Merck-Serono

Merck-Serono : Les leçons d'un licenciement sans précédent

 

Mardi 24 avril, le groupe Merck Serono annonçait la fermeture pure et simple de son site genevois avec suppression brutale et non négociable de 1250 emplois à la clé. Ainsi l’entreprise phare du secteur des « biotechnologies » du bout du Lac met la clé sous la porte avec pertes et fracas et procède à un licenciement collectif d’une ampleur sans précédent, dans une Genève qui a pourtant vu démanteler une bonne part de son secteur industriel « historique » dans les dernières décennies du siècle dernier.

 

            Le bâtiment de prestige de Serono, symbole d’une prétendue renaissance high-tech de Genève s’élève d’ailleurs sur le site de feu les Ateliers de Sécheron, qui avec Hispano, la SIP, Verntissa, Gardy, Tavaro, les Ateliers des Charmilles, Kugler, Similor… et bien d’autres entreprises de la métallurgie et de l’industrie des machines genevoise représentaient non seulement des emplois et un chiffre d’afffaire, mais un savoir faire et une solidarité ouvrière irremplaçables. Ceux-ci ont été sacrifiés sur l’autel de ce Monaco-sur-Léman, tertiarisé à outrance, parasitaire et à la merci des multinationales  qu’on nous vend comme le nec plus ultra du développement auquel nous devons aspirer.

            C’est cette Genève des traders et des banquiers dont Merck-Serono relève… c’est les règles du jeu de ce monde-là qui viennent se rappeler à notre bon souvenir, avec ces licenciements au service absolu des dividendes maximum pour les actionnaires.

            L’histoire est édifiante, elle commence avec la vente pour un montant de près de 17 milliards de francs de Serono, l’entreprise « familiale » d’Ernesto Bertarelli, au groupe Merck. Dix-sept milliards passés dans la poche d’un individu qui se paye aujourd’hui le luxe de se poser en spectateur « attristé et surpris » d’une décision dans laquelle il n’a «aucune responsabilité».

            De ces milliards-là, combien auraient dû servir à la collectivité et au bien commun de l’humanité ? Chacun d’entre-eux ! Combien ont servi à autre chose ? Tous… Et on devrait être reconnaissant à Bertarelli des miettes qui ont pu tomber de sa table.

            Au chapitre des miettes, ce sont peut-être d’ailleurs les ci­toyen·ne·s et contribuable genevois qui ont – au contraire – versé des montants indéterminés sous forme d’allégements fiscaux à Meck-Serono. Vrai ou Faux ? Et si oui combien ? Le ministre genevois de finances David Hiler refuse de le dire, « secret fiscal » oblige. On devra se contenter, sur ce chapitre, de sa promesse que cet argent sera – le cas échéant – remboursé. Et, en matière fiscale, on pourra aussi s’inquiéter d’un dégât collatéral de l’affaire, qui a vu le président du PS genevois, indiquer dans la presse à ce sujet que son parti pourrait se rallier « à la position du ministre des finances favorables aux allégements fiscaux ciblés » plutôt que de défendre son initiative en la matière.

            D’autres volets de l’histoire méritent encore d’être relevés.

            Par exemple, le fait que le « liquidateur » de Merck-Serono à Genève et de ses emplois, président du Conseil d’administration de l’entreprise est François Naef… président, par ailleurs, de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Genève, lobby patronal distillant à longueur d’année ses recommandations et mots d’ordres néolibéraux et antifiscaux lors de chaque consultation populaire ou élection.

            Par exemple encore, le fait que les syndicats, notamment Unia, ont trouvé porte close du côté de l’entreprise qui espère apparemment pouvoir régler les questions en suspens en court-circuitant tout simplement le mouvement syndical…

            Par exemple aussi, le fait qu’on attribue la décision de Serono au fait que leur médicament ultraprofitable contre la sclérose en plaques, le Rebif, tomberait dans le domaine public. Le ministre genevois de l’emploi, médecin par ailleurs, Pierre-François Unger, indique ainsi que le collège dont il fait partie était «inquiet depuis trois ou quatre ans» à ce sujet. Nous invitant donc à déplorer – avec lui et le gouvernement genevois – le fait qu’un médicament important «tombe» dans le patrimoine commun de l’humanité, plutôt que d’être trusté par un monopole privé.

            Par exemple encore, l’hypocrisie de tous ceux du côté des autorités et des milieux patronaux qui se montrent surpris par cette décision de Merck-Serono. L’été dernier, dans le Financial Times du 29 juillet par exemple, on pouvait pourtant lire que Merck annonçait qu’ils allaient liquider 13 000 emplois à l’échelle mondiale. Loin d’être secrète cette annonce, les analystes de Goldmann Sachs et de Barclays la saluaient alors, comme une «nouvelle très positive» et les actions du groupe faisaient un bond…

            Enfin, le fait que le groupe en question a réalisé un bénéfice de 750 millions l’an dernier avec une hausse de plus de 20 % de son dividende… et qu’il licencie massivement. Mais chacun sait que – dans le cadre du capitalisme réellement existant – à distinguer des contes de fées que nous racontent les libéraux, ces choses-là vont de pair.

            Ainsi la question qui est posée brutalement par cette affaire est la suivante. Doit-on continuer à s’aplatir devant les multinationales, leur faire encore plus de cadeaux, miser sur elles, s’enfoncer encore dans le larbinisme et le parasitisme qu’elles engendrent, ou doit on commencer à prendre un autre chemin…

            Celui sur lequel notre camarade Rémy Pagani a fait un pas modeste l’autre jour en mettant deux multinationales au pied du mur quant à leur responsabilité en matière de crise du logement à Genève… un chemin vers une économie au service des besoins de l’humanité, qui passe évidemment et notamment aussi par la nationalisation des grandes boîtes pharmaceutiques. Pour nous le choix est fait ! 

Pierre Vanek