Programme écosocialiste d’urgence

Manifestation pour le climat, Melbourne, mars 2022

INTRODUCTION

Le dérèglement climatique ne cesse de manifester ses conséquences désastreuses : sécheresses précoces, inondations diluviennes, canicules répétées. Le pergélisol connaît un dégel plus rapide qu’envisagé, la fonte des glaces s’accélère, l’océan se réchauffe et s’acidifie plus vite que prévu. Et ses eaux continuent de monter.

En 2021, les émissions mondiales de CO₂ ont crû de 6 %, une croissance jamais atteinte jusque-là, effaçant tous les gains dus à la pandémie du Covid 19, repoussant d’autant une véritable réduction des émissions de gaz à effet de serre, pourtant vitale.

Comme pour mieux mettre en évidence les absurdités du capitalisme, l’Union européenne projette de ranger le gaz et le nucléaire parmi les énergies « renouvelables » ! On marche sur la tête et la guerre en Ukraine n’a rien arrangé, au contraire.

Non seulement la relance massive des armements est grosse consommatrice de CO₂, comme la guerre elle-même, mais, face à la pénurie annoncée, et bien organisée, d’énergies fossiles, principalement de pétrole et de gaz, les États européens se tournent vers le pétrole et le gaz de schiste nord-américain, au bilan écologique catastrophique. Le gouvernement suisse encourage le recours au mazout pour produire de l’électricité cet hiver.

Soumis aux diktats de la Bourse, des producteurs et des spéculateurs, les prix des énergies fossiles prennent l’ascenseur. Au passage, le taux de marge des raffineurs a été multiplié par plus de 2300 % en un an… 

Que l’on ne s’imagine pas que cette hausse des prix du pétrole et du mazout permet de réduire effectivement leur consommation : le frein n’agira que marginalement, la dépendance aux énergies fossiles n’étant pas véritablement combattue par les autorités, même si elle a pour effet de financer directement la machine de guerre de Poutine.

Sortir de cette dépendance exige une autre politique, une politique écosocialiste qui place d’autres priorités que le respect quasi religieux des vaches sacrées du capitalisme : la Bourse, les marchés, les besoins de l’accumulation du capital, le profit, la propriété privée. Pour rompre avec la dépendance à l’égard des énergies fossiles, il faut rompre avec ces vieilles idoles.

La dépendance Des énergies
fossiles

La dépendance de la Suisse des énergies importées est nette : 72 % de l’approvisionnement en énergie provient d’importations. Comme le dit l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) : « La Suisse importe des produits pétroliers (pétrole brut, combustibles, carburants), du gaz naturel, des produits houillers, des combustibles nucléaires et, pendant le semestre d’hiver, de l’électricité. » Au niveau de la consommation finale, les énergies fossiles représentent 56,2 % de l’énergie consommée, dont 13,5 % pour les combustibles pétroliers, 30,3 % pour les carburants et 12,4 % pour le gaz. Le reste provient de l’électricité (nucléaire compris) et des énergies renouvelables.

La guerre en Ukraine a montré combien cette dépendance pouvait être un vrai risque fragilisant l’ensemble du fonctionnement de la société. La dépendance directe de la Suisse à l’égard du pétrole et du gaz russes est faible, dans la mesure où l’approvisionnement se fait sur les marchés étrangers. 

Il y a donc d’excellentes raisons de comprendre les risques créés par la guerre en Ukraine comme une incitation à rompre rapidement avec cette dépendance aux énergies fossiles.

Contrairement au capitalisme qui cherche son salut dans une dépendance renouvelée, cette fois aux pétrole et gaz de schiste nord-américain, nous proposons d’utiliser enfin systématiquement l’énergie solaire en Suisse, dont tous les textes officiels soulignent le potentiel inexploité. À ce jour, la politique gouvernementale d’incitation par des aides financières est un fiasco. Nous n’avons plus le temps de faire joujou avec des mesurettes. Des mesures d’urgence doivent faire que dans deux ans, la totalité des toitures pouvant produire du solaire soient couvertes de panneaux. Les zones et objets à protéger le restent. Un service public fédéral de l’énergie est chargé de mener à bien ce programme. Panneaux solaires et énergie produite sont un bien commun.

D’évidence, cette rupture avec les lois du marché et le capitalisme fossile ne peut cohabiter pacifiquement avec les orientations de la place financière suisse qui, en 2021 encore, investit dans le charbon et prête aux entreprises du secteur. Elle détenait 22 milliards d’actions et d’obligations dans les 1 032 entreprises les plus actives dans le charbon, dont la multinationale suisse Glencore. Le séquestre des bénéfices ainsi réalisés, suivi de l’interdiction de telles activités, est une nécessité pour le bien de la planète et de l’humanité.

Le pillage de l’électricité

Crise de l’énergie et sécheresse multipliées par l’imprévoyance gouvernementale provoqueront peut-être une pénurie d’électricité cet hiver. Les prix prendront l’ascenseur :

Les augmentations prévues par les distributeurs en 2023 seront en moyenne de 24 %, allant même jusqu’à 60 % dans certaines zones. L’évolution des prix de l’électricité en Europe est un démenti constant à l’affirmation néolibérale selon laquelle l’ouverture au marché bénéficierait aux consommateurs et consommatrices. À tel point que face à l’explosion des prix, l’Union suisse des arts et métiers (USAM), fer de lance du néolibéralisme généralisé, demande aujourd’hui de permettre aux entreprises qui se fournissaient sur le marché libre de pouvoir retourner dans le giron protecteur du marché régulé, réservé en principe aux ménages ! Quand tout va bien, les profits vont au privé, quand tout va mal, les coûts vont au public… Cette faillite du marché de l’électricité doit nous inciter à revenir sur la demi-libéralisation helvétique et à faire de l’électricité un bien commun aux mains d’un service public. Sans quoi la Bourse continuera de régner en maître sur notre approvisionnement. En effet, la volatilité des prix de l’électricité sur le marché européen fait que la Bourse exige que des garanties de liquidités soient apportées par les acheteurs d’électricité. En Suisse, ce sont principalement les trois grandes Alpiq, Axpo et BKW. Cette plaisanterie a déjà coûté 223 millions de francs aux cantons et communes romandes, qui ont dû venir au secours d’Alpiq ! Dans la poursuite de cette politique où l’on oblige des sociétés appartenant au public à jouer à l’entreprise libérale, le Conseil fédéral prévoit de servir de cautionnement jusqu’à hauteur de 10 milliards de francs. Cela pour sortir, si nécessaire, ces entreprises du pétrin boursier. Sans lien aucun avec leur santé financière, qui est bonne. Récemment, la Confédération a débloqué 4 milliards de francs pour soutenir, si nécessaire, Axpo.

Il faut mettre un terme à ce jeu morbide, qui fait dépendre notre sécurité d’approvisionnement de la soif de profit des actionnaires et des spéculateurs ! Le secteur électrique suisse est très majoritairement entre les mains des cantons et des communes (89,1 %). Un véritable Service public de l’énergie est à portée de main. Une de ses tâches centrales serait de sortir l’électricité helvétique de sa dépendance au nucléaire français (60 % de l’électricité importée).

LES TRANSPORTS, UN BIEN COMMUN

Vu le poids des carburants dans la consommation d’énergie en Suisse, une réduction forte des émissions de CO₂ n’est pas possible en poursuivant la trajectoire actuelle des transports. Trois phénomènes ont massivement concouru à cette situation faite de villes embouteillées et de bouchons à foison sur les routes. Premièrement, c’est le développement de la civilisation de la bagnole au détriment des transports publics. Pour le grand bien des industriels de l’automobile et des bétonneurs. Deuxièmement : la production à flux tendu (just in time) des entreprises, qui revient à transférer la gestion des stocks à une flotte de camions de plus en plus nombreuse. Troisièmement : le nombre de trajets quotidiens n’a que peu changé, mais leur longueur s’est accrue. C’est la mobilité tant vantée par le néolibéralisme qui imprime sa marque jusque dans l’assurance-chômage, puisque les sans-emploi ont l’obligation d’accepter un emploi impliquant jusqu’à 4 heures de trajet chaque jour. Donc un éloignement de plus de cent kilomètres entre le domicile et le lieu de travail.

Réduire les émissions de CO2 dues au carburant c’est travailler sur ces trois aspects. D’abord, il s’agit de donner une priorité absolue à la mobilité douce (déplacement à pied et à vélo) et aux transports publics (bus et trolleys, mais aussi trams et trains). Un maillage serré du territoire et une offre bien supérieure à celle qui existe actuellement sont nécessaires. La gratuité des transports publics contribuera fortement à l’abandon de la voiture individuelle.

Ensuite, il s’agit d’accélérer le transport de marchandises de la route au rail, tout en réduisant le volume des marchandises produites et en circulation. Travailler moins pour produire moins et vivre mieux — mais travailler toutes et tous dignement — telle est la perspective.

Enfin, l’aménagement du territoire et l’urbanisme doivent connaître une véritable révolution : leur action combinée visera à réduire massivement les trajets quotidiens entre lieu de travail, domicile et loisirs.

La seule solution de rechange proposée par le capitalisme aujourd’hui, c’est l’électromobilité, donc le remplacement du parc automobile actuel à moteur thermique (plus de 4,5 millions de voitures dans le pays, 1,4 milliard sur la planète) par des voitures à moteur électrique. Résultat : des besoins exponentiels en électricité. Et un produit pas particulièrement écologique, dont l’usage massif prolongera la vie des centrales nucléaires et à charbon. Plébisciter la voiture électrique aujourd’hui, c’est plébisciter les centrales nucléaires et à charbon.

POUR UN SERVICE PUBLIC DE L’ÉNERGIE

Il y a des images plus parlantes que de longs développements. Pour accompagner la délégation suisse à la COP 26 à Glasgow, il y avait trois représentants de la « société civile » : un banquier, un assureur et un représentant du WWF. Deux délégués du capital et de la finance contre un écologiste modéré. Le match est joué d’avance.

C’est pour sortir de cette logique de domination systématique des intérêts privés sur le bien commun que nous proposons la création d’un service public de l’énergie. On l’a vu avec le secteur électrique : les fonds actuels sont majoritairement issus des collectivités publiques. Il en va de même pour le gaz. La fusion de ces différents secteurs permettra d’avoir une vue d’ensemble précise, premier pas vers une planification de la gestion et de l’approvisionnement en énergie dans le pays.

Car ce qui se passe pour le moment tient plus de la gabegie que de la régulation censément apportée par le marché. En l’absence de toute planification sérieuse, le gouvernement annonce des risques de coupures d’électricité cet hiver ; en réaction, les individus se ruent sur les génératrices à essence et les radiateurs électriques… Le président de la Commission fédérale de l’électricité y va de sa contribution, demandant à la population de faire des stocks de bougies ! Le marché de l’énergie a ainsi réussi un vrai miracle, celui de retourner contre lui l’argument adressé pendant des décennies aux écologistes de toute tendance : avec vous, c’est le retour à la bougie. Eh bien non : le chaos, les coupures et les restrictions, c’est vous, les partisans de la libre entreprise ! 

Cet exemple montre que le recours aux différentes énergies renouvelables ne peut être laissé à la main, invisible et aveugle, du marché et des intérêts privés. Il faudra les combiner, car toutes les chaudières à mazout et à gaz du pays ne pourront être remplacées par des chaudières à pellets ; le solaire thermique aura son rôle à jouer, comme d’autres ressources renouvelables. Une suppression des besoins artificiellement entretenus, comme l’éclairage des panneaux publicitaires et des enseignes lumineuses va de soi. Une planification à la fois centralisée dans sa conception et son organisation et décentralisée dans son application est nécessaire. L’informatique et les algorithmes, si souvent mis au service de mauvaises causes, pourraient ici rendre de signalés services.

QUEL CONTÔLE ?

Bien sûr, lorsque l’on voit ce que sont devenus les deux principaux services publics fédéraux, la Poste et les CFF, ça ne fait pas envie. Des décennies de Nouveau management public ont réduit leurs prestations et leur présence territoriale, poussé leur personnel, de moins en moins nombreux à faire toujours plus et toujours plus vite. Résultat : un service public dégradé ou le contact humain est remplacé par une informatique aux allures de labyrinthe. Lorsque nous revendiquons un service public de l’énergie, ce n’est pas cela que nous visons. Mais un service public réel, remplissant pleinement sa fonction, qui sera d’assurer le plus rapidement possible l’approvisionnement du pays en énergies renouvelables, au meilleur prix pour la communauté, dans le respect des critères écologiques et climatiques les plus pertinents ; les conditions de travail de son personnel seront exemplaires.

Pour assurer que ce mandat soit correctement rempli, un triple contrôle sera mis en place. Il subsistera bien sûr le contrôle de l’autorité politique. Mais en plus, un contrôle par le biais du personnel de l’établissement public sera institué. Ses travailleurs et ses travailleuses sont en effet les mieux placés pour vérifier le respect à la fois des conditions de travail et des objectifs du service public. Par ailleurs, les usagers et usagères de ce service exerceront aussi une forme de contrôle, empêchant la dégradation de ses prestations et stimulant l’amélioration de son fonctionnement. Cette extension de la démocratie est une nécessité de la prise en charge de la lutte contre le dérèglement climatique, garante de la justice sociale qui doit en être le complément indispensable.

Mais en attendant, les prix de l’énergie ne cesseront pas pour autant de grimper, si nous n’agissons pas. C’est la raison pour laquelle nous revendiquons un contrôle des prix, selon le mécanisme suivant : l’État fixe un prix, accessible, de la ressource pour tout le pays. La différence entre ce prix plafond et le prix du marché est prise en charge par la puissance publique. La différence entre le prix plafond et le prix du marché est assurée par les rentrées d’un impôt spécial prélevé sur les surprofits indécents réalisés par les superriches. Depuis le début de la pandémie, le monde compte un nouveau milliardaire toutes les 26 heures. Tandis que la fortune des 10 milliardaires les plus riches du monde a doublé durant la même période. Les milliardaires des secteurs de l’agroalimentaire et de l’énergie ont vu leur fortune augmenter d’un milliard de dollars tous les deux jours. 

L’argent existe, il faut le prendre là où il est. Et pour répondre au Conseil fédéral, qui dit ne disposer d’aucune évaluation des bénéfices d’entreprise ou des branches spécifiques, nous exigerons l’ouverture des livres de comptes et la levée du secret bancaire.

Groupe de travail écosocialiste de solidarités Vaud
octobre 2022