Tribunal de la dette: banques suisses sur la sellette
Tribunal de la dette
Banques suisses sur la sellette
Les 1er et 2 février, à l´occasion du Forum social mondial, un Tribunal a été constitué afin de juger de la dette qui frappe les pays du sud. C´est dans le grand auditoire Araujo Vianna, devant une assemblée variant entre 1000 et 1500 auditeurs, que les débats ont été tenus.
S´il paraît légitime de juger un dictateur comme Pinochet pour les crimes commis pendant sa dictature, les peuples victimes de la dette ont décidé de juger les responsables de ce processus de pillage des pays du Sud. L´idée de passer par un Tribunal n´est pas saugrenue. En effet, la Déclaration universelle des Nations Unies sur les droits de l´homme déclare: «Toute personne a droit a un niveau de vie adéquat qui lui assure, ainsi qu´à sa famille, la santé, le bien-être, et particulièrement l´alimentation, les soins médicaux et les services sociaux». En outre, les Pactes internationaux des droits économiques, sociaux et culturels, ratifiés par la plupart des gouvernements, mentionnent dans leur article 2: «En aucun cas il ne sera possible de priver un peuple de ses moyens de subsistance.»
Une dette odieuse
Bref, les bases légales existeraient pour traduire en justice les dirigeants des grandes institutions financières qui affament la majorité des être humains de la planète et ruinent toute tentative de développement des pays du Sud. Le problème réside dans le fait qu´aucun État, à ce jour, n´a osé défier les puissants de ce monde!1 C´est pour cette raison que, dans une mise en scène exotique, les peuples les plus divers, africains du nord au Sud, en passant par l´équateur, asiatiques, et de plusieurs pays d´Amérique latine, ont tenu à expliquer: comment le joug de la dette pèse au quotidien sur les classes les plus pauvres, et hypothèque toute possibilité de développement social.
Les chiffres ne veulent plus rien dire. Prenons le Brésil: ce pays a déjà rendu sept fois l´argent prêté, et il lui reste à rembourser trois fois ce qui lui a été prêté; l´année dernière, les intérêts de la dette brésilienne se montaient à l´équivalent du prix des tours du World Trade Center!
Lors de son passage au Forum des autorités locales de Porto Alegre, Manuel Tornare, Maire de Genève a dénoncé les détournements de fonds de l´ancien Maire de Sao Paulo, Paulo Maluf. Une partie des deux cent millions de dollars détournés auraient transités par Genève! Ce dernier a trouvé un avocat spontané en la personne du Conseiller administratif libéral Pierre Müller: les propos du maire sont «inacceptables». Il est toujours sidérant d´observer avec quelle hargne les politiciens bourgeois, défendent les affaires de leurs maîtres, niant l´évidence comme des arracheurs de dent. Au Tribunal des peuples, l´écrivaine égyptienne Nawal El Saadawi m´a déclaré sèchement: «Si vous étiez un banquier suisse, je vous dirais que vous êtes un criminel!»
La Suisse et les dictatures
Peut-être se souvient-on encore de la campagne du gouvernement suisse et d´une partie de la gauche «modérée» pour adhérer à la Banque mondiale et au FMI. C´était, nous expliquait-on, afin de faire contrepoids aux USA, tradition humanitaire oblige, etc. Le Conseil fédéral nous promettait de rendre des comptes régulièrement sur ce que défendraient les représentants helvétiques dans les conseils d´administration où le huis-clos est de rigueur. Le bilan se fait toujours attendre! Plusieurs délégué-e-s ont tenu a dénoncer expressément la Suisse,2 les banques et le Conseil fédéral pour leur soutien sans faille au régime ignoble de l´Apartheid. M.P. Giyose a stigmatisé le caractère odieux des prêts des banques suisses au régime de Pieter Botha : «Cet argent a été utilisé contre nous, pour acheter des armes suisses et pour faire la guerre aux mouvements de libération d´Afrique australe. Les conflits nourris par le régime de l´Aparteid ont fait des millions de morts!» Un film de Ben Cashdin a été présenté à charge de preuve; on y voit le président Pieter Botha reçu par le Conseil fédéral, etc…
Non seulement les Africains du Sud réclament l´annulation de la dette, mais des indemnités, de la part des firmes helvétiques, qui ont fait des affaires en or en profitant du régime raciste de Prétoria. La Suisse profitait allègrement de régime d´Apartheid soumis aux sanctions de l´ONU!
Une déléguée des Philippines, Jo Enrica Enriquez Rosalez, est venue parler de la dette laissée par le dictateur Marcos. Mort il y a une douzaine d´années, chassé par le peuple philippin en 1986, une partie de «sa» fortune était planquée dans les banques suisses. Elle y est restée une bonne dizaine dannées supplémentaires. Sept cent cinquante millions ont été rendu au gouvernement philippin lannée dernière. La dictature de Marcos a fait des milliers de victimes. La déléguée des Philippines a réclamé également, à la barre du Tribunal des peuples de Porto Alegre, que les banques suisses et autres profiteurs de la dictature de Marcos versent des indemnités aux victimes. Ce qui a été possible avec celles du nazisme pourrait l´être avec les victimes contemporaines de la domination impérialiste ! Le problème a été posé avec vigueur devant le Tribunal des peuples au Deuxième Forum Social Mondial de Porto Alegre.
Daniel KÜNZI
- Voir à ce propos les arguments d´Eric Toussaint: Le bateau ivre de la mondialisation, La bourse ou la vie CADTM-Sylepse, et particulièrement Le Monde diplomatique de février 2002 : «Une dette odieuse»
- La Swiss-South African Association, David Gygax, Université de Fribourg, 2001
NB Un court métrage est en préparation sur le Tribunal international de la dette de Porto Alegre.