«Poutine est en guerre contre la capacité d’action populaire»

L’Université d’automne de solidaritéS, qui s’est tenue à Lausanne en octobre, a accueilli un atelier sur la situation ukrainienne. Deux militantes expertes, Hanna Perekhoda et Catherine Samary, ont présenté leur lecture de la guerre impérialiste russe du régime de Poutine. 

Des femmes s'occupent d'enfants à Lviv durant la guerre
Maison des femmes et des enfants ouverte à Lviv par le collectif Feminist Workshop en juin 2022

Une cinquantaine de personnes sont présentes pour cet atelier sur «l’anti-­impérialisme et l’internationalisme : le cas de l’Ukraine». L’assemblée est attentive et concentrée. Le sujet de la guerre en Ukraine est complexe. Pour y voir plus clair, nous avons eu la chance de recevoir Hanna Perekhoda et Catherine Samary. Hanna est membre de solidaritéS Vaud et du Comité vaudois de solidarité avec le peuple ukrainien et avec les opposant·e·s russes à la guerre.

Catherine est membre du Réseau européen solidarité Ukraine – notamment son groupe féministe – spécialiste de l’ex-­Yougoslavie et des expériences et débats se réclamant du socialisme (livres et articles sur csamary.fr). Elle revenait tout juste de la conférence de l’organisation Sotsialny Rukh (Mouvement social) qui est une organisation ukrainienne démocratique socialiste de gauche qui lutte contre le capitalisme et la xénophobie. Cette conférence a permis de faire le point de manière collective après sept mois de guerre.

Au tableau et contre le mur, différentes références, notamment le site du Comité Ukraine (comite-ukraine.ch) ou encore des affiches pour la promotion des groupes féministes ukrainiens:

  • Feminist Workshop, organisation de base réunissant des femmes, des personnes LGBTQIA+ et des déplacé·e·s internes ayant pour but de développer la communauté féministe en Ukraine.
  • Bilkis, une initiative horizontale féministe, intersectionnelle et de gauche se concentrant actuellement sur l’aide humanitaire aux victimes de la guerre et aux combattant·e·s de l’armée ukrainienne.

Ne pas nier la subjectivité des Ukrainien·ne·s

«Il y a une idée répandue dans les milieux intellectuels et politiques – y compris académiques et journalistiques – que l’OTAN et l’Occident porteraient la responsabilité ultime de cette guerre», commence Hanna Perekhoda. Selon elle, cette vision est erronée ; il faut arrêter de penser que l’Occident est au centre. Le régime poutinien a fait des interventions bien au-delà de quelconques liens avec l’Occident (au Kazakhstan par exemple). Mais quelle explication y trouver ? Poutine n’est pas en guerre contre l’OTAN mais contre l’agentivité des peuples qui défient les régimes autocratiques.

Poutine veut détruire toute tentative de contestation populaire, à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières, afin de préserver l’emprise de l’oligarchie sur la Russie, de protéger son droit de piller ses ressources. C’est-à-dire maintenir la pérennité du contrôle sur le gaz et le pétrole russes dont les pays riches du Nord (Allemagne, France) profitent largement. Et c’est dans ce commerce que les puissances européennes ont leur part de responsabilité dans la guerre.

Les deux intervenantes s’accordent sur le fait que voir cette guerre comme une guerre États-Unis–Russie, c’est nier la capacité d’action du peuple ukrainien.

Catherine Samary prolonge les points présentés par Hanna. Elle souligne que Poutine se réclame du passé impérial russe de Staline contre Lénine, qui a reconnu l’Ukraine comme indépendante et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme essentiel à un projet d’union socialiste. Elle reproche à une partie de la gauche l’analogie simpliste avec la Première Guerre mondiale, omettant les rapports de domination historiques et présents de l’Ukraine par la Russie et relevant d’une vision d’un monde bipolaire qui occulte la lutte des peuples (ukrainien ou syrien, par exemple), omettant l’analyse concrète de qui attaque et qui se défend. 

Questions, débats, et responsabilités

Dans la salle, les interventions et questions sont nombreuses. Par exemple celle-ci : comment agir depuis chaque pays ? Pour les intervenantes, soutenir la résistance ukrainienne (sur le plan militaire et matériel) contre cette invasion russe peut se combiner avec une analyse critique de l’OTAN et des politiques néolibérales. D’ici, les dons financiers envers les mouvements sociaux (voir ci-dessus) sur place reste l’un des moyens de soutien les plus concrets. En effet, il s’agit de soutenir la gauche en Ukraine pour que celle-ci puisse se reconstruire sans son gouvernement néolibéral.

Elles appellent à maintenir la question ukrainienne au cœur des débats et de l’actualité, notamment en faisant connaître les textes de la gauche ukrainienne et russe : «La décolonisation de la Fédération de Russie rejoint les combats décoloniaux dans le monde et permettra de concrétiser la lutte contre tous les blocs militaires et leur dissolution.» 

Noé Brandt    Marie Crittin