Les travailleurs de la construction sous convention... Mais bientôt sans syndicat?
Depuis le 1er avril, les quelques 100 000 travailleurs de la construction (gros œuvre) en Suisse sont de nouveau sous la protection d’une convention collective de travail (CCT). Secteur clé du syndicalisme en Suisse avec une CCT servant de référence pour les autres métiers du bâtiment et au-delà, la construction est aussi l’un des secteurs les plus soumis aux phénomènes de dumping salarial, encouragés notamment par la multiplication des chaînes de sous-traitance.
Autant de raisons qui ont poussé le syndicat Unia à revendiquer des améliorations substantielles dans le cadre du renouvellement de la CCT qui arrivait à échéance le 31 décembre 2011. Entre autres demandes : une assurance perte de gain en cas de maladie qui couvre l’entier du salaire, une meilleure protection contre les intempéries, l’introduction du principe de la responsabilité solidaire.
Difficulté de mobilisation
Le syndicat avait organisé à l’automne une journée nationale de protestation. Si cette dernière a permis la mobilisation de quelque 2.000 maçons sur le canton de Vaud et une belle journée de grève à Genève avec pratiquement tous les chantiers bloqués, elle a révélé la faiblesse de l’implantation syndicale en Suisse alémanique. Une situation qui n’a guère progressé par rapport au dernier renouvellement conventionnel, cela malgré les intentions affichées du syndicat de se reconstruire sur le terrain.
Le patronat de la construction, organisé au sein de la Société suisse des entrepreneurs (SSE), a logiquement refusé d’entrer en matière sur les revendications syndicales, exigeant même des démantèlements. Après la journée de protestation, la SSE s’est lancée dans une campagne de décrédibilisation de la représentativité du syndicat Unia. C’est ainsi qu’en moins de deux semaines, en décembre, les patrons ont recueilli la signature de 24 000 salariés du bâtiment appuyant leur demande de renouvellement de la CCT sans aucune amélioration. La pétition a été déposée au SECO pour demander l’extension de l’actuelle CCT en contournant le syndicat Unia qui ne voulait pas signer de CCT sans amélioration.
Dans ce contexte de pressions, sans réelles perspectives de mobilisation d’ampleur pour inverser la tendance, la délégation syndicale aux négociations accepta un accord le 9 mars. L’assemblée des maçons d’Unia en prit connaissance le 10 mars. Cet accord est loin de constituer une avancée et les critiques lors de l’assemblée furent nombreuses. Il n’a d’ailleurs été ratifié que par 46 voix sur 88. Le relèvement de l’indemnité journalière en cas de maladie (de 80 % à 90 %) constitue la seule avancée. Et encore, c’est une avancée à relativiser puisque le jour de carence est maintenu et que de réels reculs ont été entérinés : que ce soit l’exclusion du champ d’application de la CCT des gravières, des sablières et d’une partie des transports de chantier, ou que ce soit la possibilité de payer en-dessous des salaires minimaux (jusqu’à -15 %) les jeunes sortant d’apprentissage pendant leur 3 premières années !
Afin de garder d’hypothétiques moyens de maintenir la pression, le syndicat Unia a obtenu que des négociations puissent être menées à l’automne 2012, même si la CCT est valable jusqu’au 31 décembre 2015, notamment sur le règlement des indemnités en cas d’intempérie et sur l’introduction d’un principe de responsabilité solidaire ; chaque partie à la CCT étant libre de dénoncer la CCT pour le 31 mars 2013 moyennant un préavis de 2 mois.
Une CCT sans syndicat ?
Cette possibilité de nouvelles mobilisations en 2013 risque toutefois de se retourner contre le syndicat, si ce dernier n’est pas en mesure d’augmenter sa capacité d’action et sa représentativité. La CCT n’a pas arrêté son travail de contournement des syndicats. Par le biais de son conseiller au Etats This Jenny (UDC Glaris), une initiative parlementaire a en effet été déposée le 16 mars contre le monopole des syndicats pour les procédures d’extension des CCT. Avec cette initiative, une organisation de travailleurs-euses de petite taille et les signatures individuelles des travailleurs-euses suffiraient. Plus besoin de passer par les organisations syndicales majoritaires !
Parallèlement, dans un monde politique mis sous la pression de l’initiative de l’UDC pour stopper l’immigration massive qui risque de rendre caduques les accords bilatéraux, la commission de l’économie du Conseil national vient d’approuver le principe de responsabilité solidaire. Les Chambres fédérales pourraient être amenées à voter le principe en juin déjà.
Il devient urgent de ré-ancrer le syndicat sur le terrain, de lui redonner sa crédibilité et sa représentativité sous peine de perdre pied dans un des derniers grands bastions du syndicalisme suisse. Il est temps de remettre des mobilisations à l’agenda… comme l’a fait le dernier Congrès extraordinaire d’Unia, le 31 mars dernier, en appelant à une grande mobilisation nationale et interprofessionnelle contre le dumping salarial et la xénophobie pour l’automne.
Jean Masci