Lever le voile sur « le plus vieux métier du monde »
A l’affiche du théâtre du Pulloff la pièce Un métier pas comme les autres… mise en scène par Evelyne Knecht. Cette pièce propose un questionnement sur le thème de la prostitution et la metteuse en scène a conçu son œuvre à partir de témoignages qu’elle a récolté. Entretien d’Anne Papilloud avec Evelyn Knecht.
Pourquoi faire un spectacle sur la prostitution aujourd’hui ?
Parce que c’est un thème de société actuel. Même si la prostitution a toujours existé, elle est maintenant très présente dans le débat politique en Europe. Ce projet s’inscrit dans la continuité de mon travail sur la condition des femmes dans notre société, ici et maintenant. Je me suis donc intéressée essentiellement à ce qui se passe en Suisse. On ne peut pas tout traiter dans un spectacle d’une heure et demie, il faut faire des choix. Ainsi, j’ai aussi choisi de parler de la prostitution légale, celle où la prostituée est une femme libre et indépendante. Ce qui me semblait d’autant plus intéressant comme questionnement : Comment une femme peut-elle librement faire ce choix ?
Tu dis que la prostitution existera toujours, c’est un constat ou une prise de position ?
C’est un constat, c’est un fait. A mon sens, le débat sur l’abolitionnisme est un débat dangereux. Sans vouloir défendre la prostitution, je veux défendre les prostituées, les femmes. Je pense avant tout à leurs conditions de vie. Le principe d’interdiction ne fait pas disparaître la prostitution, elle la déplace dans l’illégal, dans le délit et donc dans la clandestinité. Est-ce qu’en interdisant la drogue on a enrayé le problème ? Non. Je pense qu’interdire la prostitution, c’est mettre ces femmes à la merci de leurs clients, c’est détruire leurs conditions de travail et c’est mettre leur vie en danger.
Quelles ont été les principales difficultés dans le travail de récolte des témoignages ?
La première difficulté a été effectivement de récolter des témoignages. Ces femmes vivent dans la stigmatisation permanente. C’est un univers où règnent avant tout le secret, le mensonge et donc, le silence. Mais grâce à Zoé Blanc Scuderi, j’ai finalement réussi à les rencontrer et à récolter des témoignages. Ensuite, il a fallu adapter mon projet à ces témoignages, car mon regard avait évolué.
Après ce travail de terrain ton regard sur la prostitution a-t-il beaucoup changé ?
Oui. Au début, j’avais une image de la prostitution qui est celle que l’on voit, c’est-à-dire essentiellement la prostitution de rue. Je savais qu’il y en avait beaucoup sur internet, bien sûr, mais ce n’était pas autant ancré dans mes représentations. Or, la plus grande part de la prostitution n’est pas dans la rue et n’est pas forcément aussi miséreuse (en Suisse) que ce que je le pensais. Je m’attendais par exemple à rencontrer davantage de femmes qui font ça pour manger, pour nourrir leur famille, mais j’ai rencontré surtout des femmes qui le font pour s’acheter une maison… Car, vouloir acheter une maison, c’est le point commun entre toutes.
Est-ce qu’on peu dire que c’est un théâtre documentaire ?
Non. Le spectacle est basé sur des témoignages de prostituées, d’interviews de clients et de micros-trottoirs glanés dans les rues de Lausanne, mais il demeure bel et bien un objet théâtral et non un documentaire. Les témoignages sont mélangés, les personnages sont donc devenus fictifs. J’ai écrit un questionnement dans lequel s’inscrivent ces témoignages. Dans cette transposition théâtrale, j’ai mis en relation des personnages qui auraient peu de chance de se rencontrer dans la réalité.
Le théâtre et la politique font partie de ta vie militante et professionnelle depuis toujours (ou presque). Tu es à la fois comédienne, metteuse en scène et conseillère communale POP à Lausanne. Le théâtre peut-il être politique ?
Bien évidemment. Ma démarche de metteuse en scène est avant tout guidée par une envie de dire. Pour moi, le théâtre est une prise de parole en lien avec ce que vivent les gens, comme l’était d’ailleurs le théâtre antique. De façon contemporaine, je cherche une forme théâtrale qui propose un questionnement sur la vie de la Cité. Mais ce n’est pas un théâtre militant. Pour moi, le théâtre ne doit pas forcément donner des réponses, il doit inviter à la réflexion, susciter le débat.
La scénographie est aussi très importante dans ton spectacle, pourquoi ces voiles ?
La scénographie est de Violaine Knecht. En discutant avec Violaine de ce projet, nous sommes parties sur ce dispositif de tulles, pour évoquer ce monde du secret. On voit des situations comme à travers un mur, à travers un rideau, c’est une représentation de cet univers caché qu’on ne devrait pas voir. Cette scénographie a nécessité une grande collaboration avec Estelle Becker, qui signe la création lumière.
Le spectacle existe grâce à une équipe magnifique sur scène : Zoé Blanc Scuderi, Isabelle Bosson, Didier Carrier, Michèle Grand, Valérie Liengme et Jean-Pascal Cottier.
Au théâtre PullOff jusqu’au 20 décembre
mercredi ve 20 h
mardi jeudi samedi 19h
dimanche 18h