Entre panne et pression, le personnel de la CGN en première ligne
En deux décennies, la Compagnie générale de navigation sur le lac Léman a connu une profonde transformation de son activité. Dans ce contexte, les difficultés techniques s’accumulent tandis que les conditions de travail des salarié·es se dégradent. Entretien avec Lionel Simonin, président de la section CGN du Syndicat du personnel des transports.

Ces dernières semaines, les médias ont relaté les difficultés techniques de la CGN, en évoquant un plan de sauvetage de la compagnie. Peux-tu nous résumer la situation?
Il est vrai que nous sommes dans une situation compliquée au niveau de l’état de notre flotte, notamment les bateaux à vapeur qui sont victimes de multiples pannes. Il s’agit de bateaux centenaires, des unités classées au patrimoine historique, et nous devons faire très attention à ne pas les surexploiter. Nous avons également des difficultés concernant la mise en service de nos nouveaux bateaux qui nécessite plus de temps qu’attendu.
Toutefois, le plan de «sauvetage» relayé par les médias n’en est pas un. Il s’agit d’une interprétation erronée. C’est en réalité un plan stratégique d’investissements prévu sur une quinzaine d’années dont l’élaboration a débuté en 2022 bien avant la situation actuelle. Ces investissements sont axés sur trois domaines: l’achat de nouveaux bateaux pour un renouvellement de la flotte, la rénovation et l’entretien de la flotte historique Belle Époque, ainsi que la transformation des infrastructures du chantier naval qui ne sont plus adaptées aux missions actuelles de la Compagnie.
Dans quelles transformations plus globales de l’activité de la CGN ces difficultés s’inscrivent elles?
Nous étions, il y a encore une vingtaine d’années, une entreprise de transport touristique qui faisait un peu de transport public frontalier. Nous sommes aujourd’hui dans la situation inverse. Cela implique un changement de philosophie en premier lieu, mais cela a un impact direct sur l’ensemble de la vie de la Compagnie.
Quelles sont les répercussions sur les conditions de travail des salarié·es?
D’une manière générale, les horaires pour le transport frontalier (très tôt le matin et tard le soir) ne sont pas les mêmes que pour le touristique (en journée). En-dehors de la saison touristique (d’avril à octobre), il y a 20 ans, nous étions huit par jour à naviguer, sur la seule ligne existant à l’année à l’époque – Lausanne-Evian. Nous sommes aujourd’hui plus de 50 par jour, toute l’année, sur trois lignes (Lausanne-Evian, Lausanne-Thonon et Nyon-Yvoire), et bientôt quatre. Avant, en plus de notre travail en navigation, nous étions dans l’immense majorité affecté·es au chantier naval d’octobre à avril et nous travaillions alors avec des horaires réguliers, en journée, du lundi au vendredi avec congé les weekends: nous reprenions alors nos heures supplémentaires de l’été et une vie normale. Aujourd’hui, une bonne partie des dernières personnes engagées n’ont qu’une fonction: la navigation. Cela veut dire que ces personnes ont des horaires irréguliers à l’année, ce qui a un impact important sur la santé et l’organisation de la vie privée.
Plus spécifiquement, dans la situation actuelle les difficultés principales résident dans l’incertitude liée aux pannes, dans les changements d’horaires et de planification de dernière minute; ce qui a des conséquences dans les relations avec le public.
Le personnel de la CGN étant plutôt bien syndiqué, quelles stratégies sont mises en œuvre pour protéger ses intérêts?
Nous avons effectivement un très bon taux de syndicalisation, environ 80% sur l’ensemble des employé·es, ce qui nous permet d’avoir un rapport de force globalement favorable et une excellente CCT. Ensuite, nous sommes organisé·es par groupements (par corps de métier) avec chacun son comité en plus du comité de section et nous avons de nombreuses commissions régulières. Nous suivons de près les différentes situations, individuelles et collectives, et sommes en contacts fréquents avec la Direction de la Compagnie. Nous sommes également capables de nous mobiliser rapidement et en nombre en cas de besoin.
Des convergences sont-elles opérées avec les travailleurs et les travailleuses d’autres compagnies lacustres du pays?
Nous avons quelques contacts avec ce qu’il se passe ailleurs, par la voix de nos secrétaires syndicaux du SEV, qui servent de relais entre les différentes compagnies. Nous nous retrouvons une journée par année à Lucerne avec les comités de section des autres compagnies de navigation suisses, afin d’échanger sur nos différentes situations. En-dehors de ça, il faut reconnaître qu’il n’est pas évident de faire converger les luttes de manière resserrée. Avec une telle charge de travail, il est parfois difficile de trouver le temps et l’énergie pour s’investir encore à l’externe.
Propos recueillis par Antoine Dubiau