Stop à la pénurie de logements !

Chauderon et l'avenue d'Echallens

A l’initiative de différents mouvements, des Assises du logement se sont déroulées samedi 6 juin à Lausanne. A cette occasion, notre rédaction s’est entretenue avec l’un de ses principaux organisateurs, Urs Zuppinger, urbaniste et militant du Mouvement pour le socialisme.

Quelle est la situation du logement dans le canton de Vaud?

Il y a actuellement dans le canton de Vaud comme ailleurs en Suisse, notamment sur l’arc lémanique, une crise du logement très forte. Une crise qui touche en grande partie tou·te·s celles et ceux qui ont des revenus bas ou moyen. Ces derniers font face à une pénurie des logements à loyers abordables. En effet depuis plus de dix ans, les loyers des logements offerts sur le marché immobilier augmentent massivement dans notre canton, bien davantage encore que dans les autres régions suisses. Les petits revenus se retrouvent souvent dans l’obligation de consacrer plus d’un tiers de leur budget pour se loger. De plus, la promotion immobilière donne très clairement la préférence aux logements en PPE (propriété par étages) par rapport aux logements à louer. 

L’initiative de l’ASLOCA «Stop à la pénurie de logements» est-elle une réponse adéquate?

Cette initiative pose le problème à mon avis de façon totalement correcte. Elle part duconstat que les mécanismes de marché ne permettent pas de régler la question du logement des ménages populaires et en tire la conclusion qui s’impose : il faut obliger les communes et le Canton à s’en charger. Pour y arriver, elle demande aux communes et au Canton de consacrer annuellement une contribution identique pour la réalisation de logement à loyer modéré. Dans un premier temps, elle sera fixée à 20 francs par habitant ; cet effort devrait permettre de mettre sur le marché environ 300 nouveaux logements supplémentaires à loyer abordable par an, diminuant ainsi en quelques années la pénurie de logements. Ces montants, inscrits au budget cantonal, seront gérés par la Société vaudoise pour la construction de logements à loyer modéré (SVLM). Les communes pourront ainsi investir dans la construction de logements à loyer modéré, soit elles-mêmes directement, soit en collaborant avec d’autres, soit en versant les montants prévus par la loi à la SVLM. L’initiative demande également que les terrains nécessaires à la réalisation de ces logements puissent être acquis, en dernier recours, par voie d’expropriation, pour autant qu’elles ne disposent pas d’elles-mêmes de terrains constructibles et que le propriétaire de terrains ne construise pas lui-même dans un délai de 5 ans à partir du moment où ces terrains sont dans une zone constructible. De mon point de vue, ces propositions sont tout à fait raisonnables. Il est aujourd’hui légal et légitime d’exproprier des terrains pour la construction de routes, mais pas pour le logement alors que c’est un bien de première nécessité. Cette initiative est bien entendu un affront pour les milieux immobiliers et également une manière de mettre au pilori les communes qui, à quelques exceptions près, n’ont rien fait jusqu’à présent.

Que propose le contre-projet du Conseil d’État vaudois

Le Conseil d’Etat propose un contre-projet direct qui propose notamment d’accorder aux collectivités publiques qui veulent promouvoir la construction de logements à loyers modérés un droit d’emption et un droit de préemption. Sans entrer dans des détails techniques, disons qu’il s’agit d’outils juridiques qui permettent aux collectivités publiques d’intervenir au niveau des transactions entre propriétaires fonciers pour se procurer des terrains à bâtir. Ces propositions posent avant tout deux problèmes : a) elles font appel à la bonne volonté d’acteurs qui n’ont rien fait jusqu’à présent ; b) elles suscitent l’ire des milieux immobiliers qui jouissent, comme tout le monde le sait, d’un très grand poids dans ce canton en général et au sein du Grand Conseil en particulier. 

Compte tenu du premier problème, les locataires ne doivent s’attendre à aucune amélioration sur le plan de l’offre de logements à loyers modérés, en cas d’acceptation du contre-projet du Conseil d’Etat.

Le deuxième problème a amené le Conseil d’Etat à entrer en matière sur une demande pour laquelle les milieux immobiliers de ce canton se sont battus depuis des années. Son contre-projet à l’initiative de l’ASLOCA comporte en effet, en plus, l’abolition de deux lois en vigueur. D’une part la LDTR1 qui protège les locataires en cas de démolition, de transformation et de rénovation d’immeubles et d’autre part la LAAL2 qui joue un rôle semblable face à des projets de transformation de logements à louer en appartements-vente ; ces deux textes seraient remplacés par une nouvelle loi sur la préservation du parc locatif ou LPPL qui prévoit d’assouplir les protections en vigueur dans certaines conditions. 

Bref, le contre-projet du Conseil d’Etat détourne le débat du problème posé par l’initiative de l’ASLOCA et lui oppose des réponses qui risquent fort d’être soit sans effet, soit préjudiciables aux intérêts des locataires. 

Le débat en plénière du Grand Conseil sur l’initiative de l’ASLOCA et le contre-projet du Conseil d’Etat aura lieu en septembre. L’ASLOCA Vaud a annoncé qu’elle se déterminerait sur un éventuel retrait de son initiative à l’issue de ce débat. 

A mon avis, le retrait de l’initiative serait un désastre, car elle seule propose une solution à un des aspects centraux de la crise actuelle du logement. De plus, j’estime que sur une question de cette importance, il est impératif que la décision soit prise lors d’une votation populaire.

 

 

Propos recueillis par Jorge Lemos