COP27

Écoblanchiment d’un régime autoritaire

La 27e Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP27), se tient dans la station balnéaire égyptienne de Charm el-Sheikh jusqu’au 18 novembre. Les appels pour dénoncer l’organisation de cet évènement en Égypte n’ont cessé de s’amplifier.    

Deux manifestantes portent des pancartes pour la libération d'Alaa Abd El-Fattah
L’une des figures de la révolution de 2011, Alaa Abd El-Fattah est emprisonné en Égypte. En grève de la faim depuis 200 jours, il a cessé de boire. Manifestation pour qu’il soit libéré à l’occasion de la venue de Rishi Sunak à la COP 27, Londres, 6 novembre 2022.

 Les précédents sommets de la COP ont été critiqués pour leur incapacité à représenter des espaces de collaboration potentielle entre le « Sud global » et le « Nord global » en vue de préparer une transition énergétique et faire avancer une alternative écologique progressiste. 

L’ordre du jour de ces conférences est toujours établi par les principales puissances mondiales et des sociétés multinationales opposées à tout changement durable et radical. Ainsi, le principal sponsor de la COP 27 est Coca-Cola, soit le plus grand pollueur plastique au monde selon l’ONG Greenpeace. Le Caire a également conclu un accord avec la société de relations publiques américaine Hill+Knowlton Strategies, pour aider l’État égyptien à gérer la communication de la COP 27. Cette société a déjà été accusée d’écoblanchiment de célèbres multinationales pétrolières comme ExxonMobil, Shell ou Saudi Aramco.

Sans oublier que le régime égyptien a continué de développer l’industrie des combustibles fossiles. L’Égypte est responsable de plus d’un tiers de la consommation totale de gaz en Afrique. C’est le deuxième producteur de gaz du continent, et rien n’indique que cela va ralentir. Au cours des sept dernières années, le gouvernement égyptien a accéléré l’exploitation des gisements de combustibles fossiles récemment découverts. Les entreprises européennes ont investi des milliards de dollars dans l’industrie énergétique égyptienne. En plus de la volonté d’accumuler des profits pour les entreprises européennes, cette production devient vitale pour les capitales européennes à la recherche d’alternatives au gaz russe. 

Le dernier rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement pointe clairement l’inaction des gouvernements face à la crise climatique mondiale, et ajoute que «la plupart des acteurs financiers ont fait preuve d’une action limitée en matière d’atténuation du changement climatique en raison d’intérêts à court terme et d’objectifs contradictoires, et parce que les risques climatiques ne sont pas suffisamment reconnus». En d’autres termes, la stabilisation du climat de la planète et le bien-être de milliards de personnes sont sacrifiés sur l’autel du profit capitaliste. 

État policier et pollueur

L’organisation de la COP 27 en Égypte est également largement critiquée comme une forme de greenwashing du régime autoritaire et despotique dirigé par Abdel Fattah al-Sissi. Comme l’écrivait Naomi Klein en octobre 2022, le sommet égyptien «va bien au-delà de l’écoblanchiment d’un État pollueur ; c’est l’écoblanchiment d’un État policier».

La militante pour le climat Greta Thunberg a de son côté dénoncé la tenue de la COP 27 dans «un paradis touristique, dans un pays qui viole les droits humains fondamentaux» et a ajouté que cet événement était une occasion pour «les personnes au pouvoir… de [faire du] greenwashing, de mentir et de tricher.»

1400 organisations, parlementaires et individus de plus de 80 pays ont signé la pétition de la Coalition pour les droits humains de la COP 27 qui exige la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement en Égypte.

L’État égyptien dirigé par al-­Sissi a perpétré une série de massacres contre des manifestant·e·s pacifiques depuis l’été 2013. Les militant·e·s, les défenseurs·euses des droits humains, les journalistes, les artistes, les membres des communautés LGBTIQ ont été la cible de campagnes répressives répétitives menées par l’État égyptien. De nombreuses personnes ont été incarcérées dans le cadre de poursuites iniques et inscrites sur une « liste de terroristes », tandis que les libertés d’expression et de réunion ont été sévèrement restreintes.   

On estime qu’il y a aujourd’hui entre 60 000 et 65 000 prisonniers·ères politiques derrière les barreaux en Égypte. Le Caire promeut une soi-disant réforme des installations pénitentiaires du pays dans le sillage d’une nouvelle « stratégie nationale pour les droits humains » lancée en septembre 2021. Des prisonniers·ères ont été transféré·e·s dans des « centres de réhabilitation » prétendument nouveaux et plus adaptés. 

Mais les conditions d’incarcération cruelles et inhumaines se poursuivent, ainsi que les violations des droits humains. Dans la prison de Badr à 70 kilomètres au nord-est du Caire, où les prisonniers·ères ont été transféré·e·s à partir de la mi-2022, Amnesty International a rapporté que les conditions de détention y étaient «horribles et comparables, voire pires, que celles qui sont régulièrement documentées dans le fameux complexe pénitentiaire [égyptien] de Tora». Il y a eu au moins un décès en détention depuis l’ouverture de la prison à la mi-2022. 

Le célèbre militant politique égyptien emprisonné Alaa Abd El-Fatah, en grève de la faim depuis sept mois, a annoncé qu’il cesserait de boire de l’eau le dimanche 6 novembre, date de l’ouverture officielle des négociations, afin de protester contre l’injustice du régime.

Des personnes sont rassemblées devant la COP27 pour exiger la libération des prisonniers politiques
Rassemblement pour la libération des détenu·e·s politiques devant la COP27, 10 novembre 2022

Intensification de mesures autoritaires

Le terrible bilan humain du régime égyptien n’a pas empêché Le Caire d’entretenir des relations cordiales avec les États occidentaux avec lesquels d’importants contrats d’armement ont été signés.

Le régime coopère étroitement avec les États occidentaux sur des dossiers tels que la soi-disant «guerre contre le terrorisme» et les mesures de lutte contre «l’immigration illégale». Comme toujours, les accords commerciaux lucratifs et la promesse d’éloigner les migrant·e·s africain·e·s s des côtes européennes comptent bien plus que les droits humains.

Les mesures et pratiques autoritaires et répressives se sont intensifiées à l’approche du sommet. La police et les forces de sécurité égyptiennes ont amplifié leur répression à l’encontre des militant·e·s et des individus qui appellent à manifester durant la Conférence. Les interrogatoires préventifs, les appels téléphoniques menaçants et la fermeture des cafés se sont multipliés dans tout le pays. 

Le 30 octobre, les autorités égyptiennes ont arrêté le militant indien pour le climat Ajit Rajagopal, qui avait décidé de se rendre à pied de la capitale égyptienne à Sharm al-Sheikh, dans le cadre de la campagne mondiale March For Our Planet visant à sensibiliser à la crise climatique. Il a été libéré le lendemain.

Un groupe local de défense des droits humains a indiqué qu’au moins 67 personnes avaient été arrêtées par les autorités du Caire et d’autres villes depuis fin octobre pour afin d’étouffer toute tentative de manifestation. 

La ville de Charm el-Cheikh est presque entièrement constituée d’hôtels et de centres de villégiature destinés principalement aux élites aisées du pays, aux classes moyennes supérieures et aux touristes. Ces dernières semaines, le harcèlement des civils circulant sur les deux routes qui mènent à la ville et l’expulsion des résident·e·s dépourvu·e·s de pièces d’identité se sont multipliés.

«L’écologie sans la lutte des classes, c’est du jardinage»

Le leader syndical brésilien Chico Mendes, assassiné en 1988 pour ses luttes en faveur des droits des seringueiros (les travailleurs qui récoltaient le latex dans les plantations de caoutchouc de l’Amazonie et de la forêt amazonienne), avait une phrase célèbre : «L’écologie sans la lutte des classes, c’est du jardinage» Dans le cadre de la COP 27 en Égypte, c’est plus grave encore. S’y ajoute le blanchiment d’un régime autoritaire et sanguinaire allié aux États occidentaux.

Joseph Daher

Voir aussi l’édito du numéro par Claude Calame