Droit des femmes et solidarité en danger
Droit des femmes et solidarité en danger
Linitiative du comité
« financer lavortement est une affaire
privée alléger lassurance maladie en
radiant les coûts de linterruption de grossesse de
lassurance de base » a déjà
récolté 20 000 signatures en un mois,
« succès » inquiétant. Une
raison supplémentaire, sil en fallait, pour mener
campagne sans relâche.
Que lancer une initiative visant à radier le remboursement de
linterruption volontaire de grossesse (IVG) de lassurance
maladie soit de lordre du possible révèle la
fragilité du droit à lavortement. Dans leurs
discours, les tenants de lordre moral se gardent bien de
formuler des attaques frontales contre ce droit acquis de hautes
luttes. Cependant, laccès matériel à une
IVG reste un facteur crucial dans le choix quont les femmes de
laisser croître ou non lembryon quelles portent en
elles. En ce sens, cest bien un coup droit qui leur ait
asséné essentiellement par des hommes (19 hommes
pour 8 femmes dans le comité) rattachés en
majorité à lUDC et au PDC. Les membres du
comité ne sont pas quelques illuminés
réactionnaires. Leurs attaques décomplexées sont
bien le signe dun contexte propice au retour en force des
valeurs les plus conservatrices, dont linitiative anti-minarets
a ouvert la brèche. Racisme et sexisme, les deux faces
dune même médaille, prennent de lenvergure
dans un contexte de crise.
Coûts de la santé, un prétexte
Cette initiative réaffirme la domination des hommes sur les
femmes mais aussi celle des riches sur les pauvres, des suisses sur les
non-suisses et des adultes sur les enfants. En effet, les femmes les
plus précarisées paieront les frais les plus
élevés : migrantes, très jeunes, peu
éduquées et pauvres. Les mieux loties, pour autant
quelles portent en elles lomo oeconomicus, pourront
toujours souscrire à une complémentaire en
prévision du risque, soutien Elvira Bader (conseillère
nationale PDC). Pour les autres, il faudra payer de sa poche.
Un avortement coûte entre 1 000 et 2 000 frs, une
somme énorme pour celles qui peinent à boucler les fins
de mois mais des pacotilles pour lassurance maladie. En effet,
lIVG ne représente que 0,02 % du coût total
de la santé. Largument du coût est donc totalement
dénué de fondement. Pour Elvira Bader :
« Ne plus rembourser lavortement doit pousser les
femmes à prendre conscience de ce quelles font. Elles
avorteraient moins facilement si elles payaient lintervention de
leur poche ». En France, où la contraception est
gratuite, le nombre davortement na pas diminué.
Une morale hypocrite
Cest donc bien le rappel à lordre moral et la
volonté daffaiblir le principe de solidarité de
lassurance maladie qui sont au cur de la campagne. La
maternité renvoie tantôt à luvre de
Dieu : « Chaque enfant mis au monde apporte, non
seulement à la famille, mais aussi à lEtat, tant
de bien quon ne peut en aucune manière
lévaluer en monnaie » (Peter Föhn,
conseiller national UDC) tantôt à la part du diable (le
« meurtre abominable » dénoncé
par lassociation Mamma sur son site internet par les mots
dune angélique fillette). Valérie Kasteler-Budde
(PEV, co-présidente du comité) évoque, pour sa
part, une « solidarité morbide » et
considère que « la question est de savoir si je
veux ou non participer au pot commun qui rembourse une intervention que
mon éthique condamne ». Ne prépare-t-elle
pas le terrain pour supprimer de lassurance de base les soins
auxquels ont droit, les sidéens, les fumeurs, les alcooliques et
pourquoi pas les femmes battues ?
En Suisse, une femme sur 5 ou 6 aura au moins un avortement dans sa
vie. Le taux dIVG reste lun des plus bas du monde et il
est stable depuis plus de dix ans. Pour Maïté Albagly,
secrétaire générale du Mouvement français
pour le planning familial : « Il subsistera
toujours un nombre incompressible dIVG : les femmes ne
sont pas des machines, et on ne peut pas leur demander de
maîtriser parfaitement leur fertilité sur trente-cinq
ans ! ». En Suisse, le planning familial met
laccent sur les risques probables dune telle initiative.
Notamment, le recours aux méthodes « do it
yourself » (médicaments achetés au
marché noir ou sur internet), comme en Italie qui finissent le
plus souvent à lhôpital.
Pourquoi les femmes avortent-t-elles ?
Les raisons les plus souvent citées sont une relation de couple
difficile, lincompatibilité de la formation ou de
lexercice dune profession avec un enfant. La clause de
détresse, qui doit être invoquée au cours des douze
premières semaines pour pouvoir avorter, est peu
mentionnée. Selon une jeune mémorante, cette notion est
« un compromis politique destiné à rassurer
ceux qui craignent une banalisation de
lavortement ». Les témoignages de femmes
mettent systématiquement en avant la question de la
culpabilisation provenant non seulement de lentourage mais
également du personnel soignant. Il existe encore des
médecins qui leur font payer, par la douleur et
lhumiliation, leur décision dinterrompre leur
grossesse.
Le droit à lavortement, ébréché en
Suisse par cette initiative, lest de façon très
poussée en Europe de lest et aux Etats-Unis. Cette
tendance nécessite une lutte non seulement pour maintenir les
acquis mais encore pour exiger que les pouvoirs publics injectent
massivement des fonds dans la prévention comme cest le
cas aux Pays-Bas. Il est également indispensable que les moyens
contraceptifs deviennent accessibles gratuitement pour toutes les
femmes quel que soit leur âge ou leur statut administratif ou
politique.
Isabelle Lucas