Retour sur le premier forum autour de la précarité à Lausanne

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« Mon frigo est vide, mon compte bancaire aussi. Vers qui puis-je m’adresser ?  », « Sans logement, je n’ai nulle par où déposer ma valise. Que faire ? », « Ma salle de bain est inutilisable, la gérance ne fait rien et je ne veux pas me faire remarquer. Où puis-je me doucher et faire une lessive ? ». Voici quelques questions, posées par les organisateurs du forum lancé par la fondation Mère Sofia sur la précarité à Lausanne. Ces mises en situations que vivent quotidiennement les personnes les plus démunies ont permis aux participants d’entamer une réflexion sur ces situations tragiques et les moyens d’enrayer leur développement.

 Les 1 et 2 avril  s’est tenu le premier Forum populaire sur la précarité, au théâtre 2.21. Organisées par la fondation Mère Sofia, ces deux journées de débats, de conférences, d’exposition et de partages ont permis de présenter à la population le travail effectué par les structures d’aide d’urgence à « bas seuil » à Lausanne et d’impulser une meilleure coordination entre les différentes structures et associations.

L’objectif était d’abord de réunir professionnel·le·s, bénéficiaires du réseau d’aide d’urgence, politiques, et population autour d’une même table, afin de confronter les différentes réalités vécues ou perçues et de réfléchir à d’éventuelles solutions. Par ailleurs, ce forum a eu lieu dans un contexte particulier : le 31 mars, le collectif Jean Dutoit – qui défend l’accès à un logement décent pour les migrant·e·s sans-abri – a dû quitter l’ancien hangar Heineken après l’avoir occupé durant l’hiver, leur contrat de confiance avec les TL étant arrivé à échéance. Ainsi, plus d’une centaine de personnes se sont retrouvées dans la rue sans qu’une solution de relogement n’ait été trouvée…

Augmentation 

de la demande

Selon Nicolas Chappuis, responsable du forum, l’idée fondatrice de la manifestation part du constat suivant, partagé par les professionnel·le·s du secteur : il y une augmentation massive du nombre de bénéficiaires du réseau d’aide d’urgence ces dernières années. Par exemple la Soupe Populaire, où travaille Nicolas Chappuis, offre souvent plus de 200 repas par soir en début 2016 alors qu’en 2010 la moyenne de repas distribués se situait autour de 125. Sur les 5 dernières années, le nombre de repas offerts a augmenté de plus de 20 %.

Une telle croissance s’observe également du côté de l’hébergement d’urgence, où les places manquent pour absorber la progression du nombre d’usagers·ères. Nous l’écrivions dans ces mêmes colonnes en 2013 déjà (solidaritéS nº 228, p.17) et nous n’étions pas les seul·e·s.

En effet, un rapport mandaté par le Service Social de la ville de Lausanne soulignait que durant l’hiver 2011-2012 « chaque soir, les trois structures d’hébergement d’urgence de la Ville (la Marmotte, le Sleep-In et l’Abri PC en hiver) refusent en moyenne au total environ 30 personnes, qui n’ont pas d’autre choix que de dormir dehors ou dans un abri de fortune.». Une des recommandations de ce rapport était l’ouverture d’un nouveau lieu… que l’on attend toujours. Mise à part la construction de 62 logements temporaires au Près-de-Vidy, destinés à être loués pour une courte durée aux usagers·ères du service social de Lausanne, le développement de l’hébergement d’urgence ne semble pas à l’agenda politique de la Municipalité lausannoise.

De plus, l’engorgement quantitatif des structures n’est que l’un des multiples symptômes de la situation des bénéficiaires des structures à bas seuil qui, comme le dit Bérénice Mercier, responsable de la Soupe Populaire « sont de plus en plus complexes et [dont] les espoirs d’une ‹ sortie par le haut › sont très faibles. Et ceci en particulier, pour les personnes sans statut légal, ou en procédure d’asile.» (sur le site du forum : le-brunch.org).

Manque de ressources et moyens limités

Les tables rondes ont pu mettre le doigt sur d’autres préoccupations avancées par les usagers·ères et les professionnel·le·s du réseau. Pour beaucoup, la participation « symbolique » pour l’usage des structures – comme les 5 francs demandés pour une nuit en hébergement d’urgence – constitue une lourde charge financière. Une grande partie des usagers·ères n’ayant aucun revenu, ils·elles se voient forcés de mendier dans la rue.

De plus, ils·elles mettent également en avant l’absence de repas chaud à midi. Ainsi L’Espace, lieu d’accueil de jour de la commune, distribue des repas froids à midi, faute d’infrastructures et de ressources suffisantes. Eliane Belser, responsable de l’aide d’urgence au service social de la ville, a soulevé lors des discussions que L’Espace emploie uniquement 5,5 équivalents temps pleins, ce qui se révèle insuffisant pour répondre aux besoins des bénéficiaires. De plus, le lieu n’est ouvert que 5 jours sur 7, alors que les personnes sans domicile fixe sont dans la rue tous les jours !

La lutte contre la précarité est complexe et dépasse les frontières d’une ville. Cela implique, par exemple, une forte résistance contre le rouleau compresseur néolibéral, contre l’austérité, lequel pousse de plus en plus de gens dans la pauvreté. En ville de Lausanne et ailleurs, il est également très important de s’opposer clairement à l’interdiction de la mendicité, laquelle ne fait que criminaliser la pauvreté sans la résoudre. Pour finir, dans le contexte dépeint par ce forum, des mesures immédiates peuvent et doivent être prises par une Municipalité à majorité rose-rouge-vert. Les budgets alloués à l’aide d’urgence doivent être augmentés afin de permettre, entre autre, l’ouverture rapide de nouvelles places d’hébergement.

Julien Nagel