Syndicaliste et militante de solidaritéS... elle attaque la Migros pour inégalité salariale
Syndicaliste et militante de solidaritéS… elle attaque la Migros pour inégalité salariale
Catherine, tu as travaillé comme vendeuse à la Migros
entre 1994 et 2006. Aujourdhui tu as décidé de
porter plainte contre ton ancien employeur. Que sest-il
passé?
Je ne veux que mon dû. La loi, cest la loi, elle
doit être appliquée. Cest en 2003 que jai vu
quun de mes collègues masculins, qui avait
été engagé en 2000 sans CFC ni expérience
de vente, recevait 300.- de plus que moi pour faire le même
travail. Jai toujours pensé que
légalité entre femmes et hommes était un
acquis, quelque chose qui va de soi. Quand jai vu que la Migros
ne respectait pas ce qui est écrit noir sur blanc dans la loi
comme dans la convention, je nai pas hésité:
jen ai parlé au président de la commission du
personnel. Il ny a jamais eu de réponse. Pour moi, il est
clair quon ne peut pas laisser passer ça sans
réagir. On est tous égaux sous le soleil, non?
A ma connaissance, cest la première fois que la
Migros se fait attaquer pour inégalité salariale, et
pourtant tu ne dois pas être la seule lésée,
comment expliques-tu le silence des autres?
Ce qui est difficile, cest que cest nous qui devons
apporter la preuve que la Migros est dans son tort. Je trouve ça
injuste. Il nest pas facile de trouver un collègue
daccord de vous dire son salaire et de témoigner!
Franchement la loi est mal faite.
Mais il y aussi la peur de perdre son travail qui peut retenir beaucoup
de femmes. Pas de protection contre les licenciements, ça
cest un gros obstacle.
Autre chose aussi: moi-même jai mis du temps pour porter
plainte parce que jignorais quon peut encore agir contre
son ancien employeur jusquà 5 ans après avoir
quitté son poste. En juillet 2004 je suis tombée malade.
Aujourdhui je suis à lassurance invalidité.
En 2006, quand mon rapport de travail sest arrêté
avec la Migros, jai pensé que je ne pouvais plus rien
faire contre cette inégalité salariale
dénoncée en 2003 auprès de la direction et
restée lettre morte.
Ce nest pas largent perdu qui compte le plus pour moi,
mais je nai jamais supporté de plier devant les
injustices. Cest à Unia que jai appris
quà la fin dun rapport de travail, on a encore 5
ans devant soi pour porter plainte. Jimagine que la
majorité des femmes ignorent ça et jespère
bien que ma plainte servira à mieux faire connaître ce
droit.
Une chose aussi est sûre, sans des gens derrière nous,
sans le syndicat ou une association féministe qui vous soutient,
cest quasi impossible de faire quoi que ce soit. Et beaucoup de
femmes ne sont pas organisées. Il faut dire que la Migros fait
tout pour quon ne se syndique pas. Pour eux, si tu te syndiques,
tu es un traître. Même moi je nai jamais dit que
jétais à Unia, sauf à quelques
collègues à qui je faisais confiance.
Il faut dire aussi quêtre salariée, élever
des enfants, et tenir un ménage ça ne laisse pas beaucoup
de temps pour penser à dautres choses. Aujourdhui
jaimerais vraiment que les femmes comprennent ce quon
peut gagner en confiance en soi et en justice sociale lorsquon
ne reste pas seule dans son coin.
Si tu gagnes, la Migros a beaucoup à perdre. A quoi tattends-tu?
Côté argent, pour eux cest une broutille. Ils
me doivent plus ou moins léquivalent dune page de
publicité dans un grand quotidien. Mais ils auront
peut-être peur pour leur réputation, ou peur de
lexemple et des idées que ça pourrait donner
à dautres femmes… Je mattends au pire. Ils ont
déjà répondu à mon avocat quils ne
reconnaissent pas les faits: daprès eux, je nai
pas reçu le même salaire que mon collègue
soi-disant parce que mon travail naurait pas été
le même. Mais je ne céderai pas: mon dossier est
bétonné. Mon collègue est prêt à
témoigner et il ma donné sa fiche de salaire. Il
ny a aucun doute sur les faits: avec 6 ans de plus
dexpérience de vente que lui et des tâches
équivalentes pour ne pas dire identiques, je recevais 300 francs
de moins que lui. Sur un salaire net de moins de 3000 Fr. je peux dire
que 300 de plus ou de moins, ça compte! Ils chercheront
peut-être à me salir, mais ils mont donné le
mérite en 2000, et je sais quils ne le donnent pas
à tout le monde. Ils ne pourront pas nier que je me suis
toujours beaucoup engagée et pour la Migros et dans mon travail.
Je pense que ça finira au tribunal. Mais sils vont
jusque-là, tant pis pour eux; je nai pas peur, je veux
que ce qui est écrit dans la convention soit
respecté. Sils ne respectent plus lesprit
Duttweiler, il faut que cela se sache.
As-tu déjà eu des réactions suite aux articles qui sont parus dans la presse au sujet de ta plainte?
Jai reçu des sms, des mails, des
téléphones: jai le sentiment que tout le monde est
derrière moi. On me dit «tas du courage»,
«tas raison»; beaucoup voient ça un peu comme
David contre Goliath. On peut dire que cest David contre
Goliath, mais la justice, ça doit se défendre. Je
nappelle pas ça du courage, dailleurs cest
quoi le courage?
Il y a encore trop de gens, de femmes aussi, qui pensent que
cest normal quun homme gagne davantage quune
femme. Mais à travail de valeur égale, salaire
égal, cest la loi, il faut quon sen rende
compte. Et cette loi doit être respectée. Je trouve que
ça vaut la peine de sengager pour cela; faire avancer
cette conscience, cest ça que je veux. Je nai pas
de rogne contre la Migros, mais ce quils me doivent, ils me le
doivent: la convention et la loi ce nest pas seulement bon pour
les points qui les arrangent.
Jessayerai dêtre médiatisée au
maximum, pas pour faire la vedette, mais pour que dautres femmes
osent se lancer aussi. Si dautres dénoncent les
inégalités salariales quelles subissent,
même si la Migros refuse de céder, je pense quau
final, cest nous qui gagnerons en dignité, mais aussi
dans les faits.