Pour une mini-sécurité sociale
Pour une mini-sécurité sociale
Nous publions ci-dessous quelques
extraits de la lettre trimestrielle n° 48 (juin 2010) de
lassociation Pro « mente » sana
où Philippe Nordmann présente ce que pourrait être
une réforme importante des assurances dans le secteur de la
perte de gain, lorsquil y a atteinte à la santé.
Cette proposition a le mérite douvrir le débat sur
des questions essentielles qui devraient être au cur de la
réflexion des forces de gauche.
Lune des dernières grandes lacunes du système
suisse de sécurité sociale réside dans
labsence dune garantie obligatoire de revenu à
court terme en cas de maladie. La situation est nettement meilleure
pour les seuls salarié-e-s toutefois en cas
daccident. [
]
Doù une première
difficulté, fréquente dans la pratique :
lincapacité temporaire de gain est-elle vraiment due
à la maladie ou ne peut-on pas plutôt lattribuer
à un accident (ce qui entraînerait de meilleures
prestations) ? Lorsquun salarié·e tombe
malade, il/elle bénéficie dune couverture de
salaire très limitée de quelques semaines à
quelques mois (art. 324 et ss CO). Si son employeur a lesprit
social ou si une convention collective le prévoit, une
couverture de deux ans maximum est généralement garantie
par une police dindemnités journalières. Mais une
telle couverture nest pas obligatoire.
Au contraire, en cas daccident, la Loi sur
lassurance accidents (LAA) garantit une couverture de salaire
à 80 % dès le troisième jour et pour une
durée en principe illimitée, dautres assurances
sociales prenant ensuite le relais.
Cela entraîne une première idée
de réforme : supprimer la distinction entre
incapacité de gain pour cause daccident (bien couverte)
et incapacité de gain due à la maladie (mal couverte).
[
]
Dautres réformes sont nécessaires
Une seconde idée de réforme serait de supprimer la
distinction entre le court et le long terme : une seule et
même assurance couvrirait lincapacité de gain,
quelle quen soit la durée. Ce système existe
déjà pour lassurance accidents : la
même assurance fournit ses prestations à court terme
(indemnités journalières) et à plus long terme
(rentes); rien nempêcherait de reprendre cette idée
pour les incapacités de gain dues à la maladie.
Une troisième idée consisterait
à supprimer la notion même qui est parfois
perçue comme stigmatisante
dinvalidité : il ny aurait plus
d« invalides », mais uniquement des
personnes en incapacité de gain. La suppression de cette
distinction rejoint dailleurs en partie celle de la suppression
des catégories « court et long
terme ».
Une quatrième idée qui
entraînerait une extrême simplification par rapport
à la situation actuelle serait davoir un seul
régime de couverture de lincapacité de gain. Il
ny aurait plus de prétentions à faire valoir
contre lemployeur (qui peut être plus ou moins solvable),
contre une assurance collective de celui-ci, contre une assurance
privée individuelle, contre lassurance invalidité
(AI), contre la fondation de prévoyance professionnelle (2e
pilier), voire contre un tiers responsable. La personne atteinte
naurait quun seul
« répondant ».
Une cinquième idée serait de
simplifier les systèmes de coordination entre diverses
assurances. La coordination implique souvent de définir des
plafonnements pour éviter un « gain
dassurance ». Les mécanismes de coordination
sont complexes et très
« chronophages ». Cette simplification
découle déjà largement des
idées de réforme abordées plus haut.
Les grands traits du nouveau système.
Lassociation ARTIAS (Association romande et tessinoise des
institutions daide sociale) a élaboré une
proposition fondée sur ces diverses idées
(www.artias.ch). Il y aurait une couverture universelle, en ce sens que
toute personne assurée à lAVS (donc
également les personnes sans activité lucrative)
bénéficierait dune couverture dassurance.
En cas dincapacité de travail ou de
gain médicalement démontrée, la personne recevrait
un pourcentage déterminé (par exemple 80 %) du
revenu perdu. On pourrait imaginer une dégressivité dans
le temps. Un délai dattente serait fixé de
manière uniforme, par exemple 30 jours (liberté
étant donnée à chacun de couvrir ces 30 jours par
une assurance individuelle ou collective). Les prestations cesseraient
à lâge de la retraite.
Bien entendu, les prestations financières de
lassurance invalidité, notamment les rentes, seraient
remplacées par celles de lassurance universelle, ce qui
éviterait les « seuils » de
40 %, 50 %, 60 % et 70 % qui existent
uniquement en assurance invalidité et en prévoyance
professionnelle, et qui peuvent, par leur brutalité,
entraîner des injustices et des litiges.
Par ailleurs, cette couverture universelle
comblerait des défauts actuels de couverture qui
nécessitent en général le recours à
laide sociale. Elle éviterait aussi des doubles
couvertures, avec les calculs de coordination évoqués
[
]
Une telle réforme nimpliquerait pas la
disparition des assureurs privés, mais bien une modification de
leur champ dactivité : ils auraient moins de
polices dindemnités journalières, collectives ou
individuelles, mais ils auraient davantage dassurances
complémentaires venant combler les
« niches » du système [
]
Cette nouvelle assurance entraînerait la
suppression des prestations pécuniaires
aujourdhui fournies par lassurance invalidité, les
assureurs accidents obligatoires, les fondations de prévoyance
professionnelle, les assureurs privés, collectifs ou individuels
dindemnités journalières ou des caisses
maladie servant de telles prestations (LAMal).
La couverture universelle dun revenu en cas
dincapacité de gain, pour des raisons de santé,
aurait aussi comme avantage non négligeable une économie
des coûts administratifs et judiciaires qui sont
aujourdhui considérables en raison de la
complexité du système. Laide sociale
interviendrait moins souvent.
Philippe Nordmann*
*La version complète de cet article est parue sur le site
http://www.promentesana.org/upload/application/174-lt48juin2010.pdf