposer aux autres que son centralisme politique et l’acceptation pure et simple de ses priorités étatiques, encore plus pragmatiques que dans le passé (21).

On peut se demander, toutefois, si Staline a laissé ainsi échapper cette occasion historique parce qu’il tenait trop à ses méthodes de gouvernement, ou bien parce que la société qui s’était développée en U.R.S.S. était déjà trop figée et incapable de se renouveler. Pour moi, qui ai vécu en U.R.S.S. pendant la guerre, je suis enclin à penser que cette dernière raison a pesé tout autant que le caractère despotique de Staline. L’élan patriotique des Soviétiques pendant la guerre fut, certes, admirable, mais il n’a fait que masquer la profonde dépolitisation du pays, il n’a fait que mettre en lumière l’énorme décalage entre la façade socialiste et la réalité vécue, réalité démoralisante qui semait partout le scepticisme et même souvent le cynisme. Les méthodes staliniennes de développement engendraient depuis un bon moment déjà de nouvelles inégalités et créaient un climat très lourd qui risquait même de devenir explosif. La situation n’était guère plus 'brillante dans des pays où la révolution fut apportée par l’Armée rouge au lieu de l’être par les forces populaires autochtones, et où, comme on le devine aisément, les nouveaux régimes se heurtaient aux sentiments anti-russes et conservateurs de certaines couches de la population. Enfin, last but not least, la guerre avait infligé à presque tous les pays de l’Est, à commencer par l’U.R.S.S., des destructions beaucoup plus effroyables qu’on ne l’imaginait en Europe occidentale.

Il n’était pas facile, dans ces conditions, d’assurer une unité politique et structurelle à cet ensemble hétéroclite tiraillé, dès sa naissance, par de graves contradictions internes. Staline manquait non seulement de ressources économiques mais surtout d’idées originales (22) pour résoudre des problèmes de cette envergure. N’ayant jamais été l’homme du mouvement des masses, il n’a pas songé un instant à s’appuyer sur l’aile la plus avancée du camp socialiste pour créer des organismes de direction collective, capables de coordonner le développement de l’ensemble en tenant compte des exigences et du potentiel de la base. Il choisit donc d’exiger de tous ses nouveaux partenaires un alignement pur et simple sur l’U.R.S.S. et une discipline rigide. Il les plaça, en fait, devant un choix : accepter un rôle subalterne ou rompre. Tito choisit la rupture.

Cette attitude s’explique facilement. Le leader yougoslave se sentait fort, soutenu qu’il était par un mouvement populaire qui s’était immensément développé pendant la résistance, qui s’était aguerri dans des batailles meurtrières (deux millions de Yougoslaves sur treize millions périrent au cours de la Seconde Guerre mondiale) et qui vivait encore dans une atmosphère de réelle fraternité. C’est avec une véritable nostalgie que Vladimir Dedijer – et d’autres anciens maquisards – parlent de la vie communautaire que menaient les partisans, du dévouement et de la profonde sagesse de ces masses paysannes qui constituaient le gros de leurs troupes et sans lesquelles la victoire de la révolution n’aurait pas été possible. Il n’y a aucune prétention ou démagogie dans la comparaison que fait souvent Dedijer entre cette bataille et celle qu’ont livrée les communistes chinois et plus tard les Vietnamiens. Au contraire, la similitude des méthodes employées, ici et là, pour la mobilisation populaire est frappante.

Seul un dirigeant qui, comme Tito, était sûr de la fidélité de ses compagnons pouvait prendre le risque de dire « non » à Staline tout en sachant que celui-ci jouissait d’un prestige immense parmi les communistes et avait plus d’un atout politique dans son jeu. Et si Staline n’a pas tenté d’envahir la Yougoslavie, c’est que, contrairement à ses successeurs qui ne se font aucune illusion sur la valeur de leurs arguments politiques et sur leur autorité dans le monde communiste, il avait surestimé les siennes. Il était convaincu – du début jusqu’à la fin de l’épreuve - que son appel aux militant yougoslaves suffirait pour miner la position de Tito et pour renverser son régime. Son calcul n’était pas aussi fou qu’on le croit après coup, car dans les rangs des partisans il y avait eu des dissidences et non des moindres : Zujovitch (23) et Hebrang (24) - pour ne parler que de ces pro-soviétiques les plus connus – occupaient des places de tout premier plan dans l’équipe dirigeante titiste. Mais leur défection ne suffit pas à briser les liens de solidarité étroits qui s’étaient noués entre la majorité de partisans d’hier et leur leader. Voyait qu’il ne réussissait pas à déloger Tito, Staline décida simplement de le mettre au ban de la famille communiste.

Les Yougoslaves se sont donc retrouvés « seuls dans un monde hostile », selon la définition de Vladimir Dedijer. Ils ont dû, à leur tour, chercher des idées originales qui leur permettrait de mener à bien l’ambitieuse bataille qu’ils menaient pour un « autre socialisme », mais de nouveau dans un seul, et de surcroît, petit pays. On ne dira jamais assez que c’était une tâche écrasante à laquelle ils n’étaient pas du tout préparés. Formés dans l’amour et l’admiration de l’U.R.S.S., ils n’avaient, pendant la guerre, rien imaginé d’autre que d’appliquer à leur pays le modèle soviétique de développement. Et même après la rupture ils essayèrent, pendant plusieurs années, de s’en tenir là. Ils souffraient de l’autoritarisme de Staline mais sans déceler sur quoi reposait ce type de « socialisme ». Ils trouvaient facilement, dans leur histoire, des preuves de la « mauvaise conduite » des Soviétiques, mais ils ne savaient pas analyser les origines structurelles de cette politique.

C’est à tâtons qu’ils cherchèrent une nouvelle voie, mais on peut se demander si, malgré leur passion antistalinienne sincère, ils réussirent à emprunter une direction sensiblement différente de celle que l’U.R.S.S. avait suivie pendant les diverses périodes du règne de Staline. Certes, les thèses yougoslaves sur le « dépérissement de l’Etat » et « l’autogestion des entreprises » paraissaient très séduisantes, mais appliquées d’une manière purement administrative, dans un cadre économique et politique qui n’était pas encore radicalement socialisé, elles ont conduit à un système politique ambigu et à un retour aux mécanismes du marché qui ont engendré à leur tour une crise économique endémique, le chômage, la cristallisation rapide des couches privilégiées et des déséquilibres entre le développement des différentes régions au détriment de celles qui étaient au départ les plus pauvres. Ces choix ont rejeté la Yougoslavie à droite du bloc soviétique ; ils l’ont exposée à des dangers d’autant plus graves que son unité nationale est fort récente (elle ne s’était forgée que dans le feu de la bataille des partisans) et que la faiblesse de son économie la rend particulièrement vulnérable à la pénétration des capitaux étrangers qui ne s’y implantent évidemment pas par charité ni par « solidarité prolétarienne » (25). La politique du « non-alignement » de Tito n’a pas manqué d’être influencée par cette évolution et sa conduite face à l’agression américaine au Vietnam suffit à l’illustrer.

L’examen des origines structurelles « staliniennes » de cette orientation déborderait le cadre d’une préface et nous préférons attendre la suite du journal de Vladimir Dedijer pour le faire. Bornons-nous à remarquer que ce n’est pas un hasard si cette politique yougoslave n’a devancé que de peu celle que l’U.R.S.S. post-stalinienne a choisie elle aussi. Quand Khrouchtchev est allé à Belgrade, en avril 1955 (26), son but n’était pas de réparer les injustices que Staline avait infligées aux Yougoslaves, mais de rechercher des convergences entre ses projets de « réformes » et ceux des titistes. C’est pour cette raison d’ailleurs que les frères ennemis d’hier ont pu retrouver, sans trop de mal, une langue commune et mettre fin à leur « débat doctrinal ». L’U.R.S.S. accepte, en effet, la politique de « non-alignement » de Tito parce qu’elle est beaucoup plus proche de sa propre conception de « coexistence » que de la politique révolutionnaire préconisée par les Chinois (27). Elle veut également redonner de la « spontanéité » à son économie en accordant plus d’autonomie aux cadres des entreprises d’une manière qui ne contraste pas radicalement avec les méthodes introduites en Yougoslavie au nom de l’autogestion. Il n’est donc pas étonnant que les Chinois se soient acharnés, pendant plusieurs années, contre le « modèle révisionniste yougoslave » qu’ils considéraient comme l’image même de la société qui allait se former, à court terme en Union soviétique (28).

Pourtant, de même que le retour à l’économie de marché a ravivé les rivalités entre les républiques qui forment la Fédération de Yougoslavie, il constitue un élément de désagrégation du bloc européen de l’U.R.S.S. et conduit aux nouvelles tensions entre Moscou et Belgrade. Plus chaque démocratie populaire introduit d’éléments de « spontanéité », calqués sur les mécanismes capitalistes, et moins elle a de raisons de traiter en priorité avec les autres pays du bloc (29). Moins on y parle de solidarité avec les forces révolutionnaires et plus on y ressuscite de vieux sentiments nationalistes, plus on tend à y relâcher les liens avec l’U.R.S.S. Pour freiner ces forces centrifuges l’U.R.S.S. ne trouve plus d’autres arguments que l’intervention militaire (voir la Tchécoslovaquie) ou des menaces d’invasion, d’où les craintes des Roumains et des Yougoslaves. L’Union Soviétique veut, aujourd’hui comme hier, traiter avec les Etats-Unis ou avec l’Allemagne fédérale au nom de son bloc tout entier, alors que toute sa stratégie économique et sa conception du désengagement poussent ses « protégés » à la rébellion contre sa lourde tutelle. C’est cet ensemble que Vladimir Dedijer attribue aux « survivances du stalinisme » en U.R.S.S., mais, pour être juste, il faudrait constater qu’on retrouve aussi, en Yougoslavie, les mêmes survivances et qu’elles découlent de mécanismes sociaux et économiques comparables.

De ces réflexions rapides et plutôt pessimistes on aurait tort de déduire qu’en Yougoslavie comme en U.R.S.S., les « impératifs objectifs », échappant à la volonté des dirigeants ont imposé une évolution que devra suivre inévitablement toute société post-révolutionnaire au moment où elle atteint un certain degré d’industrialisation. Ces pays s’engagent sur cette voie simplement parce qu’ils n’ont pas su rompre plus radicalement avec l’héritage des rapports de production et de valeurs capitalistes qui tendent non seulement à se conserver aussi longtemps qu’on réduit la bataille pour le socialisme à la simple course à l’accumulation économique accélérée (30), mais aussi à resurgir avec force grâce à la cristallisation des nouvelles élites qui accompagnent inévitablement un tel processus. Mais ce faisant, ils retrouvent inévitablement, en plus de leurs problèmes spécifiques, les contradictions qui rongent les sociétés capitalistes et qui, tôt ou tard, conduisent aux crises sociales insurmontables. Aucune « révolution technique et scientifique » (31) ne peut, dans un tel cadre, satisfaire les besoins profonds des hommes et les détourner de la lutte pour le socialisme, fondé sur le pouvoir des travailleurs et l’égalitarisme.

La Yougoslavie aurait-elle pu avancer encore plus hardiment dans cette direction si, forte de ses traditions de l’époque des partisans, elle avait choisi, au lendemain de la rupture avec l’U.R.S.S., un approfondissement de sa révolution plutôt que la restauration progressive des mécanismes de l’économie de marché ? Nous n’évoquerons pas ici l’exemple chinois pour suggérer que la réponse à cette question aurait pu être affirmative et, d’abord, parce que l’histoire ne se refait pas avec des « si ». Certes, la révolution chinoise avait une tradition théorique et des potentialités qui lui ont permis de rompre avec le stalinisme à partir de positions de gauche. Ce faisant elle a éclairci un grand nombre des problèmes de l’édification du socialisme qui n’étaient pas faciles à comprendre pleinement à l’époque du « socialisme dans un seul pays » et qui ont été longtemps masqués par la rhétorique et les habitudes de pensée staliniennes. Mais, à présent, grâce à la crise de nos propres sociétés et, en partie grâce au schisme chinois, c’est justement le problème de la rupture totale avec tout système hiérarchisé, autoritaire, oppressif et aliénant qui est plus que jamais à l’ordre du jour. C’est contre ce système que se sont battus les partisans de Yougoslavie, comme ce livre nous le rappelle très opportunément. La naissance d’un mouvement étudiant à Belgrade, qui réclame le retour à l’éthique égalitaire de l’époque, ce livre et la personnalité de son auteur prouvent que les aspirations des combattants d’hier ne sont pas oubliées en Yougoslavie. Peut-être peut-on fonder sur elles des espoirs pour l’avenir (32).

K.S. Karol (33)

1) Vladimir Dedijer (1914-1990) : https://en.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Dedijer 

2) Milovan Djilas (1911-1995), dirigeant communiste yougoslave, devenu dissident : https://fr.wikipedia.org/wiki/Milovan_Djilas. Il est l’auteur notamment de Conversations avec Staline (Paris, Gallimard, 1962. Collection « L’air du temps », 167) et de La nouvelle classe dirigeante (Paris, Plon, 1957. Collection « Tribune libre », 10)

3) Josip Broz Tito (1892-1980), secrétaire général du Parti communiste et président (à vie) de la République socialiste fédérale de Yougoslavie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Josip_Broz_Tito 

4) Vladimir Dedijer publia en 1961 The Beloved Land (Simon and Schuster, New York et en 1966 The Road to Sarajevo (chez le même éditeur). Ce dernier livre parut également en France, aux Editions Gallimard, sous le titre : La Route de Sarajevo, coll. La Suite des Temps, 1969 (note de K.S. Karol)

5) Bertrand Russell (1872-1970), philosophe et pacifiste britannique : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bertrand_Russell 

6) Joseph Staline (1878-1953), secrétaire général du Parti communiste de l’U.R.S.S, et maréchal: https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Staline 

7) Nikita Khrouchtchev (1894-1971), premier secrétaire du Parti communiste de l’U.R.S.S (1953-1964) et premier ministre (1958-1964) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nikita_Khrouchtchev 

8) Alexander Dubček (1921-1992), premier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque (janvier 1968-avril 1969) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexander_Dub%C4%8Dek 

9) Jan Palach (1948-1969), étudiant : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jan_Palach 

10) Aleksandar Ranković (1909-1983), ministre de l’Intérieur yougoslave (1946-1966) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Aleksandar_Rankovi%C4%87_(homme_politique) 

11) Paul Marlor Sweezy (1910-2004), économiste marxiste étatsunien : https://www.solidarity-us.org/node/418 

12) Ernest Mandel, « Tito et la révolution yougoslave », La Gauche, 20.3.1980 : http://www.ernestmandel.org/fr/ecrits/txt/1980/tito.htm 

13) Draža Mihailović (1893-1943), général serbe, chef de la résistance monarchiste, fusillé en 1946 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dra%C5%BEa_Mihailovi%C4%87 

14) Fitzroy Maclean (1911-1996), général britannique, envoyé de Churchill en Yougoslavie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fitzroy_Maclean 

15) Winston Churchill (1874-1965), premier ministre britannique : https://fr.wikipedia.org/wiki/Winston_Churchill 

16) Cf. Fitzroy Maclean, Eastern Approaches. Jonathan Cape, Londres, 1949, p. 402 (note de K.S. Karol).

17) Dans ce rapport – transmis par Tito à Dedijer (qui rédigeait alors la biographie du président yougoslave) -, Milovan Djilas déclara textuellement: « On ne saurait cependant douter un seul instant du grand amour que le camarade Staline porte à notre parti tout entier, au Comité central et en particulier au camarade Tito » (Dedijer, p. 166).

18) Pour comprendre la logique (aujourd’hui dépassée) de cette analyse des partis communistes, il faut tenir compte du fait que la préface de K.S. Karol a été rédigée en 1970. Un demi-siècle a passé, qui a vu disparaître non seulement « le camp socialiste avec l’Union Soviétique à sa tête » (formule célèbre des années 1950), mais aussi la Yougoslavie, qui n’a survécu qu’une dizaine d’années à la mort de Tito.

19) Cf. le « rapport attribué au camarade Khrouchtchev » (formule lénifiante d’un communiqué du PCF en 1956), lors du XXe congrès du P.C.U.S. en février 1956, ainsi que les débats lors du XXIIe congrès du P.C.U.S. en 1961.

20) Mao Zedong (1893-1976), dirigeant du Parti communiste chinois depuis la « Longue Marche » (1934-1935) jusqu’à sa mort : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mao_Zedong 

21) Séduit par une vision par trop idéalisée de la Chine populaire (cf. la conclusion de sa préface), K.S. Karol n’évoque pas le concept de « caste bureaucratique » (développée par Trotsky et Christian Rakovsky) pour expliquer la dégénérescence de la révolution russe. Après les procès de Moscou (1936-1938) contre la vieille garde bolchévique, l’expulsion du PC yougoslave du Bureau d’information des partis communistes (KOMINFORM) et les procès des années 1950 dans les « démocraties populaires » avaient précisément pour but de liquider une gauche embryonnaire, mais non cristallisée, au sein des PC - qu’ils soient au pouvoir, en Europe de l’Est, ou dans l’opposition, en Europe occidentale.

22) Trotsky avait défini Staline, d’un trait juste - mais pouvant sous-estimer la capacité de nuisance de ce dernier - comme « étant la plus éminente nullité du Parti ».

23) Steren Žujović : dirigeant du P.C. yougoslave, partisan des résolutions du KOMINFORM contre la direction titiste, expulsé du Comité central et du PCY, inculpé pour crimes contre la sécurité de l’Etat. Pas d’informations plus précises le concernant, hormis l’ouvrage de Vladimir Dedijer.

24) Andrija Hebrang (1899-1949), dirigeant du P.C. yougoslave, partisan des résolutions du KOMINFORM contre la direction titiste, expulsé du Comité central et du PCY, inculpé pour crimes contre la sécurité de l’Etat. Décédé après son arrestation par la police politique yougoslave, réhabilité en 2009 par l’Etat croate comme « victime du communisme » ( !) : https://en.wikipedia.org/wiki/Andrija_Hebrang_(father) 

25) Sur l’évolution de la Yougoslavie, jusqu’à l’implosion des années 1990, cf. Catherine Samary, Le marché contre l’autogestion : l’expérience yougoslave. Paris, La Brèche, Publisud, 1988 ; Catherine Samary, La déchirure yougoslave : questions pour l’Europe. Paris, L’Harmattan, 1994 (Collection « Conjonctures politiques ») ; cf. aussi l’ensemble des publications de Catherine Samary, sur son site : http://csamary.free.fr/articles/Publications/Rubriques.html 

26) Ayant pris parti, en 1948, en faveur de la résolution du Kominform contre le P.C. yougoslave, le dirigeant albanais Enver Hoxha – prenant, après le XXe congrès du PCUS, la défense inconditionnelle de Staline – dénonça le rapprochement entre l’U.R.S.S. et la Yougoslavie. ». Cf. Enver Hoxha, Khrouchtchev à genoux devant Tito. Paris, Editions Norman Béthune, 1977 ; Les titistes. Tirana, 8 Nëntori, 1982. Pourtant, dans son ouvrage Conversations avec Staline (Paris, Gallimard, 1962. Collection « L’air du temps », 167), Milovan Djilas rapportait les propos de Staline, incitant la Yougoslavie à « avaler » l’Albanie.

27) La préface de K.S. Karol à l’ouvrage de Dedijer avait été rédigée avant la visite de Nixon à Pékin et le tournant à droite de la politique étrangère chinoise, justifié par la « théorie des trois mondes » énoncée par Deng Xiaoping en 1974, faisant du « social-impérialisme soviétique » l’ennemi principal des peuples et la plus dangereuse des deux super-puissances : https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_trois_monde

28) Les attaques chinoises contre la Yougoslavie se sont beaucoup atténuées après la rupture entre Pékin et Moscou et ont pratiquement cessé après l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie. La Chine reconnaît, en effet, la légitimité de la position yougoslave dans cette affaire et approuve son souci de défendre sa souveraineté (note de K.S. Karol).

29) Cette critique des « réformes économiques » dans les pays du COMECON (Marché commun des pays de l’Est et de l’U.R.S.S., aujourd’hui disparu), comme balisant le « retour au capitalisme » (qui s’est finalement produit dans les années 1990) explique (mais ne justifie pas pour autant) l’approbation donnée par Fidel Castro, en août 1968, à l’intervention des 5 pays du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie. Cf. Fidel Castro, « Discours du 23 août 1968 : extraits », Pourquoi Prague ? Paris, Editions Publications Premières et Editions Tallandier, 1968. P. 550-565.

30) Cf. à ce propos la polémique, à Cuba, en 1964, menée par Ernesto Che Guevara (alors membre du gouvernement cubain), et Ernest Mandel (dirigeant de la IVe Internationale) contre les partisans de l’utilisation des lois du marché dans la construction du socialisme (Charles Bettelheim, Alberto Mora). Ernesto Che Guevara, Ecrits d’un révolutionnaire. Paris, La Brèche, 1987.

31) Allusion aux thèses du philosophe tchèque Radovan Richta (1924-1983) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Radovan_Richta. On peut en prendre connaissance dans l’ouvrage collectif La civilisation au carrefour. Paris, Anthropos, 1969.

32) Force est de constater que les « espoirs pour l’avenir » formulés par K.S. Karol ont été totalement infirmés par la restauration capitaliste en U.R.S.S., en Europe de l’Est et en Chine. Le mouvement étudiant de 1968 n’a pas débouché sur une « révolution dans la révolution », la crise de la Yougoslavie post-titiste s’étant traduite depuis les années 1980 jusqu’à l’implosion finale par l’exacerbation des nationalismes rivaux (serbe et croate, essentiellement). La supposée rupture « à gauche du stalinisme » qu’auraient opéré les dirigeants chinois – thèse défendue en son temps par le philosophe Louis Althusser et partagée par K.S. Karol – s’est révélée illusoire et inopérante.

33) K.S. Karol (1924-2014), journaliste polonais, a collaboré notamment au Nouvel Observateur (Paris) et au Manifesto (Rome) : https://fr.wikipedia.org/wiki/K.S._Karol