« Locataires et habitants, prenez votre sort en main ! »

Dans l’agglomération lausannoise, nombreuses sont les luttes de locataires et habitants qui protestent contre la dégradation de leur cadre de vie, la hausse des loyers et les expulsions. Pourtant, elles demeurent souvent dispersées et isolées. Un ouvrage qui vient de paraître – rédigé par un collectif d’auteur·e·s, dont certains sont directement engagés dans ces mobilisations – offre un tour d’horizon des luttes en cours, tout en proposant un ensemble cohérent de revendications qui puisse fédérer celles et ceux qui cherchent une réponse sociale à la crise du logement.

Qu’y a-t-il de commun entre la résiliation de 50 baux d’appartement dans un bâtiment historique à Druey (quartier de la Pontaise), la construction d’une tour de dix-neuf étages à Bussigny ou des projets de densification par rehaussement d’immeubles dans les quartiers des Bergières et de Montelly ? A chaque fois, ces opérations sont portées par des investisseurs dont l’unique objectif est d’accroître la rentabilité des terrains et immeubles en leur possession. A chaque fois aussi, ces projets menacent les habitants de quartiers populaires qui sont confrontés à des hausses draconiennes de loyer, voire à une expulsion en vue d’une relocation à un prix beaucoup plus élevé.

L’ouvrage analyse en détail les étapes de ces mobilisations et leurs modalités juridiques et politiques. Même si leur issue demeure indécise, elles sont exemplaires parce que la pénurie favorise trop souvent la passivité de locataires qui ont peur de perdre leur logement s’ils protestent contre le diktat des bailleurs. Ces derniers exploitent sans scrupule ce rapport de forces. A Druey, les locataires, parmi lesquels de nombreuses familles et personnes âgées, occuperaient à eux seuls la moitié des logements vacants à Lausanne, dont les loyers sont largement au-dessus de ceux qu’ils paient aujourd’hui ; cette situation n’a pas empêché le propriétaire de résilier l’ensemble des baux concernés. Aux Bergières, l’assureur Swiss Life, qui a concocté un projet de rehaussement d’immeuble en négociant directement avec la Municipalité dans le dos des habitants, a essayé d’interdire par voie d’affichage toute réunion des locataires dans l’immeuble.

Les promoteurs n’hésitent pas non plus à invoquer le « développement durable » et à stigmatiser l’« égoïsme » des habitants pour justifier des projets de densification. L’ouvrage déconstruit ces arguments, montrant que les locataires ont toutes les raisons de se mobiliser contre ces projets qui offrent souvent un prétexte pour expulser les locataires, afin de relouer beaucoup plus cher : « si la densification du tissu urbain suisse est nécessaire en tant que telle pour des raisons écologiques et paysagères, nous refusons qu’elle se traduise par une dégradation de la qualité de vie en ville et par la destruction de logements à loyers raisonnables au profit de logements trop chers. »

Perspectives

Malgré les obstacles auxquels doivent faire face les habitants, l’ouvrage montre que la mobilisation collective contraint les investisseurs à reculer et à négocier. Forts de ce constat, les auteurs appellent à étendre les mobilisations et à les coordonner à plus large échelle.

Pour fédérer ces luttes éparses, ils articulent un ensemble de revendications qui obligeraient les autorités à mettre en œuvre une politique du logement digne de ce nom, pour surmonter la pénurie et satisfaire les besoins des locataires. Constatant les hausses draconiennes de loyer ces dernières années, le livre en appelle à l’instauration d’un contrôle public sur les prix du sol et du logement; une solution plus crédible que le système actuel d’aides individuelles au logement, largement insuffisantes et qui représente en dernière instance une subvention aux propriétaires.

Soulignant que les promoteurs, focalisés sur la rentabilité immédiate, destinent la plupart des nouveaux logements à la vente, les auteurs estiment que les mesures prises pour protéger les producteurs de lait devraient être appliquées pour défendre les locataires : autrement dit, ils en appellent à un contingentement de la mise en vente de nouveaux biens immobiliers. En outre, afin que les collectivités publiques puissent reprendre la main sur la construction de logements, ils expliquent pourquoi un droit de préemption – refusé par la majorité de droite du Grand Conseil vaudois – serait insuffisant : même si ce droit donnait la priorité aux collectivités publiques pour acheter un terrain mis en vente, celui-ci n’en demeurerait pas moins hors de prix. Dès lors, il faut « instaurer un droit d’expropriation du sol pour la construction de logements d’utilité publique à des prix du sol qui permettent la réalisation de logements dont les loyers, sont […] à la portée d’une large majorité des ménages.» 

Hadrien Buclin, paru dans le nº 240 du bimensuel solidaritéS

Jean-Michel Dolivo, Andrea Egli, Anne-Gabrielle Frund, Catherine Mathez, Urs Zuppinger, Crise du logement. Locataires et habitants, prenez votre sort en main !, Lausanne, Ed. D’en bas, 2013.