Pakistan: chronique d’une catastrophe annoncée
Pakistan: chronique dune catastrophe annoncée
La mousson et les crues continuent,
aggravées par le réchauffement climatique. Le pays
nest pas au bout de ses souffrances. Des régions
entières sont submergées. Tous les organismes pakistanais
et humanitaires sont dépassés. Malgré les appels
de lONU, le niveau de lentraide internationale reste
faible comparé à laide, pourtant limitée,
déployée après dautres catastrophes.
Au 15 août 2010, plus de 20 millions de personnes, dont 9
millions denfants, étaient directement atteintes. Ce
chiffre ignore les victimes indirectes du fléau. Dans la
province la plus touchée, Khyber-Pakhtunkhwa, 500 000
personnes sont coupées du monde dans la vallée de Swat. A
lexception de maigres secours portés à pied ou
à dos dâne, la plupart nont rien
reçu.
Plus de dix millions de personnes
déplacées errent sur les routes à la recherche
dun abri. La majorité vit en plein champ sans toit, sans
nourriture, sans médicaments. Les articles alimentaires et
non-alimentaires, les médicaments et les abris fournis par le
gouvernement, les ONG, laide privée ou les organisations
internationales sont très inférieurs aux besoins.
Une catastrophe prévisible
En 1973, les inondations avaient affecté moins de 5 millions de
personnes ; en 1976, environ 5,7 millions ; en 1992, 10
millions de Pakistanais·es en ont subi les
conséquences ; elles/ils étaient 8 millions en 2005.
Si on compte actuellement trois mille morts, seul le retrait de
leau permettra den connaître le nombre exact.
Aucune des catastrophes naturelles (inondations, sécheresses,
séismes ou tempêtes) dont le Pakistan a été
le théâtre au cours de ses 64 années
dexistence na atteint les proportions de celle
daujourdhui.
Lentretien insuffisant des berges, des digues
et des infrastructures, lenvasement du lit des rivières,
la déforestation massive et le grand nombre de logements
sauvages dans les zones fluviales expliquent lampleur du
cataclysme. Malgré les efforts accomplis ces dernières
années, la préparation pour faire face à la
catastrophe imminente était très insuffisante. Le
gouvernement na mis en place aucun système
dinformation destiné à la population. Et
lexode massif des villes inondées encombre,
aujourdhui, les routes nationales et les villes refuge.
Un coût économique, social et politique incalculable
Linondation a touché les zones les plus fertiles du
pays : Gilgit, Swat, Charsada, Swabi, la région de
Nowshera à Larkana, Dadu et Matiari. Dans les prochains mois,
leurs habitant·e·s seront nombreux à souffrir de
la faim et de linsécurité. Le Pakistan doit
sattendre également à une baisse des
recettes ; la destruction des cultures destinées à
lexportation risque, en effet, dinfliger un
sérieux revers à léconomie du pays.
Linondation a détruit des chemins de
fer, des routes, des barrages, des canaux, de nombreux villages et
dautres installations essentielles. Le transport des
marchandises et des personnes est lui aussi affecté. Dans les
bâtiments, usines et entrepôts démolis, le travail
sest arrêté. Travailleuses et travailleurs sont les
premiers à en faire les frais. La grande masse des personnes
déplacées pèsera sur les maigres ressources des
villes. Et la migration des agriculteurs expérimentés
nuira à terme à la production ; nombre dentre
eux iront grossir les rangs de la pléthorique main
duvre non-qualifiée.
Par le passé, les inondations ont
affecté le PIB à hauteur de 3,04 % en 1973,
5,09 % en 1976 et 2,60 % en 1992. Cette année, la
baisse de la production réduira les revenus et affectera
lépargne disponible pour financer de nouveaux
investissements. Linondation causera dénormes
pertes sociales qui affecteront elles aussi la croissance.
Un gouvernement affaibli face à la crise
La guerre quil mène pour le compte des États-Unis
contre les militant·e·s islamistes et la crise
économique et sociale valent au gouvernement une forte
hostilité. Les inondations ont balayé des zones agricoles
et détruit les moyens de subsistance dinnombrables
agriculteurs. Elles provoqueront une augmentation des prix des
aliments. Après les inondations, colère et protestations
vont croître et aggraver la crise de ce régime fragile.
Malgré le désastre, laide internationale
nest livrée quau compte-gouttes. Selon
lONU, les fonds versés par les gouvernements totalisent
à ce jour moins de 45 millions de dollars US et 91 millions
supplémentaires sont annoncés.
Le gouvernement na pas réussi à
mobiliser les ressources nécessaires. Ce retard affectera la
réfection des logements, la relance de lagriculture, la
reconstruction des infrastructures. La faible crédibilité
des élites politiques et le manque de confiance des
investisseurs sont préoccupants. Le gouvernement peinera
à affronter le terrorisme, la récession,
linflation et un taux de chômage élevé.
Prioriser le secours aux victimes sera un test pour sa politique et
pour celle du parti au pouvoir.
Irfan Mufti*
« Economic Cost of the flood in
Pakistan », 23 août 2010 ;
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article18361. Traduit et
adapté par Karl Grünberg
intégrer tous les facteurs
Le gouvernement pakistanais a ignoré les avertissements. En
avril dernier à Islamabad, une conférence sur le
changement climatique enfonçait le clou :
« Les ressources en eau douce sont vulnérables et
peuvent être fortement touchées par le changement
climatique avec des conséquences incalculables pour les
sociétés humaines et les écosystèmes. Le
Pakistan a lun des plus grands systèmes
dirrigation intégré au monde. Toutefois, en raison
de son milieu écologique sensible, de la croissance rapide de sa
population et des pressions économiques accrues, sans parler du
fait que ses fleuves prennent leur source ou passent par lInde,
il est confronté à des problèmes complexes
quil faut traiter en tentant une approche qui intègre
lensemble de ces facteurs » (cf. Ghulam Haider,
« Flood show threat from climate change », 20
août 2010 ;
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article18372).