Dealers de rue à Lausanne: La politique répressive de la Municipalité dans l’impasse

Il y a deux ans, le syndic de Lausanne, Daniel Brélaz (Les Verts) annonçait avec fracas que la Municipalité parviendrait à bouter les dealers hors des rues lausannoises. La politique sécuritaire mise en place depuis par le directeur de la sécurité publique, Grégoire Junod (Parti socialiste), visant essentiellement à réprimer les petits vendeurs de stupéfiants, n’a eu pour effet que de déplacer de quelques pâtés de maison le trafic de rue.

L’accroissement des interpellations de dealers n’a pas découragé les victimes de la misère internationale qui s’adonnent à ce genre de commerce pour survivre et encore moins réussi à déjouer les filières du trafic de stupéfiants à grande échelle. En outre, la consommation n’a pas faibli et le gros de la consommation n’est pas celle des toxico-­dé­pen­dant·e·s, mais celle des consommateurs festifs, notamment dans la Vallée du Flon, haut lieu des célèbres nuits lausannoises.

Une répression néfaste

Outre, le relatif insuccès de la politique sécuritaire de la Ville s’agissant de la réduction du trafic de stupéfiants, il convient aussi de souligner ses effets néfastes en terme de santé publique. Le retour au tout répressif se fait au détriment de la politique de réduction des risques et d’aide à la survie. La répression contre les dealers de rue a des effets néfastes sur les conditions d’existence des personnes toxicodépendantes, et principalement celles d’entre eux·elles qui se trouvent sans domicile fixe (probablement une centaine de personnes à Lausanne). La traque policière entraîne à son tour un regain d’attitudes violentes de la part des dealers de rues qui luttent pour assurer leurs besoins vitaux. A plusieurs reprises, le « Distribus » de la Fondation A Bas Seuil (subventionnée par la Ville et le canton de Vaud) a dû suspendre ses activités en raison de la pression policière sur les dealers de rue qui pensaient que les distributeurs de seringues gratuites étaient des indicateurs de la police. En conséquence, la précarité des personnes toxicodépendantes a augmenté. Si celles-ci n’ont plus accès aux distributions de seringues stériles et gratuites, le risque d’être infecté par des maladies graves telles l’hépatite et le virus VIH s’aggrave d’autant plus. De même, la dispersion des lieux de consommation entraînée par la chasse aux dealers de rues augmente le risque d’abandon du matériel d’injection utilisé dans toutes sorte de lieux publics avec tous les risques que cela comporte pour la population.

Changer de politique

L’échec, par ailleurs coûteux sur le plan de la répression, se double donc d’une politique incohérente en manière de réduction des risques. C’est en partie sur la base de ce constat, que la conseiller municipal Oscar Tosato (Parti socialiste), directeur de « l’enfance, jeunesse et cohésion sociale » vient d’annoncer publiquement le 14 juin que la mise sur pied d’un local d’infection et distribution contrôlée d’héroïne aux personnes toxicodépendantes (tels qu’il en existe dans un quinzaine de villes en Suisse) doit revenir à l’ordre du jour en dépit de l’échec en votation populaire d’un projet de cet ordre en 2007.

La politique fédérale en matière de drogue repose sur la « prévention », la « thérapie et la réinsertion », la « réduction des risques et l’aide à la survie » ainsi que sur le « contrôle et la répression ». Emportée par son idéologie sécuritaire, la Municipalité de Lausanne a mis nettement la priorité sur le piler « contrôle et répression ». L’annonce bienvenue du municipal Oscar Tosato sera-t-elle suffisante pour donner un nouveau tournant à la politique municipale lausannoise ? Rien n’est moins certain sans une puissante réflexion publique sur la politique prohibitionniste en matière de drogue. Comme le constate la Commission mondiale sur la politique des drogues, la guerre menée depuis cinquante ans a échoué : la consommation n’a pas baissé et le pouvoir du crime organisé n’a pas diminué. Au-delà de l’expérience indispensable de la distribution contrôlée d’héroïne dans un local d’injection destinée à réduire les risques pour la santé des personnes toxicodépendantes et de leur entourage, se pose la question d’un changement radical de la politique en matière de drogue.

Pierre-Yves Oppikofer, article tiré du nº 205 du bimensuel solidaritéS. Abonnez-vous !.