« Ground Zero »: une explosion d'islamophobie

« Ground Zero »: une explosion d’islamophobie



L’acceptation en Suisse de
l’initiative anti-minarets, le 26 novembre 2009, marque le
premier succès institutionnel de l’islamophobie. Aux
Etats-Unis un courant semblable exerce une influence croissante sur
l’opinion publique ce qu’illustre la bruyante
dénonciation de la construction d’une
«mosquée à Ground Zero».



Rarement en reste lorsque s’offre l’occasion d’une
« information », nombre de médias
européens se jettent goulûment sur le sujet. Les
adversaires de la « mosquée de Ground
Zero » n’y vont pas avec le dos de la
cuillère et touillent les cicatrices du 11 septembre pour
suggérer le pire : la charia, Auschwitz.

L’islamophobie: des noms, des dates, des faits

21 mars 2007, première apparition du blog « Stop
Islamisation of Europe » inspiré par
l’égérie islamophobe états-unienne Pamela
Geller. « Nous autres les silencieux qui ne nous plaignons
jamais et sommes aujourd’hui gagnés par l’impatience
nous avons perdu la foi en nos politiciens et entamons notre propre
résistance à l’islamisation rampante de
l’Europe ».

    1er mai 2007, l’UDC lance l’initiative
« contre la construction de minarets ».
Fin mai 2007, l’Office fédéral de la justice se
demande « si (…) une législation contre le
racisme n’entame pas de manière excessive le droit des
Suisses à la préservation de leur propre identité,
respectivement à la délimitation par rapport aux
étrangers ». Contrairement à la croyance
qu’il alimente, la xénophobie est du racisme et non un
trait culturel identitaire.

    17 janvier 2008, à l’initiative de
Filip Dewinter, député d’Anvers et porte-parole du
Vlaams Belang flamand, plusieurs mouvements nationaux et identitaires
européens constituent l’organisation européenne
« Les villes contre l’islamisation » et
créent une structure commune.

    8 juillet 2008, le Comité
« contre la construction de minarets » a
déposé son initiative à la Chancellerie
fédérale avec 114 895 signatures, 14 mois
après son lancement le 1er mai 2007.

19 au 21 septembre 2008, la coalition des villes « contre
l’islamisation des villes européennes » tient
congrès à Cologne contre la construction d’une
mosquée. L’extrême droite européenne
s’y presse. Jean-Marie Le Pen, le Vlams Belang, la Lega Nord.

Une « mosquée à Ground Zero »: de quoi s’agit-il en réalité?

Ouvert à tous les New-Yorkais·es, ce centre culturel
imiterait un modèle existant déjà à
Manhattan. Il serait doté de salles de réunion,
d’un fitness et d’installations sportives, d’un
restaurant et d’une école de cuisine, d’une
bibliothèque, d’une salle de conférence de 500
places… et d’une mosquée. Il était
prévu de l’appeler « Maison de
Cordoue » en mémoire de cette Andalousie,
mère de la Renaissance, où musulmanes, chrétiens
et juifs, femmes et hommes, avaient heureusement cohabité.

    Feisal Abdul Rauf, son principal promoteur,
n’a rien d’un fondamentaliste. Diplômé de
plusieurs universités américaines, ce physicien est un
imam réputé pour sa modération. En 2007, la
secrétaire d’Etat Condoleezza Rice l’envoie
expliquer au monde musulman que les Etats-Unis ne sont pas
l’ennemi de l’islam. Successeure de cette dernière,
Hillary Clinton l’a récemment chargé d’une
mission en Egypte.

    Le fiasco des guerres en Afghanistan et en Irak,
ainsi que les scandales d’Abou Ghraib et de Guantanamo ont
sérieusement entamé l’image du pays. Le 4 juin
2009, Obama annonce au monde musulman une nouvelle politique, et cela
passe aussi par son soutien au projet de construction de New York.
Ancien conseiller de George W Bush, Feisal Abdul Rauf reçoit
également l’appui de Michael Bloomberg, le maire
républicain de New York.

La droite dure à l’offensive

Sarah Palin, ex ticket de John Mc Pain pour la vice-présidence
des Etats Unis et actuelle égérie de la droite dure fait
son trou à la veille d’élections de mi-mandat qui
s’annoncent difficiles pour Obama. Elle dénonce le projet
de Feisal Abdul Rauf en ces termes : « Construire
une mosquée près de Ground Zero reviendrait à
poignarder au cœur les familles des innocentes victimes de ces
horribles attaques. »

    Dans la politique américaine
d’aujourd’hui, Sarah Palin n’est pas une
extrémiste. Sur sa droite, le lobby islamophobe et
antisémite de Pamela Geller, que le site identitaire Bivouac.id
contribue à faire connaître en France,
dénonçait  en décembre 2009, l’attitude
passive des organisations juives anglaises dans sa lutte contre
l’islam : « Pourquoi certains juifs ne
soutiennent pas ceux qui les soutiennent ? La semaine
dernière, 13 décembre 2009 se tenait un rassemblement du
SIOE (Stop à l’islamisation de l’Europe), contre la
construction d’une forteresse islamique au cœur de la ville
de Harrow, en Angleterre.

J’avais instamment demandé aux juifs d’y assister.
Le SIOE a souligné les paroles du Premier ministre de Turquie,
Recep Tayyip Erdogan : ‹ Les mosquées sont
nos casernes, les coupoles nos casques, les minarets nos
baïonnettes et les musulmans sont nos
soldats › »

    Ce slogan, faut-il le rappeler, était un des
leitmotivs qu’Yvan Perrin et Oskar Freysinger assénaient
sur Infrarouge et ailleurs au même moment. Le récent
bulletin de propagande de l’UDC est encore plus clair:
l’adversaire n’est pas le minaret, ce que ce parti feignait
de prétendre l’an dernier, mais bien l’islam.

    La polémique autour de Ground Zero
révèle une fois de plus que l’islamophobie trace
ses sillons partout dans le monde avec son lot inévitable de
racisme, d’antisémitisme et d’exclusion.

Karl Grünberg