L'écart augmente entre les meilleurs et les plus bas salaires dans les entreprises suisses

La dystopie capitaliste suisse se dessine à travers l’étude des écarts salariaux. Alors que gestionnaires et actionnaires s’en mettent plein des poches, les bas salaires stagnent scandaleusement.

Portrait de Severin Schwan, CEO de Roche
Oui les écarts salariaux chez Roche divergent beaucoup: 307:1 !

Chaque année, Unia publie une étude qui passe pratiquement inaperçue dans les médias bourgeois. Et pour cause, il s’agit de réalités statistiques qui dévoilent le fonctionnement central du capitalisme et son injustice la plus criante : l’accaparement de la plus-value par les capitalistes. L’étude sur l’évolution des écarts salariaux examine les salaires dans 40 grandes entreprises suisses et compare le salaire le plus élevé au salaire le plus bas au sein d’une même entreprise. Elle examine également la répartition des profits entre le capital et le travail. Les résultats sont à la hauteur de ce qu’on peut imaginer. 

De 2020 à 2021, les salaires des managers ont augmenté et l’écart salarial moyen est passé d’1 : 137 à 1 : 141 entre les salaires les plus bas et les plus élevés. Et il ne s’agit là que de moyennes, les écarts étant encore bien plus élevés dans plus d’une dizaine d’entreprises ! C’est à Roche qu’on retrouve l’inégalité la plus crasse : le salaire de 15 millions de francs du PDG Severin Schwan est 307 fois plus élevé que le salaire le plus bas. Un·e employé·e avec le salaire le plus bas devrait ainsi trimer 307 ans pour égaler ce qu’il gagne en une seule année !

UBS se place 2e et Logitech 3e dans ce classement, avec un écart salarial de respectivement 1 : 221 et 1 : 204. À leur suite, on retrouve entre autres Nestlé, Alcon, ou Novartis dans le top 10 du pire. Cinq PDG ont par ailleurs touché plus de 10 millions de francs en 2021. Parmi les personnes les mieux payées, on ne trouve qu’une seule femme, Magdalena Martullo-Blocher, PDG d‘EMS Chemie et députée UDC. 

Les plus riches s’enrichissent

L’argument larmoyant selon lequel des augmentations générales de salaires seraient insupportables part en fumée au vu des 82 milliards distribués aux actionnaires en dividendes et en rachats d’action en 2021. Roche, EMS Chemie, Swiss Prime Site et Partners Group ont par ailleurs versé plus d’argent en 2021 à leurs actionnaires qu’à leurs salarié·e·s. Ce qui devrait revenir au personnel sous forme d’augmentation de salaire est redistribué aux propriétaires du capital. Parallèlement, certaines de ces entreprises particulièrement lucratives versant des dividendes importants comme Novartis, Roche ou UBS ne se gênent pas de licencier, supprimant des centaines voire des milliers de postes !

Pendant que les salaires des managers augmentent, ceux des travailleur·euses stagnent à de très bas niveaux. Dans la moitié des entreprises étudiées, les salaires les plus bas sont nettement inférieurs au seuil de 53 320 francs/an, en-dessous duquel on parle de « bas salaires » en Suisse. Cela représente 3900 francs par mois pour 13 mois de salaire. L‘inégalité générale des salaires a aussi fortement augmenté ces dernières années ; les salaires réels des 10 % les plus bas n’ont augmenté que de 0,5 % entre 2016 et 2020, tandis que ceux des 10 % les plus élevés ont augmenté de 4 %, voire parfois jusqu’à 12 %. 

Une urgence à augmenter les salaires

La part d’environ 10 % de travailleur·euses qui perçoivent un bas salaire, parmi lesquel·le·s une majorité de femmes, est également restée dramatiquement constante ces dernières années. Et l’inégalité salariale entre femmes et hommes persiste. Malgré un accroissement de leur productivité, les employé·e·s n’ont pas vu leurs salaires augmenter depuis les années 1990, que ce soit en raison de la dérisoire évolution des salaires qu’en tenant compte du renchérissement.

L’accroissement des écarts salariaux est un pur scandale, en particulier au regard de la situation économique et de la richesse du pays. Le partenariat social, censé selon les classes gouvernantes garantir de meilleures conditions de vie, est un échec pour les travailleur·euses puisqu’il ne parvient même pas à maintenir le niveau des salaires réels. Chiffres à l’appui, la paix du travail profite depuis des décennies avant tout aux patrons et aux actionnaires. Dans un contexte de hausse des prix et des primes d’assurance maladie, il est urgent que les syndicats parviennent à mettre en place un rapport de force permettant d’exiger des augmentations générales des salaires. Pour y parvenir, c’est une mobilisation d’ensemble, un syndicalisme combatif et des luttes de travailleur·euses dans les entreprises qui sont nécessaires !

Aude Spang

Graphique montrant les écarts salariaux dans dix grandes entreprises suisses
«Bad Ten» des écarts salariaux 2021
Graphique comparant la productivité et les salaires réels
Productivité du travail et salaire réels, 2016 à 2020
Un graphique comparant les salaires des entreprises suisse
Augmentation des salaires réels, 2016 à 2020