Accords fiscaux:
Accords fiscaux: : Paysage avant la bataille
A peu près sûr de voir le référendum aboutir, le Conseil fédéral a déjà inscrit à l’ordre du jour de la votation du 25 novembre les trois accords fiscaux signés avec l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Autriche. Avec un humour dont on ne le soupçonnait pas, il a placé ces accords à côté de la modification de la Loi sur les épizooties. La fraude fiscale serait-elle du même ordre que la peste porcine ou la maladie de la vache folle ?
Avant d’entrer dans le vif du sujet de la campagne référendaire autour de ces accords, cadrons un peu le débat. Et faisons appel à un spécialiste, Michael Lauber. Son nom ne vous dit pas encore grand-chose, pourtant c’est, depuis le début de l’année, le procureur de la Confédération. Mais c’est aussi un ancien dirigeant de l’Association des banques du Liechtenstein, le pays des domiciliations fictives et des sociétés-écrans, dont il présida même l’autorité de surveillance des marchés financiers. Il avait auparavant fait ses premières armes à la Police fédérale, s’occupant de criminalité organisée. Un expert, donc. Qui explique tranquillement à propos de l’attractivité de la place financière suisse : « La Suisse est attractive pour toutes sortes de criminels. La Suisse fonctionne, sa place financière est excellente. Cela attire tout le monde, les criminels aussi. Notre plus grande force est aussi notre plus grande faiblesse. » (Tages Anzeiger, 30 avril) Touchant, non ? Et révélateur aussi d’un aspect quelque peu négligé du secret bancaire. |
Les banques derrière Rubik
Car c’est bien du secret bancaire qu’il en va, ou plutôt de sa forme modernisée, l’impôt libératoire à la source, qui permet de garder l’anonymat des clients des banques suisses, tout en reversant une certaine somme au fisc du pays d’origine des capitaux déposés. A condition que le pays en question ait signé un de ces accords, dont les mécanismes sont suffisamment compliqués pour mériter leur surnom de Rubik, du nom du cube coloré servant de jeu de casse-tête.
Les banques suisses font et feront furieusement campagne pour ces accords, qui leur permettent de sauvegarder une bonne partie de l’avantage concurrentiel tiré du secret bancaire. De plus, promis, juré, craché, « La Suisse se focalisera à l’avenir sur des avoirs fiscalisés », selon sa documentation. Les banques se concentreront donc sur des affaires respectant la « conformité fiscale »; ce qui laisse la place, sur les marges, aux autres transactions, si l’on comprend bien…
Surtout, ces accords Rubik font obstacle à la catastrophe annoncée que représenterait l’échange automatique d’informations réclamé par l’Union européenne. C’est leur fonction défensive primordiale.
L’opposition souverainiste
La droite classique (PRL et PDC) soutient ces accords, comme l’Association suisse des banquiers et Economiesuisse, l’association patronale. En revanche, un quarteron de banquiers privés, d’avocats fiscalistes et de gestionnaire de fortune (Swiss Respect) s’y oppose, rejoint en cela par l’UDC. Cette dernière, comme toujours lorsqu’il s’agit de questions économiques européennes, ne s’engage toutefois pas directement dans le référendum. Elle a en effet constaté que les banques le combattraient. Elle préfère donc conserver ses bonnes relations avec ce milieu et, selon son communiqué de presse, se « concentrer sur les thèmes essentiels pour notre pays », à savoir taper sur ces étrangers d’où vient tout le mal. La tâche de récolter des signatures a donc été sous-traitée aux filiales de l’UDC, l’Association pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) et les jeunes UDC. La droite extrême et xénophobe reproche au Conseil fédéral de s’être couché devant les puissances étrangères et de brader la souveraineté du pays dans cette affaire. Evelyne Widmer-Schlumpf aurait en quelque sorte joué le rôle d’escort girl pour les nouveaux baillis autrichiens.
Un référendum à gauche aussi
Le référendum a toutefois aussi été lancé par une partie de la gauche, la Jeunesse socialiste (JS) en l’occurrence. Selon les données à disposition, l’ASIN comptabiliserait il y a quelque temps 30 000 signatures et la JS 3 000. Le parti adulte, le PSS a certes voté – en partie seulement – contre ces accords au parlement, mais cela à partir essentiellement d’une position tactique selon les explications de son président, Christian Levrat : si le Conseil fédéral avait accepté l’échange d’informations automatique, il aurait été en meilleure position pour obtenir des contreparties plus intéressantes pour l’économie suisse (NZZ du 28 mai). Contrairement à la JS, qui, elle, affirme vouloir « obliger les banques à renoncer à ce modèle économique parasitaire » et amène davantage d’arguments de fond contre la fraude fiscale.
Une situation similaire à la libre circulation ?
En 2005, l’extension de la libre circulation aux nouveaux Etats membres de l’Union européenne avait aussi été combattue par la droite nationaliste et une partie de la gauche plus ou moins extrême, qui était restée assez inaudible face aux 92 000 signatures récoltées essentiellement par les organisations xénophobes. La situation est tactiquement différente, toutefois. A l’époque, les opposants de gauche à la libre circulation ne pouvaient rien avancer de concret comme solution de rechange, sinon une demande de renégociation des accords, peu crédible, devant déboucher sur une amélioration de la protection des salarié·e·s. Un assemblage conditionnel énigmatique et sans portée devant l’argumentaire de la droite nationaliste. Aujourd’hui, une telle construction hypothétique – d’aucuns diraient une telle vue de l’esprit – n’est pas de mise. La solution de rechange aux accords fiscaux est en effet sur la table, c’est celle, réclamée par l’Union européenne, de l’échange automatique d’informations. La route est libre pour un oui au référendum pour dire non au secret bancaire.
Daniel Süri