Le partage des origines: expo au musée d'éthno

Le partage des origines: expo au musée d’éthno

L’exposition «Nous autres», qu’on peut visiter au Musée d’ethnographie de Genève jusqu’en mars 2007, aborde de front la question des origines anthropologiques du racisme. Elle le fait par un biais didactique, en se fondant sur un texte, Race et histoire, publié en 1952 par Claude Lévi-Strauss à la demande de l’UNESCO nouvellement créée. Il s’agissait à cette époque de mener une réflexion fondamentale pour éclairer les mécanismes du rejet haineux de l’autre, dont le génocide des Juifs et des Tziganes d’Europe, comme l’exploitation des colonisés, montraient des exemples devenus insupportables.

«[…] il semble que la diversité culturelle soit rarement apparue aux hommes pour ce qu’elle est: un phénomène naturel […]. Ils y ont plutôt vu une sorte de monstruosité ou de scandale; dans ces matières, le progrès de la connaissance n’a pas tellement consisté à dissiper cette illusion qu’à l’accepter ou à trouver le moyen de s’y résigner.» (C. Lévi-Strauss, Race et histoire, 1987 [1952])

Les progrès de la biologie et de la génétique ont démontré voilà quelques années qu’il n’existe pas de différences raciales entre les humains, autrement dit que rien, en biologie, ne vient confirmer l’existence de races distinctes. Tous les humains appartiennent bien, biologiquement, à la même humanité. Il n’empêche. Il en va des cultures comme des langues. Elles sont diverses et portent à l’incompréhension mutuelle. Le mythe biblique de la Tour de Babel évoque comme une punition de Dieu la confusion qui en résulte.

Si la diversité est naturelle, il en va de même de l’ethnocentrisme. L’enfant qui vient au monde conquiert son environnement, sa langue et les coutumes et usages des siens; ainsi les humains, où qu’ils se trouvent, voient le monde à partir de leur propre univers.

«L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent d’un nom qui signifie les “hommes” (ou parfois […] les “bons”, les “excellents”, les “complets”), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus – ou même de la nature – humaine, mais sont tout au plus composés de “mauvais”, de “méchants”, de “singes de terre” ou d’“œufs de pou”.» (Idem:21)

Cet ethnocentrisme naturel et universel se traduit la plupart du temps par une surestimation de soi, de son groupe, et, inversement, par une dévalorisation des groupes voisins et des étrangers. C’est ainsi que les peuples ont souvent deux appellations; les autres les appellent «Esquimaux» (mangeurs de viande crue), «Sioux», (vipères, ennemis), «Cafres» (païens), «Berbères» (barbares), quand eux-mêmes se désignent comme «Inuit» (les hommes), «Dakota» (alliés), «Zulu» (paradis, ciel), «Imazighen» (hommes libres), etc.

«L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles: morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. “Habitudes de sauvages”, “cela n’est pas de chez nous”, etc. (Idem: 19)

Etant tous, par nature, plus ou moins ethnocentriques, tous les groupes humains sont portés à penser qu’ils sont les seuls à savoir se nourrir, s’habiller, se soigner, travailler, posséder la connaissance, la justice, une vraie morale, des pratiques civilisées. Bien plus, ils ont eu coutume au cours de l’histoire de rejeter les autres hors de l’humanité, dans la nature, dans la règne animal.

C’est ainsi que depuis l’Antiquité, des textes nous livrent des représentations des autres, au-delà des mondes connus, comme des monstres, des sauvages, des impies, des animaux. L’exposition explore en particulier la découverte et la conquête de l’Amérique par les Européens à partir de 1492. Les Amérindiens avaient-ils une âme? Etaient-ils les fils de Dieu, rachetés par la mort du Christ? En concluant par l’affirmative, la Controverse de Valladolid soustrayait les Indiens à l’exploitation des Blancs comme bêtes de somme, mais y condamnait du même coup les habitants noirs d’Afrique, jugés, eux, dépourvus d’âme et dont la déportation comme esclaves commença aussitôt.

Le sommet de l’invention du racisme fut atteint, hélas, avec le développement de l’anthropologie moderne. Au XIXe siècle, cette science, en classant les humains selon des critères morphologiques et culturels évolutionnistes, du plus simple au plus complexe, en entretenant une confusion entre la notion biologique de race et les productions culturelles, va affirmer l’inégalité des races humaines, nourrir les idéologies racistes, favoriser les discriminations, justifier le colonialisme, l’oeuvre civilisatrice des métropoles coloniales, développer les haines et les exterminations.

Depuis 60 ans, l’UNESCO affirme l’égalité des cultures de la planète. L’ethnologie a mis en lumière, dans les sociétés les plus reculées, des pratiques et des institutions qui sont des modèles et des réservoirs de sens. Dans le monde mondialisé, l’autre devient un partenaire. C’est à découvrir ce cheminement que vous invite l’exposition «Nous autres». Les obstacles de la diversité et de l’ethnocentrisme, consubstantiels à l’humain, peuvent être dépassés par un effort, comme l’agressivité, naturelle à l’homme, peut être canalisée vers des œuvres de paix. Il s’agit de civiliser la terre.

Contre les replis identitaires grincheux et pleins de haine, la recherche de l’autre donne accès au monde merveilleux du partage des origines et des cultures.

Erica DEUBER ZIEGLER

«Nous autres»
Musée d’ethnographie de Genève
Bd Carl-Vogt 65• 1205 Genève
Tous les jours de 10 à 17h.
Fermé le lundi
www.ville-ge.ch/meg