Agir pour le climat n’est pas un délit

Douze militant·e·s du collectif Lausanne Action Climat (LAC) étaient poursuivi·e·s pour violation de domicile, à la suite d’une action menée dans le hall d’accueil de Credit Suisse à Lausanne, en novembre 2018, pour dénoncer les investissements de la banque dans les énergies fossiles. Contre toute attente, ils·elles ont été acquitté·e·s lundi 13 janvier, au nom de « l’état de nécessité » que revêt l’urgence climatique. Jugement peu banal, quand on sait le caractère sacro-saint du droit à la propriété en Suisse, de surcroît si celui-ci est violé pour des raisons politiques. On comprend dès lors pourquoi il est contesté par le Procureur général Eric Cottier (PLR), qui fera appel contre cette décision. Il s’agit d’empêcher que celle-ci ne crée un précédent.

Invoquer l’état de nécessité pour légitimer la désobéissance civile n’est pas nouveau. Nombreuses sont les situations dans lesquelles des personnes engagées sur un front écologique ou social n’ont d’autre issue que d’enfreindre la loi pour faire entendre leur voix. On peut évoquer les cas réguliers de délits « de solidarité » frappant des personnes qui ont aidé à passer une frontière ou apporté une aide matérielle à des individus en situation irrégulière de séjour.
D’ailleurs, cette décision n’est pas sans rappeler un jugement rendu en février 2019 en France : le tribunal de Nice acquittait le militant de défense des droits des réfugié·e·s Cédric Herrou, accusé par le préfet des Alpes-Maritimes pour avoir dénoncé vertement les pratiques inhumaines de ce dernier dans l’application des décisions de renvoi de migrant·e·s. Cet acquittement donnait raison aux actions de solidarité de Cédric Herrou, bien que menées, pour certaines, en dehors du cadre légal.

Ces deux jugements sont la conséquence d’une évolution des rapports de force dans la société, lesquels exercent une influence sur l’état du droit et les décisions rendues par les tribunaux. Qui peut prétendre que des militant·e·s écologistes auraient été acquitté·e·s pour ces faits il y a seulement deux ans, avant l’émergences des mouvements pour le climat ? De même, le jugement de Nice n’aurait pas été le même sans l’émergence des mouvements de solidarité envers les réfugié·e·s aux quatre coins de l’Europe ces dernières années.

De telles décisions contrastent avec une justice qui, au quotidien, bafoue les droits des travailleurs·euses face aux entreprises, des migrant·e·s face au racisme d’État ou encore des femmes vis-à-vis des hommes. La justice de nos sociétés est une justice de classe, raciste et sexiste. Autrement dit, la mesure dans laquelle l’institution judiciaire garantit ou non l’égalité des droits entre catégories sociales est le reflet, bien que déformé, des rapports de force entre celles-ci, des luttes qui sont menées – ou ne sont pas menées – pour l’obtention de tel ou tel droit. L’exemple de la Loi fédérale sur l’égalité est édifiant : entrée en vigueur à la suite de mobilisations féministes massives à la fin du 20e siècle, le fait qu’elle ne soit le plus souvent pas appliquée est, à l’inverse, le résultat du fait que ces luttes ont été pour l’essentiel interrompues jusqu’en 2019.

Symbolique et provisoire, cette victoire judiciaire des militant·e·s écologistes est donc révélatrice des étapes considérables franchies depuis 2018. Elle donne une légitimité supplémentaire à ce combat et à la dénonciation des responsabilités d’entreprises comme Credit Suisse dans la crise écologique. Elle invite à poursuivre et amplifier la mobilisation pour la justice climatique. Les militant·e·s de la Grève du climat l’ont bien compris : le lendemain du jugement, ils·elles occupaient les locaux d’UBS à Lausanne.

Pierre Conscience