Résolution écosocialiste

Cette résolution a été adoptée par le Congrès de solidaritéS des 8—9 décembre 2018

Sommaire

  1. Pourquoi l’écosocialisme? ↓
  2. Une question de survie pour l’humanité et son environnement ↓
  3. La responsabilité des activités économiques: de l’anthropocène au capitalocène ↓
  4. La crise écologique et l’impasse capitaliste ↓
  5. Échecs réformistes et recherche de solutions ↓
  6. Un programme écosocialiste est indispensable ↓
  7. La situation en Suisse ↓
  8. Revendications concrètes ↓

I Pourquoi l’écosocialisme ?

Face à la destruction de l’environnement provoqué par le mode de production et de consommation capitaliste, le projet d’une société écosocialiste allie écologie et socialisme. Il offre une manière alternative de concevoir et d’organiser les relations entre les humains et un environnement que l’on a constitué en « nature ». 

Premièrement, l’écosocialisme est critique à l’égard de l’écologie de marché (le capitalisme vert) car elle reproduit les inégalités sociales et écologiques. Deuxièmement, il se distancie d’une économie prétendument « socialiste » qui se base sur un productivisme singeant le capitalisme et niant comme lui l’existence des limites biophysiques de la planète.

L’écosocialisme vise par contre une société qui rompt avec le capitalisme, c’est-à-dire écologique, socialiste et démocratique : elle prône la gestion et le contrôle collectifs des ressources « naturelles », des biens communs, des moyens de production en combinaison avec la transformation radicale des rapports sociaux (notamment de genre, de race et de classe) dans les sphères de la production, la distribution, l’échange et la consommation. 

Reste dès lors à déterminer ce que nous voulons et devons produire sur notre planète, comment le produire, dans quels buts, pour qui, et par quelles procédures de décisions.

II Une question de survie POUR l’humanité et son environnement

La destruction de l’environnement, un bien commun, signifie la destruction de l’humanité. Nous ne pouvons dissocier les multiples dimensions de la très profonde crise systémique à laquelle nous faisons face : économique, politique, sociale, alimentaire et écologique. La crise actuelle est notamment déterminée par la consommation et par l’épuisement, absolu ou relatif, d’un certain nombre de ressources tirées de notre milieu de vie, énergies fossiles et autres matières premières, victimes d’un extractivisme exacerbé ; fondé sur la propriété privée des moyens de production, il est animé par un productivisme obéissant lui-même à la seule règle capitaliste de la maximisation des profits, au bénéfice des individus et des pays plus riches. Alors que nous avons les moyens de produire des aliments pour nourrir l’ensemble de l’humanité de manière écologique, près d’un milliard d’êtres humains souffrent de faim et de malnutrition 

L’agriculture intensive à coup d’engrais et de pesticides, l’industrie de la viande et l’industrie laitière, la production d’OGM qui asservissent les petits paysans aux multinationales qui en détiennent les brevets, la production de soja pour nourrir des animaux destinés à la consommation dans les pays les plus riches, la spéculation financière dans le trading des denrées alimentaires obéissent à la même logique productiviste et par conséquent destructrice – au détriment d’une agriculture vivrière indépendante, une agriculture de proximité susceptible de surmonter des crises alimentaires récurrentes.

La crise actuelle se traduit par le changement climatique, la perturbation des équilibres dynamiques de la biosphère, la dégradation des écosystèmes, l’appauvrissement de la biodiversité, l’épuisement des ressources non renouvelables, la pénurie d’eau potable, l’acidification des océans, ou encore l’appauvrissement des sols. Le cycle naturel de l’eau est bouleversé, de même que d’autres cycles biogéochimiques essentiels (oxygène, hydrogène, carbone, azote, etc.) ; les régulations des principales composantes de notre environnement terrestre (océans, biosphère) ne sont plus assurées. En raison de la montée du niveau des océans par la fonte des calottes glaciaires et la dilatation des océans, de lourdes menaces pèsent sur les zones côtières où vivent des populations très concentrées, souvent dans des conditions précaires et principalement dans le Sud. Une autre menace sérieuse et accrue est celle de la présence et de la combinaison incommensurable de dizaines de milliers de molécules de chimie de synthèse dans notre environnement proche : habitat, ameublement, vêtements, alimentation… Par ses conséquences et sa dynamique, le dérèglement climatique est certainement la menace la plus pressante pour l’humanité (par exemple en impliquant une élévation du niveau des mers pouvant se situer entre 6 et 13 mètres).

Remettre en cause la surexploitation de notre écosystème implique une décroissance du recours aux ressources « naturelles », sans laquelle la survie de l’humanité est en question. En un demi-siècle, un tiers des surfaces forestières de la planète a disparu non seulement en raison de l’absence d’alternative énergétique pour les populations rurales, mais surtout par la destruction systématique de la forêt primaire pour l’exploitation minière ou pour l’agriculture intensive. Cela en vue de la production de céréales destinées à l’élevage du bétail, à la production laitière ou à celle d’huile de palme ainsi qu’à la fabrication d’agrocarburants. Cette déforestation généralisée ne fait qu’aggraver l’appauvrissement des sols et l’effet de serre. 

Les sociétés soumises au modèle imposé par le capital pour une économie fondée sur une croissance évaluée en termes de profit purement financier ont une véritable addiction aux hydrocarbures. Ceci contribue à l’accroissement de la teneur en CO₂ de l’air que nous respirons, avec des conséquences sur l’effet de serre et sur l’augmentation désormais drastique des températures. De plus, sans compter la question des déchets nucléaires, la dissémination des déchets liés à l’utilisation croissante des produits dérivés du pétrole a connu un saut quantitatif et qualitatif ces dernières décennies, comme en témoigne la naissance du nouveau continent de plastique dans l’océan Pacifique, dont le niveau est monté avec les autres mers de 20 cm durant le XXe siècle. 

III La responsabilité des activités économiques : de l’anthropocène au capitalocène 

Loin d’être « naturelle », la crise systémique profonde que nous vivons est largement attribuable aux activités humaines. Succédant à l’holocène, l’ère dans laquelle nous vivons a pu être caractérisée comme anthropocène, en tant que nouvel âge géologique de la Terre. Plus largement, on peut désigner ainsi l’âge où les activités humaines ont un impact déterminant sur le système terrestre, et plus généralement sur l’ensemble de l’écosystème auquel l’humanité doit sa vie et sa survie. 

Quel qu’en soit le début, cette ère écologique nouvelle a été marquée par deux périodes charnières. La première se situe entre le XVe et la fin du XVIIIe siècle. Tout en engendrant près de 50 millions de décès entre 1492 et 1650, notamment en raison des guerres de domination coloniale, des maladies transmises par les Européens, des famines engendrées par l’intervention de ces mêmes Européens, de la traite et de l’esclavage des Noirs africains, de la colonisation économique des Amériques, puis des Indes et finalement de l’Afrique a aussi contribué à une première mondialisation des échanges, notamment ceux qui concernent les denrées alimentaires. La création d’un premier marché mondial sous le contrôle et au seul profit des pays colonisateurs a provoqué une réorganisation radicale de la vie sur terre, en particulier par un mélange d’organismes vivants qui étaient jusqu’alors séparés et surtout par la diffusion de l’idéologie européenne de la suprématie de la culture blanche et de l’enrichissement matériel. En concomitance avec une objectivation de l’environnement en une « nature » dont on peut exploiter les « ressources », le colonialisme a favorisé la révolution industrielle dont les incontestables acquis ont été rapidement soumis à la nécessité de l’accumulation du capital ; par le marché, par la subordination de la valeur d’usage à la seule valeur d’échange, par la confiscation constante du travail et de son produit au bénéfice du capital, la production industrielle et l’économie ont été soumises à la règle impérative du profit financier.

Le capital s’étant approprié les bénéfices matériels et sociaux de l’industrialisation, la deuxième période charnière commence au milieu du XXe siècle ; sous l’effet des accords de Bretton Woods et de la domination de l’économie libérale et du capitalisme états-uniens à l’issue du désastre meurtrier de la seconde guerre mondiale, on assiste à une accélération de l’activité économique. Ce productivisme acharné doit répondre à une consommation sans cesse sollicitée par une publicité agressive, désormais placée sous le signe de l’innovation et de l’obsolescence programmée. Ainsi, les deux périodes charnières de ce que l’on décrit comme l’avènement de l’anthropocène correspondent respectivement au début du système capitaliste, favorisé par l’industrialisation, et à son développement mondialisé depuis la deuxième guerre mondiale jusqu’à nos jours. 

Ce n’est pas une pure coïncidence. Dès sa naissance, le système capitaliste a utilisé à la fois la nature humaine et la nature environnementale comme des ressources à exploiter sans limites. La conséquence en est des atteintes à la santé des travailleuses et travailleurs par la pollution de l’air (les décès en découlant sont estimés à plus de 7 millions par an selon l’Organisation mondiale de la santé), de l’eau et des sols ou encore l’usage de produits toxiques. La radioactivité en est un autre exemple. En fait, le développement de l’arme nucléaire a entraîné l’utilisation civile de cette énergie avec tous les risque qui y sont liés. 

En ce qui concerne les émissions de gaz à effets de serre, elles résultent en particulier d’activités basées sur la combustion des énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon…) dans différents secteurs (production d’énergie, industrie, transports, exploitation des bâtiments, traitement des déchets…), des changements d’occupation des sols (déforestation, agriculture intensive avec ses engrais chimiques et ses pesticides…), et de l’utilisation de systèmes utilisant des gaz fluorés (réfrigération, propulseurs d’aérosols…). Toutes ces formes d’exploitation ont comme conséquence l’épuisement de l’environnement tout comme celui de l’être humain.

Contrairement à ce que peut suggérer le terme anthropocène, ce n’est pas l’humanité toute entière qui est responsable des bouleversements écologiques auxquels nous assistons. Mais la responsabilité de la crise systémique revient aux détenteurs du capital et aux pouvoirs politiques qui sont à leur service. Dans ce sens, l’ère contemporaine mérite aussi le nom de capitalocène. L’accumulation du capital est fondée sur l’appropriationd’un environnement objectivé en « nature », et d’une humanité conçue en termes de force de travail et par conséquent de forces productives : « ressources naturelles » d’un côté, « ressources humaines » de l’autre, pour le profit capitaliste. Devant répondre aux impératifs de la croissance économique et financière, la production économique est entièrement soumise aux sacro-saintes règles du capital : concurrence, compétitivité, rentabilité (financière), maximisation des profits. Le dépassement du système capitaliste est donc nécessaire pour s’attaquer aux causes profondes de la crise actuelle, même s’il n’est pas suffisant, à lui seul, pour résoudre tous les problèmes. La capacité du système capitaliste à légitimer les intérêts qu’il défend par des institutions proclamant des idéaux universels comme la liberté ne peut être sous–estimée.

Les atteintes à l’environnement mettent en danger l’ensemble de l’humanité ; mais leurs responsabilités sont différenciées.

Historiquement, ces transformations écologiques majeures découlent d’un côté de l’arrivée des colonisateurs européens et de l’autre côté d’un mode de production et de consommation introduit, diffusé et contrôlé principalement par des pays du Nord aux dépends des pays du Sud. Par l’intermédiaire d’une mondialisation néo-coloniale purement économiste et financière, la logique productiviste et consumériste du capital est à la base du processus de marchandisation de la planète et de sa soumission à la spéculation financière. Il en va ainsi des biens communs fondamentaux : ressources alimentaires, patrimoine génétique, biodiversité dans les zones urbaines comme dans le monde rural, avec une domination néo-coloniale des pays du Nord sur ceux du Sud, au détriment du cadre de vie et des conditions de survie de milliards d’êtres humains, avec leur environnement écologique, social et culturel. Dans le cas des émissions à effet de serre, il est par exemple nécessaire de tenir compte de la « dette écologique », accumulée par les pays industrialisés du Nord par rapport au reste du monde. 

Dans le cadre de la mondialisation, certains pays ont réussi régionalement (voir mondialement pour le cas de la Chine) à monter en puissance, économiquement et politiquement, venant bousculer la domination impérialiste traditionnelle. Ces pays, que les milieux financiers ont appelés les BRICS (acronyme en anglais pour le Brésil, l’Inde, la Chine, et l’Afrique du Sud), d’autres les pays émergents, mènent à leur tour des politiques prédatrices, comme le montre l’achat de terres africaines par la Chine. Rappelons aussi qu’en 2017, les deux pays ayant émis le plus de gaz à effet de serre sont respectivement la Chine et l’Inde, en particulier à cause de leur recours au charbon. Toutefois, l’ensemble des pays dominés n’a pas suivi ce parcours. Des relations néocoloniales classiques subsistent (voir la livraison systématiquement du fioul lourd et toxique inutilisable en Europe aux pays africains). Et les 250 millions de réfugiés climatiques prévu par l’ONU en 2050 se recruteront très majoritairement parmi les pays africains subsahariens, ceux d’Asie du Sud-Est et ceux de la zone Pacifique.

Les conséquences aussi sont distribuées de manière inégale. Les victimes de la destruction de l’environnement forment des catégories sociales aux intérêts divergents et aux formes de résistance variables. De fait, les principales victimes des dégâts environnementaux se trouvent dans les pays du Sud. En témoigne notamment l’exode rural qui a pour conséquences le développement d’énormes conurbations surpeuplées, axées sur un transport individuel anarchique et couvrant de ce fait des surfaces toujours plus importantes de macadam et de béton, la multiplication des bidonvilles dans une pollution mortifère et une pauvreté accentuée par le chômage de masse et les déplacements contraints de réfugié-e-s fuyant les persécutions, les guerres et les catastrophes écologiques. 

Il faut constater que les rapports de forces inégaux au niveau des responsabilités ainsi que entre les responsables et les victimes des catastrophes sociales et environnementales ne cessent de se cimenter : Grâce aux traités de « libre-échange » (tels que prônés par l’Organisation mondiale du commerce) et de « libre circulation des capitaux » (telle que promue par les institutions financières internationales) ancrés dans l’idéologie néo-libérale et justifiés par une pensée économique orthodoxe servile, le monde n’est plus qu’un grand marché néo-colonial, aux termes totalement déséquilibrés en faveur des personnes et des pays les plus riches. Ces pays assoient leur domination économique et politique dans les sommets du G6, G7, G8, ou autre G20, et par leur contrôle des instances internationales. 

Par le processus d’une mondialisation néocoloniale fondée à la fois sur l’exploitation par les multinationales du Nord des matières premières détenues par les pays du Sud et sur des investissements gigantesques asservissant la force de travail des pays les plus défavorisés pour la production des objets de consommation vendus dans les pays les plus aisés, les bénéfices d’une bonne partie de la production mondiale sont désormais aux mains de quelques oligarques et ploutocrates détenant multinationales et grandes banques. Par ailleurs, les plans d’« ajustement structurel » imposés aux pays les plus endettés par les institutions bancaires internationales nées des accords de Bretton Woods ont ouvert ces pays les plus pauvres aux investissements étrangers au détriment de l’agriculture vivrière, des institutions scolaires, des services sociaux et des services de la santé publique. 

IV La crise écologique et l’impasse capitaliste 

Conséquence des exigences du fonctionnement du système capitaliste, la crise actuelle ne peut être résolue à l’intérieur de ce système. Il y a un antagonisme fondametal entre son exigence de croissance économique et financière, et les limites des « ressources » humaines et environnementales. Son renforcement ne fait qu’accentuer les modes de l’exploitation des humains, les inégalités sociales, la désagrégation des liens communautaires de solidarité, et la destruction de l’environnement, poussant celles et ceux qui en ont les moyens à l’émigration et à la situation, précaire s’il en est, de l’exil. Cette dernière affirmation est à la base de notre position anticapitaliste et écosocialiste. A la base du système capitaliste, la production de la survaleur (profit, intérêt, rente, impôt…) entraîne la rupture métabolique que l’on a mentionnée entre l’humanité et le reste de la « nature » ainsi que l’épuisement de l’une et de l’autre. Une partie de la valeur créée par la production sert à payer les salaires des travailleurs et travailleuses ; le reste est accaparé par les capitalistes sous forme de survaleur. La partie payée aux travailleurs et travailleuses diminue sous la pression de la concurrence (« libre et non faussée ») et du dogme de la compétitivité. Il est donc dans la nature du système capitaliste d’augmenter la productivité du travail : produire plus dans un temps de travail moindre avec pour effet d’augmenter les taux de profit. 

L’obsession du profit financier et de la croissance économique aboutit à une privatisation et à une marchandisation généralisées des activités économiques, sociales et culturelles. Une autre logique est nécessaire, partant de la satisfaction des besoins sociaux et des droits humains et du respect des grands cycles naturels. Cette logique a pu être désignée sous le nom de décroissance ou d’a-croissance, notions qui ont le désavantage de ne pas dire quelles modifications des rapports sociaux de production sont nécessaires, quels secteurs devraient croître, et quels secteurs devraient décroître.

V Échecs réformistes et recherche de solutions  

Malgré les Conférences des Nations Unies sur le changement climatique et les accords qui en émanent, tels que la Convention sur le climat en 1992, le Protocole de Kyoto en 2005 ou l’Accord de Paris en 2016 (COP 21), les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter. Il faut donc constater l’échec de cette approche. Cet échec reflète la complexité des enjeux écologiques. L’approvisionnement énergétique dépend d’un entrelacs d’intérêts étatiques et privés, configuré en fonction de l’histoire du capitalisme et des sources d’énergie (pétrole, nucléaire, charbon, eau, etc.). Une situation dans laquelle une ressource se raréfie rend d’autant plus nécessaire le contrôle à son accès et à sa distribution. De là naissent la militarisation et les guerres pour le contrôle des champs pétrolifères ou celles, moins visibles, pour l’accès au minerai d’uranium, sans parler de celles autour de l’eau. La fonte de la calotte glaciaire ouvre la perspective de juteux profits grâce aux nouveaux forages pétroliers. La course aux hydrocarbures non conventionnels (sables bitumeux, gaz de schiste) s’inscrit dans le même élan. 

Si à l’issue de la COP 21, la majorité des classes dominantes ne cherche plus à nier le réchauffement climatique, elle promeut toutefois des solutions uniquement techniques. Ainsi, la politique énergétique des grandes puissances, institutions internationales et grands groupes capitalistes mise sur une transition longuement étalée, accompagnée d’un recours à la géoingénierie (capture et stockage de CO₂) sans s’opposer frontalement au recours aux énergies fossiles, sans se préoccuper de leur épuisement à terme. Nulle trace de questionnement sur les besoins énergétiques et d’usages consommateurs qui sont définis par les multinationales de l’énergie fossile et les grandes banques qui les soutiennent. Nulle trace de remise en cause des impératifs du profit. Dans le même sens, la relance du nucléaire, comme illusoire solution de rechange, constitue une menace directe pour les populations actuelles ainsi que pour les générations futures, sur lesquelles pèsera en outre la lourde hypothèque du démantèlement des centrales et de la gestion de leurs déchets. La ratification du Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires n’a fait diminuer la radioactivité que très partiellement.

Même le concept de « développement durable » a été réinterprété dans une logique principalement technique. Il devait offrir une alternative au système capitaliste. Néanmoins, dans leur grande majorité, les groupements écologistes ont cherché des réponses dans le cadre du système capitaliste, dans le respect des règles de l’économie de marché (écotaxes, marché – inefficace – des droits de polluer). Orientés par une perspective humaniste sur certains thèmes, ils ont le plus souvent cherché des alliances avec les forces dites de gauche ; ils ont toutefois suivi l’évolution droitière de la social-démocratie vers le social-libéralisme, sans parler des courants Verts libéraux, encore plus clairement tournés vers les milieux bourgeois et la recherche du profit. Le « capitalisme vert » souvent proné est une imposture, car il ne remet en question ni l’accumulation liée au marché et au profit financier, ni la propriété privée du secteur énergétique.

On notera de plus qu’après l’échec de la COP 15 (Copenhague), les grandes organisations environnementales ont abandonné peu à peu le terrain des réunions internationales de suivi pour relancer des mobilisations, hors du cadre de la diplomatie onusienne. Ce regain de visibilité et de mobilisations continue cependant à s’inscrire dans le cadre d’un capitalisme vert et « raisonnable ». Conjointement, nombre d’initiatives locales, voire individuelles (350.org, Alternatiba, village des initiatives, Notre-Dame-des-Landes, Ende Gelände, Standing Rock, etc.) se développent, témoignant à la fois d’une volonté d’agir ici et maintenant pour la justice climatique, mais aussi de la difficulté à proposer des solutions politiques d’ensemble, dans la perspective d’une politique décidément anticapitaliste, décidément écosocialiste.

Afin d’élargir les mobilisations en matière environnementale, nous devons mettre en évidence les dimensions sociales en lien avec l’écologie, comme l’ont fait les appels à la défense du climat et à la justice sociale, dans la mouvance altermondialiste. Les mobilisations paysannes au Sud ont apporté un nouvel essor aux enjeux écologiques en les liant aux revendications sociales : défendre l’accès à l’eau potable publique, lutter contre la déforestation (Coalition des Peuples de la Forêt), dénoncer les différentes pollutions provoquées par les multinationales de l’extraction des matières premières en combinaison avec différentes formes de répression, se battre contre la dégradation des sols liée à l’agro-business. La lutte du Mouvement des paysans sans terre au Brésil contre les OGM de Monsanto en est une illustration. La création et l’importance prise par Via Campesina en est une autre. Ces luttes contribuent à élargir et élever notre niveau de conscience sur le plan écologique, dans le sens d’une meilleure intégration des enjeux environnementaux et sociaux de notre mode de vie, en particulier dans le domaine de l’énorme dette écologique des pays du Nord par rapport aux pays du Sud.

Enfin, un courant de gauche des objecteurs de croissance a apporté à ces luttes une analyse critique sur la nécessité de laisser tomber l’objectif de la croissance économique et d’adopter un nouveau modèle socio-économique d’ordre écologique et socialiste. Des convergences devront être trouvées pour réaffirmer et redéfinir une économie reposant sur la satisfaction des besoins des populations, au Nord comme au Sud, à travers des processus démocratiques, dans des relations économiques et politiques paritaires et équilibrées.

VI Un programme écosocialiste est indispensable

Ainsi le capitalisme porte en lui les germes de l’épuisement et l’éventuelle destruction d’écosystème dont l’humanité fait elle-même partie. C’est donc une autre organisation dans ses dimensions sociale, économique, démocratique et écologique qui est nécessaire, une organisation qui gère les interactions constitutives entre les hommes organisés en société et leur environnement. Nous le définissons par le terme écosocialiste. Aucun projet de transformation sociale ne peut ignorer la question écologique. Inversement, aucun projet réellement écologique ne peut faire l’économie du social et du politique. Il serait présomptueux de proposer aujourd’hui un projet « tout fait » et détaillé d’un modèle écosocialiste, et de la transition vers un tel modèle. Mais il est important de dégager des lignes principales, des objectifs fondamentaux, en tenant compte des analyses qui permettent de comprendre les échecs des tentatives de construire le socialisme au siècle dernier. 

Une société écosocialiste doit : 

Partir d’une approche multidimensionnelle

Envisager les questions et les défis écologiques dans leurs interactions avec les inégalités de « nation », de classe, de genre et de race permet de mettre en évidence les effets cumulatifs de disparités discriminatoires qui se combinent de manière intersectionnelle.

Être totalement démocratique 

Par l’abolition de la grande propriété privée, décider collectivement des besoins auxquels doit répondre la production, de ce qui est produit, de la manière dont on le produit et de la façon dont on le distribue est fondamental pour prendre en main les grandes orientations de l’appareil de production. L’autogestion sur les lieux de travail, d’habitation et de la vie sociale doit s’opérer dans le respect de la personne de chacun et chacune, dans le respect des droits individuels et sociaux de l’être humain. Cela implique une importante autonomie au niveau local, et une centralisation démocratique qui n’étouffe pas cette autonomie. Cette double exigence a été indiscutablement absente des tentatives de construction du socialisme ; sans minimiser le poids de la puissante contre-révolution capitaliste et néo-libérale, cela explique leur échec.

Le nécessaire développement des droits démocratiques devra se combiner avec une planification de l’utilisation des ressources naturelles et du cycle de vie des produits. Aujourd’hui déjà, sous le capitalisme réellement existant, la gestion de l’eau et de l’énergie, par exemple, est par excellence le secteur où s’exerce une forme de planification. Même les transnationales recourent à une planification sur six, huit, voire dix ans. La planification telle que nous la concevons n’est donc pas synonyme de monstruosité bureaucratique ni d’immobilisme. Elle est un outil nécessaire à l’attribution démocratique des ressources.

Se construire essentiellement « par en bas » 

À l’image des mouvements sociaux regroupés sous le terme de l’écologie des pauvres, les expériences accumulées de luttes et de résistances sur le terrain doivent nourrir notre conception et définir les fondements d’un écosocialisme autogestionnaire. Les actions « par en haut » peuvent soutenir ces luttes mais doivent rester subordonnées au mouvement « par en bas », représenté par la société civile et une démocratie participative. Cela implique d’aller se saisir des connaissances, des pratiques et des techniques inventées par ces mouvements. Ainsi, nous permettrons le développement de modes de production et de consommation non seulement moins consuméristes et moins énergivores, mais surtout sur une nouvelle définition des besoins et par conséquent des critères de la production, inspirée de ces expériences de terrain réussies.

Contribuer à la démocratisation des savoirs 

Quant au développement des sciences et des techniques, les choix doivent être discutés démocratiquement, dans le respect de la liberté de la recherche et de celle des chercheuses et chercheurs. Travail de vulgarisation et débat public doivent permettre une appropriation des connaissances nécessaires à la décision, alors que travailleuses et travailleurs, actrices et acteurs des luttes concrètes, usagères et usagers feront valoir leur expérience pratique et professionnelle. Le mouvement regroupé aujourd’hui sous la bannière de la « science citoyenne » préfigure cette prise en charge sociale et démocratique des choix et des orientations scientifiques et technologiques dans une perspective écosocialiste, comme elle existe par exemple dans le partage collaboratif des connaissances illustré par Wikipedia ou dans le mouvement open source.

Développer de nouveaux objectifs économiques et sociétaux. 

Dans le contrôle démocratique des communs l’objectif économique et social premier est la satisfaction des besoins fondamentaux de chaque être humain, tout en transformant les contraintes écologiques en ressources pour développer un maximum d’activités non marchandes et non rémunérées, au sens profane du « buen vivir » latino-américain. Cela implique aussi remplacer la conception matérialiste vulgaire du « bonheur », qui réside dans une consommation individuelle addictive, par l’élimination de l’aliénation résultant d’un travail soumis aux règles du management entrepreneurial, par le lien social et la convivialité, par la maîtrise émancipée de sa propre existence dans une collectivité. Bref une vie plus heureuse et épanouissante, non seulement par une diminution très importante du temps de travail assortie d’une véritable protection des travailleuses et travailleurs, mais aussi par une nouvelle définition, une nouvelle organisation, et une nouvelle répartition du travail. 

Rétablir les équilibres environnementaux et sociaux 

Ceci implique notamment de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, de diminuer et contrôler l’utilisation de ce qui reste des ressources non renouvelables, de réduire massivement toutes les formes de pollution, de protéger le potentiel d’évolution de la biodiversité, de supprimer les agrocarburants et l’agrobusiness au profit de la souveraineté alimentaire et de l’agroécologie.

Promouvoir l’objectif onusien d’une réduction à 1,5 °C du réchauffement climatique (COP 21) 

Cela pour mener des actions en faveur d’une société post-carbone résolument anti-productiviste et pour construire des rapports de force plus favorables, en rupture avec la mondialisation économiste dominée par les pays les plus riches. Un tel objectif implique la fin du pillage des matières premières du Sud, la reconnaissance de la « dette écologique » du Nord envers le Sud, la suppression de la domination néo-coloniale du Nord sur le Sud par une économie mondialisée et financiarisée, une large redistribution internationale du travail en des termes d’égalité et de réciprocité. Dans cette mesure, l’écosocialisme ne peut être qu’écoféministe, antiraciste, anticolonialiste et internationaliste.

Faire converger les luttes sectorielles 

La lutte pour un système économique, social et écologique impliquant émancipation et justice sociale est un enjeu prioritaire de l’écosocialisme. Cela signifie que nous devons avancer dans l’élaboration d’un projet de rupture avec le capitalisme. Que ce soit sous l’angle écologique ou sous l’angle socialiste, il faut le rendre crédible, en montrant en quoi il prend en compte à la fois l’échec de ce qui s’est voulu « socialisme réellement existant » et la banqueroute écologique et sociale du système capitaliste. 

VII La situation en Suisse

En Suisse, la fonte des glaciers est probablement la conséquence la plus visible et inexorable de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. En moins de 40 ans, la surface des glaciers helvétiques s’est réduite de près de 30 % ; et le mouvement tend à s’accélérer. 

Les mesures immédiates à prendre aux niveaux national, régional et local sont nombreuses ; elles doivent répondre avec urgence aux recommandations du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) pour une réduction draconienne des émissions de gaz à effet de serre (GES). Cela implique la signature d’un traité international de lutte contre le changement climatique qui soit efficace, contraignant et socialement juste, dans l’esprit de la Déclaration du Sommet mondial de Cochabamba en 2010. L’accord de la COP 21 à Paris, qui n’a rien de contraignant, rend cette dernière perspective très théorique. Selon l’une des concessions faites à Paris, il est nécessaire de lutter pour une réduction à 1,5 °C du réchauffement climatique, selon un objectif désormais doté d’une légitimité internationale. Il faut être néanmoins conscient que la traduction, pour notre pays, de la moyenne mondiale de l’augmentation des températures implique un ajout de 2 °C. Autrement dit, un réchauffement climatique mondial de 1,5 ° entraîne une augmentation des températures de 3,5 ° en Suisse. Une telle augmentation provoquera la quasi disparition des glaciers alpins à la fin de ce siècle.

Dans cette perspective, il faut obtenir très rapidement la renonciation à l’emploi des énergies fossiles et leur remplacement par des énergies renouvelables. Bien que les autorités helvétiques aiment à se faire passer pour le meilleur élève de la classe en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, il faut rappeler ici quelques évidences : en s’engageant – de manière non contraignante – lors de la COP 21 à Paris à réduire ses émissions de GES de 50 %, par rapport à 1990, entre 2020 et 2030, la Suisse ne force pas le tempo. 30 % des réductions seulement se feront en Suisse, le reste se fera « à l’étranger », c’est-à-dire notamment par biais du marché des droits d’émissions (10 %) et des projets de reforestation (10 %). Or comme la Suisse s’était déjà engagée par le protocole de Kyoto à une diminution de 20 % (année de référence 1990) de ses émissions de GES jusqu’en 2020, cela correspond à une diminution supplémentaire de 10 % sur dix ans. Soit un rythme de réduction annuel moitié moindre (1 % au lieu de 2 %) qu’actuellement… Par ailleurs, le calcul des émissions selon le protocole de Kyoto n’intègre pas les transports aériens et maritimes. Enfin l’énergie grise, celle qui est contenue dans les produits fabriqués à l’étranger mais utilisés en Suisse, comme les téléphones dits intelligents, n’est pas comptabilisée. Elle est évaluée à 50 % de la consommation énergétique interne. 

Si l’Office fédéral de l’environnement (OFEN) professe un contentement certain de son action en jugeant que la qualité de l’air est en amélioration constante, il note toutefois que « les émissions de poussières fines inhalables (PM₁₀), d’ozone (O₃) et d’oxydes d’azote (NOX) demeurent cependant supérieures aux valeurs limites d’émission fixées dans la loi. La pollution à l’ammoniac (NH₃) reste elle aussi largement supérieure à la charge critique. » Les poussières fines sont produites par le trafic automobile, comme une bonne partie des précurseurs de l’ozone, le reste étant issus de l’industrie et de l’artisanat. Nouvelle venue sur ce terrain, la surfertilisation des sols pauvres par les composés azotés transportés par les vents : deux tiers sont issus de l’agriculture (ammoniac) et le reste de l’industrie et l’artisanat (oxydes d’azote par combustion).

Il fut un temps où l’on considérait que les cours d’eau étaient des dévaloirs à ordures mis à disposition par la « nature ». D’où de graves pollutions dans les années 70. C’est en comparaison de ces années-là que l’OFEN peut juger la qualité de l’eau actuelle comme nettement améliorée. Pourtant les effets de la chimie des micropolluants et de l’agriculture intensive (usage de nitrates) sont toujours importants. Les métaux lourds, qui régressent, sont encore présents.

Ce survol montre ainsi clairement que la réorientation rapide de l’agriculture vers une agriculture bio et la limitation sévère du trafic automobile telles que nous les défendons sont des revendications de l’heure. La dissémination incontrôlée des produits plus ou moins dérivés de la chimie industrielle appelle un contrôle démocratique de cette production.

Concernant la biodiversité, quelques exemples suffiront : le morcellement des paysages et la couverture par le béton ont nettement progressé sur le Plateau, mettant en péril la reproduction des animaux sauvages. Les émissions lumineuses (certains parlent de pollution lumineuse) sont telles qu’il n’y a plus un seul kilomètre carré totalement obscur la nuit dans le Jura et sur le Plateau. Les problèmes des espèces animales nocturnes et leurs effets sur la pollinisation n’en sont que renforcés. Et la réduction majeure de la population d’insectes constatée en Allemagne (près de 80 %) ne devrait pas être très différente en Suisse. Selon l’Office fédéral de la statistique, la Suisse abrite environ 46 000 espèces végétales, fongiques ou animales (sans les formes de vie unicellulaires ou ne possédant que quelques cellules). Sur les 10 699 espèces étudiées, 35 % sont inscrites sur les listes rouges des espèces menacées, disparues ou éteintes. En Suisse aussi on constate un effondrement général de la biodiversité.

Enfin, il faut rappeler que la Suisse joue un rôle déterminant dans l’extraction, la production et le négoce des hydrocarbures par des multinationales qui, telles Glencore, Trafigura ou Vitol, ont leur siège dans la paradis fiscal que le pays continue à être (1/4 du commerce mondial du charbon ; 1/3 des hydrocarbures).

➊ Axes revendicatifs

Nos exigences écosocialistes concrètes ne pourront être réalisées que dans le cadre des axes revendicatifs suivants :

  • Un contrôle démocratique des moyens de production. Ce contrôle peut se réaliser de différentes manières, de la nationalisation sous contrôle ouvrier à la déclaration de bien commun, émancipé du marché. Le principe en est qu’un secteur donné de l’économie capitaliste est soutiré à la propriété privée et aux lois du marché pour répondre à une logique dictée par les besoins sociaux et les exigences écologiques. Autrement dit, il faut abolir la propriété privée des ressources naturelles et des ressources du savoir.
  • Une réduction forte du temps de travail. Elle seule permet de réorganiser le rapport entre le temps de travail, la vie de famille, la vie sociale et les « loisirs » ; il faut instituer d’autres rapports dans les domaines des tâches dites domestiques, des soins à la personne, de l’organisation urbaine et territoriale, des déplacements et des transports, du tourisme, etc. 
  • Un contrôle démocratique des outils financiers : banques coopératives, banques alternatives, fonds publics. Une socialisation du secteur du crédit est indispensable vu l’imbrication des secteurs énergétiques et financiers dans des investissements lourds et de longue durée, et pour disposer des ressources financières nécessaires aux investissements de la transition. En outre, les mesures écologiques doivent être financées en très large partie par une réforme fiscale redistributive portant en particulier sur le capital et ses revenus. En ce qui concerne la recherche publique, elle doit être substantiellement financée au détriment d’une recherche soumise aux intérêts privés.

➋ Quelle orientation ?

Les revendications immédiates et démocratiques doivent s’appuyer sur des positions de rupture indiquant qu’un horizon débarrassé du capitalisme est la seule issue possible. Pour agir efficacement, il faudrait dès maintenant pouvoir convaincre la majorité de la population d’opter pour une société écosocialiste. En pratique, nous sommes loin de pouvoir le faire. Les luttes réelles sont actuellement le plus souvent défensives, portant sur le refus de tel ou tel projet ou sur un aspect partiel du problème. Pour chaque engagement concret, il faut réaffirmer nos objectifs à long terme en expliquant la nécessité de rompre avec le capitalisme pour construire une société écosocialiste. 

Les configurations que peuvent assumer les mouvements de lutte sont diverses et difficilement prévisibles : initiative citoyenne contre des projets précis, mouvement contre un aspect du recours aux énergies fossiles, opposition aux « grands projets », mouvements pour l’abolition de l’exploitation animale, les formes possibles sont nombreuses. Une certaine souplesse militante est ici nécessaire. Les relations avec les organisations environnementalistes plus « classiques » seront nouées en fonction des objectifs défendus par ces mouvements : décroissance, écologie sociale, éco-féminisme, éventuelle gauche écologique anticapitaliste, gauche chrétienne, etc.

VIII Revendications concrètes

Les revendications concrètes pour parvenir à une société écosocialiste libérée de la marchandisation généralisée et des contraintes de l’accumulation capitaliste portent sur les quatre domaines dans lesquels SolidaritéS intervient souvent ou pour lesquels nous avançons des propositions, dans les mouvements sociaux, plus particulièrement le mouvement pour la justice climatique, dans nos campagnes électorales, dans les divers parlements où nous siégeons, dans les combats référendaires et dans les initiatives et pétitions aux niveaux fédéral, cantonal et communal, soit les question suivantes : 

  1. Politique énergétique et climatique,
  2. Politique des transports et urbanisme,
  3. Politique agricole et souveraineté ali mentaire,
  4. Politique environnementale.

Ces politiques impliquent les questions de la justice sociale, de l’égalité – les femmes pauvres étant les premières touchées – et des migrations générées par les dégradations de l’environnement.

➊ Politique énergétique et climatique

  1. La réduction des GES doit toucher d’abord les différents et nombreux secteurs de la consommation des hydrocarbures. Pour éviter la consommation d’hydrocarbures nous devons impérativement développer l’efficacité énergétique et freiner la consommation d’énergie. D’une part, il faut donc remplacer les énergies fossiles en stimulant la recherche et le développement des énergies renouvelables ; d’autre part il faut appliquer le principe du « négaWatt », où la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Voici quelques exemples concrets :
    • L’augmentation de la contribution au fonds de démantèlement des centrales nucléaires doit être financée par les producteurs d’énergie. 
    • Un moratoire sur la construction de toute nouvelle centrale nucléaire ou fossile (charbon, gaz ou pétrole).
    • L’interdiction de rechercher et d’exploiter de nouvelles sources d’énergies fossiles sur le territoire national. 
    • L’amélioration rapide de l’isolation thermique du bâti existant.
    • Le retrait et l’interdiction de tout investissement pour les acteurs financiers dans tout projet lié à la production d’hydrocarbures.
    • L’interdiction pour les multinationales suisses (Syngenta, etc.) d’exporter des insecticides interdits en Suisse.
  2. Pour contrôler la transition énergétique et s’assurer qu’elle correspond à des objectifs écosocialistes, nous revendiquons l’appropriation publique des entreprises nationales et multinationales liées à l’approvisionnement énergétique ; nous revendiquons leur gestion sous le contrôle des salariés et des consommatrices-consommateurs. Pour inciter à la sobriété énergétique tout en garantissant la justice sociale, il faut introduire un système de gratuité des usages modérés de l’énergie couplé avec un renchérissement progressif (mais net) des gaspillages. On assure ainsi un accès socialement juste aux ressources énergétiques vitales, pour toutes et tous. Comme l’eau, l’énergie doit être considérée comme un bien commun.
  3. Nous demandons l’arrêt immédiat des aides publiques aux énergies fossiles, qui s’élèvent, au niveau mondial, à 490 milliards dollars US contre 135 milliards pour les énergies renouvelables, et leur réattribution à ces dernières (solaire en premier lieu, également reboisement des sols).
  4. Ce qui ne devrait être qu’un combat d’arrière-garde, à savoir revendiquer une sortie rapide et définitive du nucléaire, ne doit pas quitter notre champ de vision, dans la mesure où les risques liés à la prolongation du fonctionnement des vieilles bouilloires atomiques augmentent, que la question de la gestion des déchets reste entière et que le démantèlement des centrales sera long et coûtera fort cher.
  5. Nous demandons la suppression de la publicité commerciale qui crée des besoins inutiles et encourage la surconsommation et le gaspillage.
  6. Il faut aussi combattre le financement de la recherche publique par des multinationales.

➋ Politique des transports et urbanisme

  1. Moins vite, moins loin, moins souvent. La révolution des transports dans une optique de sobriété énergétique implique d’abord de supprimer les déplacements et transports inutiles, en particulier ceux entraînés par la production en flux tendus, qui expédie des millions de tonnes de marchandises sur les routes.
  2. Il faut donc limiter radicalement tous les transports de marchandises sur de longues distances, notamment par le retour à une économie des circuits courts. Pour les transports démocratiquement et socialement définis comme utiles, il faut développer le transport par le rail, le ferroutage si nécessaire, et le transport fluvial. De même que le transport aérien, le transport maritime, véritable piraterie moderne, doit être régulé et limité sévèrement. 
  3. S’imposent aussi l’abandon du transport individuel et la sortie de la civilisation de l’automobile. Il faut défendre la gratuité et le développement des transports publics, favoriser la mobilité douce, les zones piétonnes dans les agglomérations urbaines. Il faut introduire un moratoire sur la construction de nouvelles routes et autoroutes, sur l’augmentation des capacités routières et sur l’extension des aéroports.
  4. La mise en place d’une taxe sur tous les vols payée par les entreprises du secteur, pour subventionner le train, est nécessaire ; elle doit être assortie de la suppression des vols pour des distances de moins de 1000 km. 
  5. Une nouvelle planification du territoire axée sur une économie régionale, sociale et solidaire implique en particulier la construction de logements groupés sous la forme de coopératives situées à proximité des zones d’emploi et des zones de production. Les politiques de libéralisation du marché et de mobilité intense initiées par le capitalisme néo-libéral aussi bien dans l’organisation du travail que dans la circulation des marchandises dès les années 80 du siècle passé ont énormément accru les distances entre le domicile, les lieux de travail et les lieux de production. Par ailleurs la spéculation immobilière a entraîné une extension des zones urbaines, transformant les périphéries rurales en « urbain diffus ». 

➌ Politique agricole et souveraineté alimentaire

  1. L’objectif est de démanteler les politiques de l’industrie agroalimentaire, basées sur l’industrialisation de la production agricole avec le recours massif aux intrants (des engrais aux produits phytosanitaires) qu’elle implique.
  2. Les risques sanitaires (diabète, difficultés cardio-vasculaires, obésité) liés à l’industrialisation de l’alimentation doivent être dénoncés et combattus, dans la restauration privée comme dans la restauration collective.
  3. Nous nous opposons à la maltraitance des animaux autant dans l’élevage, le transport et l’abattage. Les élevages industriels doivent être fermés. Le recours aux antibiotiques vétérinaires sous forme de prévention ou pour accélérer la croissance doit être aboli. Les employé·e·s de la branche doivent être soutenu·e·s dans leur requalification.
  4. En raison des conséquences environnementales de la production de viande et de la surpêche (en particulier dans les pays du Sud Global), la consommation de viande et de poisson doit être diminuée en faveur d’une alimentation constituée de fruits et légumes de production locale, de saison et de culture biologique dans le respect du travail des agriculteurs et agricultrices.
  5. Il faut promouvoir une agriculture biologique, avec aide orientée dans ce sens pour la petite paysannerie. La limitation de l’agriculture d’exportation au profit d’une agriculture vivrière, de proximité est un deuxième pas, avec le contrôle public sur la production et le négoce des produits agricoles et une garantie des conditions de travail décentes pour les ouvriers·ères agricoles. 
    • Etant donné le rôle central joué par la Suisse dans le pillage des ressources, par l’exploitation des pays dits du Sud, avec son impact sur le dérèglement climatique, nous soutenons la lutte contre le négoce et la spéculation sur les matières premières incluant les denrées alimentaires (céréales et soja importées du Sud pour nourrir le bétail du Nord), le charbon et les hydrocarbures.
    • Les sociétés internationales de négoce établies en Suisse jouent à cet égard un rôle déterminant, favorisées qu’elles sont par un droit d’asile restrictif et par une défiscalisation que l’establishment helvétique favorise. Il s’agit donc de lutter pour une redistribution des richesses là où elles ont été produites, et pour un vrai droit d’asile et de migration.
  6. Nous défendons donc une souveraineté alimentaire conçue comme la capacité, pour la population concernée de définir les modes de production et d’échange de ses ressources alimentaires. Nous soutenons dans cette mesure les nouvelles formes de développement des coopératives de production et de consommation de type ACP (agriculture contractuelle de proximité).
  7. Nous défendons la propriété sociale en particulier dans le domaine de l’eau potable, contre le rachat systématique des sources par des multinationales comme Nestlé, un des leaders de l’eau en bouteille.

➍ Politique environnementale

  1. Le respect de la biodiversité passe par la protection renforcée de toutes les espèces menacées ; au-delà, il s’agit d’entretenir la dynamique évolutive de la vie et de sa complexité sur terre. Nous soutenons et nous investissons pour des initiatives contre le mitage du territoire. 
  2. L’appropriation privée et le brevetage du patrimoine vivant doivent être abolis. À terme, c’est toute la politique des brevets qui doit être mise en cause, l’innovation étant une production sociale, souvent initiée dans le domaine public et qui doit le rester.
  3. Il faut se garder de la marchandisation des services écosystémiques. Les écosystèmes offrent à l’humanité et aux autres espèces des services complexes tel que la pollinisation des abeilles qui est à son tour indispensable à la fructification d’arbres fruitiers. Il faut éviter que ces services soient soumis à la logique capitaliste du marché et du profit. 
  4. Les politiques de revitalisation des cours d’eau doivent être soutenues, non seulement à cause de leurs effets sur les biotopes concernés, mais aussi parce qu’elles constituent une des réponses aux risques d’inondation accrus par le changement climatique. Nous soutenons et nous investissons pour des initiatives en faveur d’une eau propre.
  5. Le système capitaliste est responsable du réchauffement climatique et de la destruction de la planète. C’est donc au capital de payer pour les installations et les transformations de la production rendues nécessaires par le respect de l’environnement. Nous ne voulons pas que le coût de l’adaptation de notre mode de vie se fasse sur le dos des plus faibles et des plus pauvres.