«Le vrai changement»... avec la gauche plurielle?

«Le vrai changement»… avec la gauche plurielle?

L´évacuation par la police de squatters, sur réquisition de l´exécutif de la Ville de Genève, en particulier d´un élu soutenu par le mouvement «solidaritéS», doit être fermement condamnée. Cela a été fait par un membre de notre comité de rédaction dans un éditorial du journal (N°2) et également par la coordination de solidaritéS Genève. Mais ce carton jaune laisse un goût amer. Un carton rouge n´aurait-il pas été nécessaire ? Une question décisive a été purement et simplement éludée, à savoir celle de la participation aux exécutifs, communaux et cantonaux, dans la cadre de coalitions avec la «gauche plurielle».

Le socialisme par en bas contre la gestion des affaires par la «gauche plurielle»


Le constat d´une nouvelle donne doit être établi, en Suisse comme en Europe: la gauche dite réformiste (social-démocrate ou verte) a renoncé en pratique à toute velléité de mettre en oeuvre des réformes. Aujourd´hui la moindre tentative d´améliorer les conditions de vie et de travail de la majorité de la population se heurte du reste à la brutalité du projet de contre-réforme néo-libérale. Une réalité qui reflète la modification substantielle du rapport de force, sur le plan social, politique et idéologique, intervenue en défaveur des exploité-e-s. Une des facettes de la victoire (provisoire!) remportée par les dominants est précisément le fait d´avoir réduit le projet de cette gauche dite réformiste à se borner à rendre plus tolérables les dégâts provoqués par la «modernité», la «flexibilité», à accompagner sur le fond la contre-réforme sociale en marche. Les illustrations les plus évidentes de ces changements sont l´appel à voter Tony Blair par les patrons britanniques ou les privatisations mises en œuvre par le gouvernement Jospin. En Suisse, la politique de paix du travail comme la participation depuis de nombreuses décennies du parti socialiste au Conseil fédéral, aux exécutifs cantonaux et communaux avaient déjà très fortement ancré ce parti dans une perspective de pure politique de gestion des affaires, sans grande volonté de réformes! C´est dans cette tradition que s´inscrivent par exemple la politique actuelle d´économies en matière de santé publique, menée sur le dos du personnel soignant et des usager-ère-s, par la conseillère d´Etat neuchâteloise, Monica Dusong, ou celle d´austérité des finances cantonales, menée au détriment des salarié-e-s de la fonction publique et des prestations sociales, par la conseillère d´Etat genevoise, Calmy-Rey.



Construire un mouvement dont l´horizon et le chemin peuvent être en partie résumés par la formule «le socialisme par en bas» implique, si ce n´est justement pas qu´une formule(!), une rupture avec cette politique de participation à la gestion des affaires bourgeoises. Sur le fond, celle-ci se heurte en effet aux aspirations de toutes celles et tous ceux qui agissent aujourd´hui contre un monde devenu «marchandise» et mettent en avant des exigences assez élémentaires, comme celles de rendre illicites les licenciements, de garantir à tous et toutes un revenu décent ou de distribuer, de manière non marchande, les médicaments contre le sida. Il y a une incompatibilité entre, d´une part, le mouvement de résistance à la marchandisation du monde et, d´autre part, les priorités et les critères définis par le capitalisme et admis par les composantes de la «gauche plurielle»

Les illusions du «vrai changement»…


Les effets de la concentration de la propriété privée du sol dans les villes ou les conséquences des inégalités sociales dans la formation ne sauraient en aucun cas être combattues avec succès par des majorités, dans des parlements ou des exécutifs, même si, par hypothèse, celles-ci avaient la volonté ferme de le faire. Ils ne sont que le reflet, à la surface des choses, des inégalités inscrites au sein même des rapports de production capitaliste: aucune majorité parlementaire ne saurait les renverser! C´est là une des limites intrinsèques à la démocratie politique. Sans parler du fait que, pour l´essentiel, dans la gestion des affaires publiques, les choix essentiels et leur mise en oeuvre sont le fait de l´administration, de la justice ou de la police, qui échappent très souvent à tout «contrôle démocratique». Les institutions parlementaires elles-mêmes, fondées sur un système de délégation, limitent la «participation» des citoyen-ne-s au seul vote. Ceux-ci/celles-ci n´ont, par exemple, aucun droit de révocation des élu-e-s. Quant au droit de vote et d´éligibilité, il est en plus «réservé» aux personnes ayant le passeport rouge à croix blanche.



L´horizon et le chemin tracés par «socialisme par en bas» sont contradictoires avec un embourbement dans les institutions parlementaires. La démocratie, indispensable à construire aujourd´hui face à la dictature du marché et de la propriété privée, s´appuie sur l´activité et l´organisation des exploité-e-s, dans la défense collective de leurs intérêts et de leurs droits, avec une attention toute particulière sur les formes démocratiques de l´action, afin de ne pas reproduire la catastrophe du stalinisme qui a vu la révolution déboucher sur un totalitarisme inhumain.



Jean-Michel DOLIVO