Réfugiés: une correspondance instructive
Réfugiés: une correspondance instructive
Ce nest pas daujourdhui que la Suisse officielle maltraite les réfugiés. Les régimes réactionnaires daprès 1815, regroupés au sein de la «Sainte-Alliance» – entre les empereurs dAutriche, de Russie et le roi de Prusse ne cessaient dinonder la Diète helvétique de notes comminatoires demandant des mesures dinternement ou dexpulsion à légard de proscrits poursuivant leurs activités ici. Les «bonnes habitudes» ne se perdant point même après la «Régénération » des années 1830, une mesure dexpulsion fut prise en 1836 contre le républicain italien Giuseppe Mazzini (1805-1872). Après léchec des révolutions européennes de 1848, le gouvernement suisse prit des mesures similaires contre les réfugiés allemands et italiens. En 1851, après le coup dEtat de Louis-Napoléon Bonaparte1, des proscrits cherchèrent refuge en Suisse doù la diplomatie française semploya à les faire expulser par le Conseil fédéral. Pour linformation des gouvernements cantonaux – dont celui de Neuchâtel -, qui promettent dintercéder en faveur des sans-papiers auprès de Ruth Metzler, voici lhistoire dune correspondance de 1852 dont ils pourraient sinspirer, adressée par le président du gouvernement neuchâtelois2 au Conseil fédéral.
La chasse aux réfugiés
Le 5 janvier 1852, Son Exc. M. de Salignac-de la Mothe-Fénelon, ministre de la République française en Suisse arrive à Berne. Le 24 janvier, Son Exc. adresse au Conseil fédéral les aménités qui suivent: «Je demande que lon me promette formellement que toutes les expulsions de réfugiés que je pourrais solliciter me soient accordées, sans quil y ait lieu dexaminer à quelle catégorie appartiennent les réfugiés politiques français frappés par cette mesure, et que de plus, les ordres du pouvoir central soient exécutés dans les termes prescrits davance, sans que ces ordres soient mitigés ou méconnus par les autorités cantonales. A défaut de quoi», etc. (suivent des menaces!)
Vient plus tard linvitation au Conseil fédéral de faire arrêter le député Boichot, qui sest permis, en passant à Lausanne, de lancer un appel au peuple français et qui a déjà été signalé comme devant se cacher dans les Montagnes de Neuchâtel, etc. Le 17 février, le Conseil fédéral transmet linvitation au Conseil dEtat de Neuchâtel. Le 18 février, Piaget3 propose au secrétaire dEtat de préparer une réponse en ces termes:
«Chers et fidèles Tit[ulaires],
Par votre office du 17 courant, vous nous invitez à faire activement rechercher le fameux Boichot que vous exilâtes déjà deux fois et que monseigneur lambassadeur de France aurait découvert verbalement dans une position quelconque du Locle, de la Chaux-de-Fonds ou des Brenets.
Nous aimons à croire que lambassadeur, toujours monseigneur, de France et de Navarre, connaît lexistence des Verrières, des Ponts, de la Côte-aux-Fées, du Cerneux-Péquignot, Haut et Bas-Monsieur, Moron et autres lieux et quil les signale également à notre attention, car ces localités sont intéressantes et méritent dêtre visitées.
Revenons à Boichot. La plaisanterie Boichot est bonne, chers Tit., elle est même excellente; mais elle est trop prolongée, Boichot est usé, il nous paraît quil est temps de retourner à Mazzini4, qui sait ce quil se doit à lui-même, ainsi quà lEurope qui le contemple. Nous croyons dailleurs être bien informés et savoir que lintention formelle de Mazzini est de parcourir lEcosse, où il se rend depuis Londres, où il se trouve en cet instant. Jamais donc moment plus favorable ne sest présenté de pousser activement nos recherches dans les lieux désignés par lambassadeur dont il sagit, où nous ne trouverons pas Mazzini sans doute, mais où nous ne trouverons pas davantage Boichot. (…)
A propos. Si le Salignac voulait faire copain pour les mouches quil entretient sur notre sol, nous pourrions nous entendre. Pour le moment ça fait trois polices qui jouissent des beautés de la nature helvétique et se mouchardent mutuellement, ce qui rend Boichot plus introuvable que jamais: Police française, Police fédérale, Police neuchâteloise…»
(hpr)
- Cf. Victor Hugo, Histoire dun crime; Napoléon-le-petit. Lausanne, Ed. Rencontre, 1968 ; Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte quon trouve sur www.marxists.org
- In: Aimé Humbert. – Alexis-Marie Piaget daprès sa correspondance et la République neuchâteloise de 1848 à 1858. Neuchâtel: Attinger, 1888
- Alexis-Marie Piaget (1802-1870): avocat et député républicain, avant 1848. Président du gouvernement provisoire en 1848, puis du Conseil dEtat.
- Cf. Giannino Bettone, Mazzini e la Svizzera. Pisa : Domus Mazziniana, 1995 (Collana divulgativa ; 8)